Penser et organiser le futur Plaidoyer pour la création d’un Institut d’études prospectives et stratégiques au Bénin

(Cet article a été publié le 11 décembre 1998 dans le quotidien la Nation.) « Nul n’est prophète chez soi dit le dicton populaire ». Ce court essai écrit par Richard Adjaho en 1998 n’a pas pris une seule ride. Il dit en parlant des insuffisances dans la gouvernance que ‘’ l’an 2000 c’est demain’’. Plus de 20 ans après sa prédiction, on est toujours à nous plaindre des mêmes comportements des gens qui sont surpris par les évènements. Il dénonce sur un ton calme et mesuré mais ferme, le manque d’anticipation et de vision prospective.

« Nous sommes tout le temps en train d’improviser », s’indigne –t-il. Plus de 20 ans après, sa proposition majeure de création d’un institut d’études prospectives à l’instar d’un pays comme le Nigéria est toujours d’une brûlante d’actualité.

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La présente réflexion, comme toutes les précédentes,  a uniquement pour but de contribuer au débat sur le devenir du Bénin. Elle reflète la vision d’un patriote, qui par la force des choses a beaucoup entendu et beaucoup vu. J’ai eu le privilège d’avoir été convié, courant juillet  1998, au comité  de lecture d’une institution internationale  de la place,  pour examiner le travail d’un groupe d’experts béninois.

Ce groupe planchait depuis janvier  1998 sur un rapport de prospective à long terme sur le Benin. 11  s’agissait pour nous, deux jours durant, de critiquer, d’amender, d’améliorer le projet  de rapport sur ce que pourrait être le Bénin dans quelques décennies.  Le projet qui nous  a été soumis avait été bien travaillé, bien documenté, mais il comportait forcement des lacunes que nous avions relevées.

Globalement, le travail critiqué fut fort intéressant et les résultats enrichissants pour l’équipe d’experts. Cette démarche prospective m’a fait prendre, encore une fois, conscience des tares que traine notre pays en matière de réflexion sur le futur.

1  – La  culture  de l’Improvisation

Durant ma carrière administrative  et pendant que j’exerçais  mes responsabilités gouvernementales et diplomatiques, j’ai toujours douloureusement vécu l’une des pathologies  de l’administration béninoise.

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L’improvisation, l’administration béninoise donne la pénible impression de ne pouvoir s’organiser au-delà  de quelques jours. Les évènements  les plus prévisibles et même prévus surprennent presque toujours les agents et les cadres de notre administration.  C’était comme cela au cours des années 80. C’est encore comme cela aujourd’hui.  A titre d’exemple,  les commissions  ministérielles travaillent presque toujours de façon superficielle.

Les avis de réunion parviennent aux membres souvent  48h ou 24h avant. Ils s’y  présentent  donc généralement  sans préparation préalable, sans connaissance  sérieuse des dossiers. Des lors, ils ne peuvent y donner qu’une connaissance peu sérieuse des dossiers. Des lors,  ils ne peuvent y donner que des avis superficiels  avec les conséquences que l’on sait sur la gestion des affaires du pays et la conduite de son économie. 

Mais au-delà de ce mal endémique qui peut  être guéri par davantage de rigueur et un peu plus de fermeté, il y a un autre plus grave et plus profond.  II s’agit de l’absence quasi générale  dans toutes les sphères de la vie publique béninoise,  d’études prospectives  et stratégiques sur les grands problèmes de la Nation. S’il est vrai qu’il  n’est jamais  trop tard pour bien faire,  il est alors temps qu’on  s’y mette.

2 – L’an 2000, c’est demain

En 1960, le Dahomey avait une population de 2 millions d’habitants. Elle tournera  autour de 6 millions d’habitants en  1999. Selon certaines projections  en 2025, lorsque les enfants nés aujourd’hui finiront leurs études supérieures et rentreront à peine dans l’âge  adulte, le Bénin  comptera  autour de  16 millions d’habitants.

Ces données incontournables devraient donner le vertige  aux dirigeants actuels  de notre pays, pour peu qu’ils soient conscients, et de l’insomnie à ceux qui aspirent à conduire les destinées du peuple béninois. Lorsque le nombre d’habitants, qui constituent la donnée première de toute action politique ou économique dans un pays, change de manière aussi sensible,  les problèmes à résoudre  prennent une toute autre dimension.

Il   en est ainsi des problèmes  de santé publique, d’alimentation, de scolarisation, d’emplois, d’urbanisation,  de ramassage et de traitement  des ordures ménagères et industrielles,  de pollution atmosphérique.  Or, 2025, ce n’est pas très loin.  En 1998, les statistiques fiables montrent que près de 50 % des Béninois  ont moins de 15 ans. Cela signifie que la moitié des Béninois vivant aujourd’hui  sont nés après 1982 !   En raison des lois démographiques, il se passera moins de quinze ans avant que la population béninoise ne double de nouveau. Ainsi, la moitié des Béninois  qui vivront autour de l’an 2013­2014 n’est pas  encore née  en 1998 !    Aujourd’hui,  la ville  de Cotonou   qui compte  presque un million  d’habitants produit  442 tonnes d’ordures  ménagères par jour.

Les  autorités   locales n’arrivent   ni a les enlever, ni à les recycler. Les 4/5  atterrissent  dans les ba­fonds,  les marécages,  les caniveaux  et sur les voies publiques. A l’horizon 2025 avec une population  qui tournera autour de 3 millions d’habitants. Cotonou pourrait produire chaque jour environ 1500 tonnes  d’ordures. Lorsqu’on voit l’état actuel de la ville, les  ordures seront sans doute déversées en plein centre-ville  devant le magasin Prisunic !   A l’évidence,  l’état de la circulation  dans la ville de Cotonou,  malgré les  efforts de la  Police mise à contribution dès 1991 handicape les activités économiques. Dans cinq ans, cette situation sera inextricable.

Où  sont  les projets  de plans de circulation dans la ville Cotonou dans 3,   5,  I 0 ans ? Quels sont le montant et l’origine  des ressources nécessaires à leur mise  en œuvre ? En général,  les services du Ministère  des Travaux  Publics s’arrêtent  bien en amont de ces questions. Or, c’est aujourd’hui qu’elles doivent être analysées, disséquées, C’est aujourd’hui qu’il faut envisager et trouver des pistes des solutions à appliquer à moyen et longs termes.  Ces solutions devraient   se présenter   sous différentes   formes.

Equipements collectifs adaptes et planifies, Mesures préfectorales ou municipales autoritaires. Circulaires administratives contraignantes. On pourrait avoir le sentiment que 2025, c’est  trop loin. En 1970, lorsque l’on évoquait l’an 2000,je suis  certain que la quasi-totalité des adultes d’aujourd’hui croyaient  que c’est la fin des temps. Or nous y serons dans moins de 13 mois ! Bien évidemment, adopter une démarche prospective ne signifie nullement qu’il faille   prendre nécessairement 2025 pour horizon.

3 – Les études  prospectives

Les cadres de l’administration  béninoise qui constituent une bonne partie de l’élite de la Nation gèrent  le quotidien.   L’administration  ne s’occupe donc pas  du moyen et du long terme.  Le pouvoir exécutif s’en occupe lui-même assez peu. En raison de la nature relativement  éphémère de leurs fonctions et des contraintes qui pèsent quotidiennement sur eux,  les membres du gouvernement gèrent généralement le court  et à peine  le moyen terme !   De plus,  au Bénin,  lorsqu’un ministre change,  presque tout  change.  Les conséquences  de cette instabilité administrative sont énormes. Le drame est que cette situation est elle-même aggravée par la trop grande rotation des ministres.  On peut à peine comprendre que depuis seulement  1990, dans un domaine aussi stable et aussi sensible que celui des relations internationales,  le Benin est à son sixième ministre des

Affaires étrangères !  En Côte d’Ivoire, Amara Essy détient ce portefeuille depuis au moins huit ans et au Burkina Faso, Ablasse Ouédraogo,  en poste depuis au moins  cinq ans s’impose de plus en plus sur la scène  sous régionale.  Ainsi  au Bénin, personne  ne s’occupe vraiment du long terme. Pourtant les contraintes auxquelles seront confrontés nos enfants demain sont presque tous en germe aujourd’hui.

4 – La capacité  d’anticipation

La force des grandes démocraties réside dans leur capacité d’anticipation. Ces pays mettent en permanence  les meilleurs de leurs cerveaux sur ce qui peut se passer chez eux et dans le monde dans 10, 15, 20 ans.  Ils ajustent en permanence  leurs projections en fonction des données qui s’accumulent  progressivement   et des évolutions   qui surviennent.

Leurs nombreux  bureaux d’études,  leurs centres de prospectives,    leurs   instituts  d’études stratégiques s’occupent  en permanence du futur proche ou lointain. C’est pour cette raison que malgré la complexité sans cesse croissante du monde et les impondérables de  la vie internationale, ces pays sont rarement pris au dépourvu.II en est de même des grandes entreprises qu’elles soient aéronautiques, automobiles,  de transports, de communications ou de technologies de pointe.

Personne n’imagine qu’une de ces entreprises attendent l’obsolescence, la vieillesse d’un modèle ou d’un produit avant de mettre en étude le modèle qui va le remplacer.  Si une grande compagnie se comporte de la sorte, elle sera très rapidement distancée par ses concurrents et finira par être absorbée, « mangée » par l’un d’eux.

De ce point de vue, le marché est impitoyable et d’une rare férocité.  Par exemple,  pour les firmes   aéronautiques ou  automobiles, sont en gestation,   dans les cartons des bureaux d’études,   des modèles,  qui vont être sur le marché  dans 10, 15 ans, sinon davantage.  

Avant  qu’un modèle   n’amorce sa descente   sur la courbe des ventes,  le modèle qui va lui succéder  est pratiquement   prêt. Si la firme américaine Boeing  attendait que les avions 747 mis en service voici un quart de siècle, finissent leur carrière avant d’étudiera et de mettre au point les avions de la future génération, la firme européenne Airbus va lui prendre le  marché des gros porteurs.   Une  telle imprévoyance  se traduira par des milliers  de suppression d’emplois et des  milliards de dollars de manque  à  gagner  pour le commerce  extérieur des USA.

L’absence d’études prospectives sérieuses et le manque de rigueur généralise nuisent a la bonne gestion de notre pays. Tout équivaut à une conduite sans visibilité. Or, comme on le dit  dans le langage des navigateurs,  »  il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va  ».

5 – Les questions stratégique

L’approche stratégique d’une question est une approche globale. Elle implique l’analyse de tous les facteurs  saisissables et de leur évolution  concomitante. Elle intègre toutes les données disponibles, probables   ou prévisibles. L’approche stratégique s’inscrit  dans la durée,  Elle s’impose   à tout pays, qu’il soit petit ou grand. Les questions stratégiques se rapportent souvent à des questions militaires, économiques, scientifiques. Elles sont en général vitales pour la vie d’une  nation car leur mauvais règlement peut entraîner  le déclin,  voire  la disparition  d’un pays. Beaucoup   d’exemples abondent dans   l’histoire. L’étude  de ces questions  s’appuie souvent sur  des données géographiques stables, des données géostratégiques  quasi permanentes, des données économiques significatives.  Lorsqu’on connait par exemple l’importance  de l’énergie dans  la vie d’une nation moderne,  un pays pétrolier se différencie  notablement d’un pays dépourvu de ressources pétrolières. Un pays qui possède des barrages hydroélectriques de celui qui en est dépourvu. Beaucoup d’autres éléments de différentiation existent et conditionnent la vie d’une nation. La situation géographique du Bénin à côté d’un géant de plus de 100 millions d’habitants lui crée  une spécificité  que le Togo voisin  ou le Ghana ne possèdent pas.  Bon nombre des 36 Etats de la  Fédération nigériane sont plus  peuples que le Bénin  et les 90 000 hommes  de l’armée nigériane sont  sans comparaison  avec nos forces armées ! Jusqu’à aujourd’hui, la politique économique du gouvernement nigérian a des répercussions directes sur nos recettes budgétaires. Ce sont toutes ces données et bien d’autres qui devraient être analysées car elles devraient conditionner nos choix fondamentaux et la mise  en évidence  de nos intérêts  vitaux et à  long terme.  Ne pas adopter  une telle approche  équivaut à faire une conduite sans visibilité. Les  intérêts  stratégiques  d’un pays  sont ses intérêts permanents, ses intérêts majeurs, ceux qui ne sont pas liés à des facteurs passagers, conjoncturels.

Malgré les changements de gouvernement, d’orientation politique,  et même d’idéologie, on pourrait se demander pourquoi depuis 1958, la politique de coopération de la France n’a pas fondamentalement changé. Tout simplement parce que les intérêts stratégiques de la France nécessitent une grande stabilité voire une permanence dans ce domaine. Tous les pays développés et beaucoup de pays

en développement ont sous une forme ou une autre, sous une appellation ou une autre, des instituts d’études stratégiques ou officiers supérieurs ou généraux, économistes, sociologues, politologues, géographes, responsables  à divers moments et à divers titres dans une démarche  pluridisciplinaire,  réfléchissent sur l’avenir.

Pas plus au Benin qu’ailleurs,  aucun homme n’est immortel. Aucun  gouvernement n’est permanent. Pour ces raisons, au-delà des incontournables affrontements électoraux, des inévitables rivalités de personnes ou de clans, des oppositions ethniques supposées OU réelles, l’intérêt national exige la création d’un organe permanent d’études prospectives et stratégiques, Un tel institut, bien conçu, coutera peu et servira beaucoup  le pays.  Il induira surtout une démarche qui rompt avec une approche des problèmes
au jour  le jour.  On a le sentiment   que  les gouvernants   et les cadres béninois   ne se rendent pas compte   du dangereux retard que le  Benin prend, même sur les pays de la sous-région.

Pour  s’en convaincre,   ii  suffit  de consulter  les indicateurs   économiques de l’UEMOA. 11   est temps  que les différentes   composantes de l’élite   béninoise sortent de leurs  ghettos. Ceci n’implique   pas qu’il n’y ait   plus de rivalités politiques.

Au contraire.   Mais il pourrait  y avoir, comme en février   1990, consensus sur la mise  en place des éléments de base   pour l’édification du Benin   de demain. L’institut  d’études prospectives   et stratégiques ne  devrait   en aucune manière   être une structure   de rente pour cadres administratifs   béninois en mal de 4 x 4 et en quête de perdiem. Pour le constituer,  l’Etat devrait faire  appel à  des cadres patriotes,  compétents, expérimentés et qui sont capables de conduire les réflexions nécessaires au Bénin du futur.

Une réponse

  1. Avatar de RFA-Berlin
    RFA-Berlin

    John Igué, mon ancien Professeur au département de Géographe à L’UAC en a parlé toute sa vie et même à la « retraite ». Merci M. Igué, grâce à vos enseignements, je vie et travail dans l’UE.

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