Contexte : Le lundi 19 avril 2020, le Président de Madagascar, Andry Rajoelina annonce officiellement un remède de l’Institut malgache des recherches appliquées (IMRA) contre le Covid-19. L’OMS a émis des réserves tout en reconnaissant laconiquement les bienfaits des médicaments « traditionnels » – on ne sait d’ailleurs trop pourquoi une synthèse de molécules secondaires à partir de plantes par un Institut de recherche national serait ‘’traditionnelle’’ et pourquoi une différence sémantique entre ‘’médicament’’ quand c’est l’Occident et ‘’remède’’ lorsqu’il s’agit de l’Afrique – ?
Pendant ce temps, M. Rajoelina qui a donné les moyens aux enseignants chercheurs malgaches a répondu ironiquement à ceux pour qui l’autorité naturelle des sciences ne peut être que l’Occident. Le Président annonce dans la foulée le début de la fin du confinement et la reprise des cours dans les écoles et universités à partir du 22 avril 2020. Ce qui est fait. Il a raison parce que la science n’a pas de tutelle – « Science has no Nation ». De plus, M. Rajoelina propose des solutions pratiques d’accompagnement du remède baptisé CVO / Covid-Organics, une synthèse de plusieurs plantes autochtones au centre de laquelle Artemisia annua et A. afra – deux espèces – testée et mise au point par l’IMRA. Par cette activité courageuse et prometteuse, Madagascar prouve au monde entier que la science et la technologie peuvent aussi provenir du continent noir.
L’Intégrité et le courage malgaches
Madagascar ne surprend pas par sa grande confiance en soi. Pour rappel, le pays, sous le leadership éclairé du Général Gabriel Ramanantsoa et du Ministre des affaires étrangères Didier Ratsiraka, a quitté le franc CFA en juin 1973 après les mouvements nationaux de contestation des accords de coopération postcoloniaux avec la France. En 2003, le franc malgache devient ‘’l’ariary’’ et depuis, son existence n’a jamais été remise en cause par la France. C’est toujours Madagascar qui a introduit la malgachisation de l’enseignement et de l’administration même si certaines erreurs de déclassement des langues étrangères ont été commises. En instaurant cette fois-ci le système d’officine publique et d’unités mobiles de distribution du ‘’CVO / Covid-Organics’’ où les préparateurs sont assistés de techniciens microbiologistes, Madagascar valide le concept du développement endogène de l’illustre historien burkinabé, le feu Professeur Joseph Ki-Zerbo (in ‘’La Natte des Autres’’) dans un engagement critique avec la techno-science dans un pays africain au sud du Sahara.
Si vous regardez bien dans notre propre pays, le Bénin, les femmes vendent de la tisane dans les rues de nos villes. La techno-science peut s’adapter à ces pratiques en offrant à ces femmes l’assistance des techniciens. La pratique est connue dans les autres grandes civilisations. Par exemple, en Russie et en Chine, lorsque vous allez à l’ ‘’apteka’’ – mot russe pour désigner pharmacie -, le pharmacien vous prend votre ordonnance et vous remet de la tisane en flacon ou en bouteille préparée sur le champ.
Rétablir la vérité sur Apivirine
En dépit des erreurs de management et de communication de M. AGON, le Bénin peut relever le défi. Pas évident dans un pays élitiste qui regarde de haut les créateurs d’en bas ! L’élite issue de l’école coloniale est généralement hostile à toute innovation challengeuse du soi-disant standard occidental. Quand on écoute l’élite, rare sont en effet les soutiens de M. AGON. Les uns jaloux, d’autres dans la détestation, le mépris et l’ironie quand d’autres encore, parmi eux des universitaires de surcroît, sont agacés et vous lancent à la figure : « Quand a-t-il eu son doctorat ? », « Où enseigne-t-il ?», « Est-il inscrit à l’ordre des pharmaciens ? », etc., comme si le statut d’universitaire était le critère exclusif de l’invention.
Heureusement, des gens simples et insoupçonnés, à la marge des Universités démunies et des Etats qui se sont désengagés du financement de la recherche universitaire, sont éligibles aux inventions, faisant grand honneur. Le noir américain Lewis Howard Latimer, dans la pénibilité de l’époque esclavagiste, a reçu un brevet d’invention parmi beaucoup d’autres pour avoir amélioré la lampe incandescente de Thomas Edison et inventé le premier réseau d’électrification de ville. Granville Tailer Woods, l’autre fameux inventeur autodidacte noir américain, était étonnement auteur de plus de soixante brevets dont certains ont complètement changé notre vie aujourd’hui, notamment ses inventions sur la téléphonie, la phonographie et la télégraphie. L’attitude de ces braves gens d’origine africaine de la basse société conforte le défi béninois actuel de ne pas abandonner d’essayer et de tester M. AGON Valentin.
La vérité sur Apivirine, c’est qu’à la base, le Covid-19 (Coronavirus disease 2019) est une maladie due à un virus, le SARS-CoV2 (Severe acute respiratory syndrome coronavirus2). Or, la Chloroquine est un antiparasitaire. Ainsi, le mécanisme par lequel la Chloroquine agirait sur un virus n’est pas encore élucidé par les chercheurs à partir de l’épisode actuel de l’apparition du Covid-19. Par contre, l’Apivirine étant un antiviral, son efficacité sur le SARS-CoV2 qui est un virus est logiquement plus plausible et plus compréhensive que celle de la Chloroquine. Cependant, même plus plausible, les étapes des tests sont nécessaires pour une nouvelle qualification. Le gouvernement burkinabé par ses ministères de la santé et de l’enseignement supérieur et de l’innovation n’aurait jamais associé M. AGON si l’Apivirine ne montrait aucun intérêt préliminaire. Le Professeur Somé du Burkina Faso n’a pas, contrairement aux commentaires des médias, démenti avoir été guéri par Apivirine. Il l’affirme tout en étant gêné par sa proximité avec la hiérarchie qui a confirmé l’efficacité du médicament devant le monde entier avant de se rétracter quelques jours après.
Ce sur quoi nous voudrions insister, c’est qu’Api-Palu et Apivirine existaient depuis vingt ans (20) au moins. Ces médicaments sont autorisés et vendus au Bénin et dans plusieurs pays d’Afrique. Or, dans l’opinion aujourd’hui, M. AGON est assimilé aux charlatans et aux vendeurs à la criée dans les marchés et dans les transports en commun. Pourtant, M AGON possède des procès et des procédés. Il a acquis des brevets africains et européens dont Apivirine / European Patent Office EP 1 572 220 B1 – WO 2004/052384 Gazette 2004/26. On voit bien que les produits injustement incriminés sont passés par les étapes de tests et contre-expertises avant les brevets et l’usinage. Une revue interdisciplinaire sur les divers moteurs de la croissance économique, et pas des moindres, Africagrowth Agenda Vol. 13 Issue 4, cite le procès Apivirine en montrant l’importance de certaines inventions qui ont gagné des prix prestigieux sur le plan continental tels que ceux décernés par l’African Innovation Foundation dont Api-Palu a été le lauréat en 2016. L’enseignant-chercheur en politique de la science, de la technologie et de l’innovation, auteur de l’article en question, est en poste à l’Université de Witwatersrand – WitsBusiness School, Johannesburg. Et le Witwatersrand, ce n’est pas rien dans le top cinq (5) des universités du Continent.
L’étape du développement d’Apivirine qui survient avec l’épisode du Covid-19, c’est exactement comme l’est la Chloroquine avec le Professeur Raoult. L’Apivirine n’avait pas pour objet Covid-19 mais, contre toute attente, il se révèlerait efficace contre le virus, comme la Chloroquine aussi se retrouverait dans le starting- block. Logiquement donc, M. AGON a besoin de patienter mais aussi, a besoin de l’aide de l’Etat pour que les organismes assermentés revérifient si ce qui était à l’origine destiné pour la Malaria et le VIH peut satisfaire un protocole anti Covid-19 sans pour autant surseoir à l’urgence de son utilisation thérapeutique. Il faut par ailleurs rappeler que les médicaments à spectre d’efficacité relativement large vis-à-vis des problèmes de santé ne sont pas si rares. Concrètement, les tests cliniques sur la dose thérapeutique quotidienne – posologie – ainsi que la numération des lymphocytes CD4 ou T4 pour constater la restauration du système immunitaire après les prises d’Apivirine sont pressants. Cette même procédure est accordée finalement au laboratoire du Professeur Raoult par le Gouvernement français alors que le débat se poursuit.
L’urgence thérapeutique
Dans les conditions actuelles de pandémie, utiliser la Chloroquine ou l’Apivirine relève de réflexe humain face à l’urgence de soin. En la matière, les spécialistes de la santé devraient pouvoir faire la différence entre le réflexe du praticien qui doit faire tout ce qui est possible pour sauver des vies en situation d’urgence, et le réflexe du chercheur qui doit suivre une procédure rigoureuse avant d’attester de l’efficacité d’un produit. Pourquoi discriminer d’autres médicaments éligibles? Parce que le procédé proviendrait d’un noir, peut-on en effet se demander? Dans l’histoire de la biologie-médecine, les traitements dans des contextes similaires de pandémie sont ainsi réalisés. Le gouvernement béninois pourrait emprunter le même chemin que la France avec Apivirine.
Les deux médicaments, Chloroquine et Apivirine, ont des effets secondaires. Et quel médicament n’aurait pas d’effets secondaires ? L’antipaludéen fabriqué en Occident, le plus vanté de tout temps, le ‘’Lariam’’, handicape et tue pourtant en silence. Les effets secondaires de la Chloroquine, sous sa forme hydroxy-chloroquine (+ OH) ou sous sa forme phosphatée (+ PO4), sont reconnus graves – cœur, yeux, peaux, muqueuses, vertiges, démangeaisons, brûlures etc. – mais n’en arrêtent pas pour autant l’usage. Dans le protocole envisagé par le gouvernement béninois, on peut lire en pages 3-4 que le médicament principal est l’hydroxy-chloroquine ou le phosphate de chloroquine. Le protocole du Gouvernement ne renseigne nulle part sur la molécule qui pourrait être, dans les cas d’effets secondaires graves de la Chloroquine, substituée. L’Apivirine ne devrait-il pas valablement se substituer à la Chloroquine pour cette catégorie de patients ?
L’exemplarité du cas malgache : le ressaisissement de l’Afrique
On ne peut continuer de dénoncer les technologies conventionnelles très coûteuses de l’Occident, la mainmise de l’étranger sur la recherche médicale et la production des médicaments, etc., et en même temps, refuser la promotion à moindre coût (low-cost) des technologies appropriées à base endogène. Les technologies appropriées à base endogène au début de l’industrie pharmaceutique dans l’Occident du 19eme siècle avaient été aussi spéculatives en leur essence. Il y a donc un paradoxe quand l’Occident refuse aux ‘’autres’’ l’échelle d’ascension qui a servi chez lui à remonter la pente. Mao est peut-être celui qui avait compris tôt et anticipé. Dès la première moitié de la décennie 1970, Mao Zedong, toujours Secrétaire Général du Parti Communiste Chinois, charge Madame Tu Youyou de trouver un remède contre le paludisme qui décimait des régions chinoises, mais aussi l’armée de la Chine et du Nord-Viêt-Nam.
Tu Youyou a suivi en effet une formation de pharmacologue et soutenu une thèse sur les théories de la médecine chinoise traditionnelle à l’Université de Pékin. En 1978, elle devient professeur assistante à l’Académie chinoise de médecine traditionnelle. Elle étudie, dans le cadre de la mission confiée par Mao, plus de 2.000 recettes de remèdes traditionnels. 380 extraits de plante sont alors testés sur des souris, et l’un d’eux, utilisé pour faire baisser la fièvre, réduit spectaculairement le nombre de parasites dans le sang. Cet extrait provient de la plante à taxon « Artemisia annua». L’artémisinine et d’autres molécules obtenues à partir de la plante constituent aujourd’hui le traitement le plus efficace au monde contre le paludisme alors que, dans le même temps, les médicaments synthétisés au laboratoire par l’Occident pour la même cause peinent à soulager les milliards de personnes dans le monde. Les prolongements des travaux de Tu Youyou lui ont valu le titre de Co-lauréate du prix Nobel de médecine 2015.
Pas si longtemps que ça ! L’OMS a-t-elle un trou de mémoire ? En 2016, la guerre des médicaments avait déjà pointé son nez dans notre pays, le Bénin, quand, une télévision française a diffusé un film documentaire pour démolir Api-Palu et son inventeur qualifié à l’occasion de ‘’charlatan’’. Un béninois en poste dans un hôpital français avait servi de fil conducteur, un acte évidemment pitoyable ! Il est clair que c’est d’un nouveau Garvey, d’un Amilcar Cabral ou d’un Sankara dont l’Afrique noire a besoin. Quelqu’un d’une peau de carapace qui n’est tenu ni par aucune loge d’aliénation étrangère ni par l’émotion pour moins de victimisation et plus d’actions ici et maintenant ! La jeune génération perçoit certainement qu’en ce moment, c’est Rajoelina et Madagascar qui portent l’espoir quand, en plus, celui-ci anticipe sur l’indépendance financière vis-à-vis de l’OMS. La Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche du Bénin, Mme Yayi Ladékan Eléonore, a pris le devant chez nous avec la mise sur pied d’un Comité des Experts. Mais il faut davantage pour que le geste reste historique.
Le Bénin doit prendre une place à la suite de Madagascar avec un détachement davantage plus ambitieux par l’ouverture sur le test clinique d’autres possibilités thérapeutiques locales en dehors d’Apivirine “in progress”. En effet, Apivirine ne provient pas de l’Artemisia mais bien plutôt d’une autre plante issue du stock intarissable de botanique ancestrale, ewé kara en yoruba, Dichrostachys – cinerea. Par ce truchement, ce sera des millions d’hectares d’arbres à planter et des millions d’emplois dans tous les domaines de la chaîne de production des médicaments puis, dans le transport et la distribution pour un accroissement inédit de la richesse nationale.
Aimé ADJILE SEGLA, Université d’Abomey-Calavi – Max-Planck Institute
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