Covid-19 contre George Floyd: Quand pourrons-nous respirer?

Je me demandais dans ma livraison 30 Mars 2020 si le COVID-19 sauverait le “genre humain.” Je n’en suis toujours pas certain, car les conditions que j’estimais en solidifieraient la fondation (placer l’être humain devant et au centre de nos actions; s’occuper davantage des plus vulnérables; remettre l’état dans son rôle et ne pas abandonner nos vies à un secteur privé omnipotent; cultiver une solidarité qui transcende les frontières, les nationalismes infantilisants, le climat, les religions et les langues) ne pointent pas à l’horizon.

Covid-19 sera vaincu, au moins partiellement; sur le continent africain, il n’a pas engendré les dégâts prévus par les charlatans des chiffres. A peine commence-t-il à reculer que le meurtre hideux de George Floyd vient s’installer sur nos écrans. Ce dernier est plus sensationnel; il représente 7 minutes 56 secondes d’horreur et déclenche une  répulsion instantanée. Toutes les voix — hommes politiques, superstars du cinéma et du sport et célébrités — qui souvent restent muettes sur les injustices que subissent les pauvres, les noirs et les Amérindiens, les “tribals” ou Adivasi comme on les appelle en Inde, les aborigènes, etc… depuis des siècles, se bousculent pour occuper l’espace médiatique. L’indignation est vive et énorme, mais ne résonne pas de la même manière.

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Entre Michael Jordan, la star du basket-ball aux Etats Unis, qui trouve enfin sa voix de noir et Kareem Abdul Jabbar, une autre super star de basket-ball, le fossé est grand. Sans trop s’impliquer, le premier déclare “Je suis aux côtés de ceux qui dénoncent le racisme enraciné et la violence envers les personnes de couleur dans notre pays. Nous en avons assez! Le deuxième, que vous pouvez écouter en cliquant ici, a, comme Muhammad Ali, changé son nom de Lewis Alcindor à Kareem Abdul-Jabbar après s’être converti à l’Islam, en réaction au rôle du christianisme dans l’asservissement et la déracinement culturel des peuples des Amériques. Kareem a boycotté les Jeux Olympiques de 1968 en protestation contre le racisme, ce qu’il a fait toute sa carrière. Après George Floyd, Kareem a exprimé ses doutes et déchirements en affirmant: “J’ai l’impression d’être coincé entre espoir et histoire. L’espoir est que les États-Unis se hisseront à la hauteur de leurs idéaux et surmonteront leurs attitudes raciales lamentables qui finissent par des violences contres les Noirs américains.” Il a supporté Muhammad Ali qui, lors de son boycott de la guerre du Vietnam, avait déclaré que ses ennemis se trouvaient à domicile et non au Vietnam.

Le cas de George Floyd, répandu par les réseaux sociaux, déculotte les États Unis, et porte un coup très dur à la réputation que le pays essaye de se construire, celle d’un champion de la liberté, de l’égalité, et de la démocratie qui, paradoxalement, se sont accommodées de l’esclavage et de lynchages (pendaisons et démembrements corporels publiques de noirs, quelquefois après en avoir fait la publicité et sous forme de pique-nique au sortir de l’église le dimanche). George Floyd est bénin par rapport à ces lynchages bien documentés dans ce rapport. Le projet de démocratie aux États Unis a créé et accepté, des siècles durant, des lois ségrégationnistes qui ont pénétré toutes les institutions et pratiques de la vie économique, politique et sociale. La promesse de l’égalité et de la démocratie raciale va-t-elle enfin les démanteler et se réaliser?

George Floyd n’est pas un athlète de haut profil, il n’avait pas de voix, et n’en a plus. Une violence barbare, qui met en porte-à-faux nos valeurs humaines et de civilité, s’est abattue sur lui. L’émotion est forte, mais lorsque la rage se sera estompée, la torpeur prendra-t-elle sa place? Cette colère se transformera-t-elle en un nouveau départ ou sera-t-elle l’un de ces “faux départs” à répétition? La liste est longue et disproportionnée de noirs violentés ou abattus comme des chiens ici aux Etats-Unis (Rodney King, Amadou Diallo le guinéen, Eric Garner, Trayvon Martin, Michael Brown, etc, Ahmaud Arbery, etc…) La liste est longue aussi d’individus qui ont eu le courage de protester pacifiquement comme l’exigent des foules qui déferlent sur les villes du pays de Trump et des “réalistes” de la loi et de l’ordre. Ces passionnés non-violents de justice et de liberté sont victimes de représailles professionnelles, de répercussions brutales et d’ostracisme. Mahmoud Abdul-Rauf (né Chris Wayne Jackson), John Carlos, Tommie Smith, Muhammad Ali et Colin Kapernick sont exemples de personnes à qui les portes de l’emploi ont été fermées ou dont les carrières ont été ruinées.

Si toutes les voix qui s’élèvent aujourd’hui par le monde pour la cause des noirs sont conséquentes, si elles placent l’homme devant et au centre des leurs actions, affaires, écoles, systèmes d’impôts, logements, on assistera à un début de changement, pas seulement pour les noirs, mais aussi pour les millions de pauvres.

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Quant à l’état et ses institutions, il faudrait qu’ils fassent un carême radical et un nettoyage systémique pour se débarasser de leurs nombreuses impuretés. Faire des lois est crucial mais ne suffit pas. L’esprit des lois devrait être bien compris à tous les niveaux.

Les solidarités pour George Floyd se sont manifestées de par le monde. Trop grossier, cet acte, il représente une atteinte monstrueuse à la décence. Même ceux qui ne reprochent souvent rien aux Etats Unis ont été obligés de dire un mot. A la limite, ne rien dire aurait équivalu à une certaine approbation. Que deviendra tout ce monde après George Floyd? Brandiront-ils la Bible (ou tout autre texte religieux) sans appliquer ce qu’elle professe, comme Trump, Bolsonaro ou les putschistes de Bolivie?

Covid-19 a été déplacé pour un moment, peut-être pour de bon, étant donné le déconfinement progressif. Il gênait l’amour-propre et la conscience de pays comme les États Unis, la Grande Bretagne, la France, l’Italie et l’Espagne qui ont été rudoyés. Le narratif traditionnel, la modernité et le discours sur la civilisation ont pris un coup. George Floyd l’exacerbe. Mais pour tous les Africains-Américains, les Latinos et les pauvres de ce monde, les pandémies sont nombreuses et quotidiennes. George Floyd sera-t-il le point de départ de la “décolonisation” des programmes scolaires et des différentes productions culturelles, d’une réforme du système judiciaire et pénitencier, d’une réduction des inégalités sociales, d’un nouveau contrat social qui se débarasserait de l’impunité qui rend facile de tels traitements inhumains des faibles? Ce nouveau pacte se réalisera par la lutte des peuples dominés eux-mêmes, car attendre une éclaircie morale et vertueuse pourra encore durer 400 longues années.

Prof. Simon Adetona Akindes

Department of Politics, Philosophy and Law

Director, Center for International Studies

Université de Wisconsin-Parkside, USA Email: akindess@uwp.edu

2 réponses

  1. Avatar de Tchité
    Tchité

    America was never home and will never be.

  2. Avatar de Tchité
    Tchité

    C’est une question de vie ou de mort. Le système est anti noir et anti africains.

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