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Une décentralisation effective pour impulser le développement local : l’autre défi de la Rupture

La décentralisation, version du renouveau démocratique, est en chantier depuis 2003 mais reste handicapée par les mêmes maux qui n’ont pas permis aux exécutifs des collectivités territoriales d’être de véritables impulseurs du développement DURABLE des villes et territoires de notre pays. Mais la solution durable ne réside pas en une centralisation encore plus forte, en un jacobinisme encore plus résolu. 

Les poussières et polémiques liées aux élections communales pour la 4ème mandature sont retombées. Maintenant est venu le moment d’un Nouveau Départ pour une décentralisation effective. Le Gouvernement de La Rupture en a les moyens. Non seulement parce qu’il est en train de démontrer sa capacité à conduire des réformes audacieuses dont les prémices ont été saluées par plusieurs institutions internationales spécialisées ; mais aussi et surtout parce qu’il s’est donné à priori et au vu de la réforme du système partisan et des résultats des dernières élections communales, les moyens politiques de doter notre pays d’un système d’administration des collectivités territoriales efficace à travers une décentralisation effective. Le fera-t-il ? Wait and see.

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Les maux dont souffre la décentralisation au Bénin 

Les élus locaux, premiers acteurs de la décentralisation, désignent souvent comme premier handicap à son effectivité et à leur efficacité, l’insuffisance des transferts financiers aux collectivités territoriales. Même si cela est avéré, cette réalité n’est pas la principale cause systémique. La preuve en est le faible taux de consommation des fonds alloués aux Communes via le Fonds d’Appui au Développement des Communes (FADEC). 

Sur la liste des causes de l’échec relatif de la décentralisation au Bénin devraient certainement figurer les facteurs suivants : a) l’État central est historiquement réfractaire au principe de subsidiarité, son ADN et ses réflexes étant ceux d’un État jacobin ; b) les politiques publiques sectorielles ne sont pas systématiquement territorialisées ; c) les exécutifs locaux et leurs administrations ne disposent pas des capacités managériales requises pour impulser et piloter le développement local, d) leurs tutelles n’ont pas intégré leurs rôles de facilitation de la décentralisation alors que les services déconcentrés de l’État ne sont que nominalement au service des Communes ; et enfin, e) le financement du développement local est inadéquat et insuffisant. Trois mandatures de gouvernement locaux n’auront pas suffi à guérir notre pays de ces maux. 

L’État est réfractaire au principe de subsidiarité, principe fondateur de la décentralisation 

La décentralisation est une entreprise éminemment politique qui consiste à la fois en un transfert et en une création de pouvoirs au niveau infra-national dans le but d’enraciner et d’accélérer le développement d’un pays donné. Mais, parce que les coalitions d’intérêts politiques et économiques ont en commun au Bénin (comme en général en Afrique francophone) une volonté centralisatrice pour diverses raisons, les réformes politiques et administratives ne conduisent pas à créer des autorités locales autonomes et responsables pour plus d’efficacité de l’action publique. Comme si la composante décentralisée de l’État était un État d’ailleurs, un État extra-national.

En fait, l’esprit fondamentalement centralisateur est consubstantiel à la pensée politique au Bénin, tous partis et acteurs politiques confondus, ainsi qu’aux systèmes et mécanismes de fonctionnement de l’administration publique centrale. L’absence d’une composante décentralisée dans le plan national de la riposte face à la crise de la COVID19 en est, s’il en fallait, une parfaite illustration. Cette pandémie bien qu’étant une crise exogène est aussi une menace asymétrique. Il est établi que les pays qui ont adopté une riposte bien cordonnée mais décentralisée sont ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats à ce jour.

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L’absence d’une territorialisation systématique des politiques publiques sectorielles 

Une telle territorialisation, processus dynamique de spatialisation qui permet d’assurer la contextualisation dans les territoires des politiques sectorielles, devrait entre autres produire le référentiel nécessaire devant servir de base aux transferts de ressources (humaines et financières) aux Collectivités territoriales en fonction des compétences des ministères sectorielles dont la mise en œuvre a été conférée aux Communes selon les lois sur la décentralisation. C’est l’approche territoriale qui permet à la décentralisation de porter des fruits en temps qu’instrument d’ancrage et de contextualisation des politiques publiques nationales dans les territoires, d’amplification des impacts des investissements publics, de correction des inégalités territoriales par une bonne modulation de l’action publique et une valorisation des potentialités respectives des Communes et de leurs communautés. 

On peut d’ailleurs se demander sur quelles bases objectives et systématiques les ministères sectorielles décident de leurs contributions au FADeC-affecté qui est la rubrique dédiée aux ressources transférées par les ministères sectoriels aux Communes. Cette année, malgré une dotation globale du FADeC en hausse (de 42,39 milliards en 2019 à 47,238 milliards en 2020), cette rubrique a connu une diminution de 2,7%. 

Selon la « Note analytique sur les finances locales » du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF, Décembre 2019) « La diminution observée s’explique principalement par le souci du Gouvernement de mettre d’abord en cohérence la politique nationale avec les cadres budgétaires communaux au niveau de certains secteurs ». Cette volonté de mise en cohérence est louable. Elle devrait être systématique et s’opérer à travers la territorialisation (dans chaque Commune) des politiques publiques sectorielles. 

Sommes-nous en train d’assister à une centralisation accrue ? 

Certains signes pourraient le faire croire comme la mise en place d’agences d’exécution à compétences nationales et qui prennent en compte certaines compétences de maître d’ouvrage des Communes sans obligation (pour le moment ?) pour ces agences de passer des contrats de délégation avec les Communes. Par ailleurs, on peut aussi relever dans le même budget 2020 de l’État, que les crédits délégués par les ministères aux services déconcentrés de l’État (SDE) ont connu un bond de 43% ! Signes d’une déconcentration accrue en lieu et place d’une décentralisation effective ? Autre exemple : l’arrêté ministériel portant répartition des dotations FADeC pour 2019 précise qu’un reliquat de 3,96 milliards de F.CFA du FADeC non affecté mais destiné à des projets communautaires, sera réparti après identification des communautés bénéficiaires. Dans la logique du principe de subsidiarité, ceci paraît anachronique car « ce reliquat » devrait faire partie des transferts non-affectés, les exécutifs locaux étant mieux placés pour conduire cette action dans le cadre plus global des plans de développement de leurs Communes respectives. En réalité, le fonctionnement de la tutelle des Communes et des services déconcentrés de l’État inhibe l’initiative et l’action des autorités locales, au lieu de les faciliter comme en disposent les textes sur la décentralisation.

La hantise d’une décentralisation de la corruption est souvent citée pour justifier une centralisation croissante

Ceci n’est pas sans fondement surtout en matière de gestion foncière. Et pourtant, le maire est probablement le gestionnaire public le plus contrôlé au Bénin. On peut dénombrer une dizaine d’institutions, d’administrations ou encore de mécanismes de contrôle et d’audit des comptes des exécutifs communaux. Sans compter que les maires peuvent parfois « subir » jusqu’à six (06) missions d’audit en une année dont certaines sont diligentées par les partenaires au développement. De toute évidence, ce trop-plein de contrôles ne donne pas satisfaction et n’a pas conduit à améliorer substantiellement la gestion communale.

Les exécutifs locaux et leurs administrations ne disposent pas des capacités managériales requises pour impulser et piloter le développement local

Nos communes ont d’abord besoin, à la tête de leurs exécutifs respectifs, de véritables managers du développement qui peuvent compter sur de véritables administrations de mission dotées en ressources humaines avec des qualifications en relation avec les compétences transférées, les défis de leurs populations et les potentialités de leurs villes et territoires. De toute évidence, ce ne fut pas le cas pour les trois précédentes mandatures caractérisées par des exécutifs qui se sont surtout consumés dans des rivalités politiciennes, et un clientélisme aux antipodes des exigences d’un tel management. Par ailleurs, les administrations locales sont démunies en expertise et savoir-faire. Elles sont majoritaires les communes qui, dans leurs administrations locales, disposent de moins de cinq cadres de niveau A. On ne devrait pas s’étonner que les fonds FADEC alloués soient souvent peu consommés (reportés d’années en années) ou simplement mal exécutés avec des impacts insuffisants. Il ne reste plus aux populations qu’à espérer que les conseils communaux de la 4ème mandature puissent avoir meilleure fortune. 

Luc M. C. GNACADJA 

Président de GPS-Dev
Ancien Ministre (Environnement Habitat & Urbanisme
Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies

2 réponses

  1. Avatar de Analyste Senior
    Analyste Senior

    Merci pour cette publication qui s’inscrit dans une culture de contributions positives de la part de l’auteur.

    La décentralisation de la réponse au COVID n’aurait pas été une bonne idée en l’absence d’autorités locales compétentes pour la mener à bien, en l’absence du rôle de facilitation des structures déconcentrées de l’État, bref, vu le constat que pose l’article. À mon humble avis, la centralisation actuellement constatée doit être un choix de raison et d’efficacité que d’être liée à la fibre centralisatrice qui caractérise en général les pouvoirs au Bénin.

    Je crois que le dernier aspect développé dans l’article est le point d’amorce pour remédier aux diagnostics posés par l’article. Les administrations locales ont d’abord besoin de voir leurs politiques RH repensées : effectifs, structures et recrutement adaptées aux besoins locaux, formations continues autant sur les compétences territoriales que de leadership, de lutte contre la corruption, etc.

    Le fait que les maires soient parfois amenés à « subir » jusqu’à six (06) missions d’audit en une année dont certaines sont diligentées par les partenaires au développement est une illustration de l’absence de confiance dans les compétences locales.

    Avec le peu qui leur est alloué (au moins 400 millions au dire du ministre actuel), plus les exécutifs locaux et leurs administrations brilleront par la compétence, l’utilisation à bon escient desdits fonds et faire de leurs communes des exemples en matière de gestion et de développement, plus le pouvoir central et les partenaires techniques et financiers (PTFs) leur feront davantage confiance, ce qui se traduirait par une décentralisation plus effective. Les pesanteurs politiques ne sont pas bien loin, mais on peut commencer à mieux faire dans le cadre actuel pour espérer faire bouger les lignes, et cela passe d’abord par des administrations et exécutifs locaux compétents.

  2. Avatar de Napoléon1
    Napoléon1

    Cela ne peut pas être autrement quand les pays africains une fois independants ont continué là, où le colonisateur s’était arrêté . Comme si la gouvernance ou l’administation coloniale était semblable à celle d‘une nation libre.
    Les noirs forment le peuple le plus inconscient de sa condition sur cette terre. Voilà un peuple colonisé, mais dès qu’on lui suggère la fin de la colonisation, ils n’ont la seule imagination que celle de s’administrer comme le colonisateur. Ils continuent tous à porter les prénoms donnés par le colonisateur, ils ont abandonné leur propre langue pour hisser la langue du colonisateur comme langue officielle. Ils ont continuer d’utiliser la monnaie créée par le colonisateur. En Afrique noire on a le sentiment que si le colonisateur n’avait pas été là, ce peuple n’aura jamais existé. La grande question est de savoir, ce qui a pu favoriser cette aliénation collective en Afrique francophone.

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