Au Bénin, la pêche maritime artisanale est une activité héréditaire qui se transmet de génération en génération. Bien qu’elle n’offre pas de gros revenus, elle fait vivre une grande partie des populations côtières du Bénin. A Grand-Popo, une ville côtière du sud-ouest du Bénin, à proximité de la frontière togolaise réputée pour cette activité, la filière bat de l’aile. Bien qu’elle continue de nourrir son homme, elle a connu des hauts et des bas et mérite d’être réorganisée. «Ici, la pêche est affaire d’héritage. Mon grand-père l’a légué à mon père et lui à son tour me l’a légué », confie Maurice Attiogbé, un pêcheur rencontré ce lundi 16 novembre 2020 sur la plage de Grand-Popo.
Avec un groupe d’une dizaine de pêcheurs, il prépare la pêche du lendemain. Cette préparation prend en compte le rafistolage des filets, la révision du moteur de la barque, les prévisions de carburant…Pour aller en mer, il faut se lever très tôt et on n’a pas souvent le temps de faire ces vérifications le jour de la pêche. Ce groupe de pêcheurs décharge alors deux tricycles remplis de filets. En bande de quatre à cinq, ils chargent les filets au cou et vont les déposer dans la barque motorisée qui doit braver les vagues de la mer le lendemain. Au niveau de cette barque, le mécanicien s’affaire à vérifier l’état du moteur et à remplir le réservoir. Deux vieux, la soixantaine environ font du rafistolage. Ils repèrent les endroits où les filets sont défectueux et les réparent avec de gros fils et de grosses aiguilles. Ils préparent ainsi l’arsenal de pêche. A en croire Yao Expédit Dovi, enseignant à Grand-Popo et fils de pêcheur, cet arsenal est composé de filets, de flotteurs, de pagaies, d’eau, de nourritures. Ceux qui passent la nuit à la mer ont la glace, la glacière, pour congeler les poissons. Il y a aussi,les foyers ou réchauds pour la cuisine.
Les types de filets
Les filets ou lignes sont de diverses sortes. A Grand-Popo, les pêcheurs utilisent le plus souvent trois sortes. «La scène de plage», «la scène tournante» et «la scène dormante». Au nombre de celles-ci, la scène de plage mobilise un grand nombre de personnes qui, à la queue leu leu, tirent la ligne de la mer sur de longues distances. C’est elle qui offre de bons rendements. A ces trois premières, s’ajoute un autre type de ligne dite «Aguinnin», qui est une sorte de labyrinthe pour les poissons. Aux filets, les pêcheurs accrochent des gonflables en guise de flotteurs, qui permettent de reconnaître la limite de la ligne. Ces lignes sont de tailles impressionnantes. Les pêcheurs expliquent que c’est en moyenne 400 à 500 m de longueur. Mais, «La scène de plage» atteint 800 voire 1.000 m de longueur, et nécessite 13 à 15 m pour son déploiement.Le coût d’un filet varie du type de filets à un autre. Le prix d’un filet varie selon que le filet est à petites ou grandes mailles. Mais, un pli de filets peut coûter jusqu’à 12000F CFA. Pour se procurer une barque motorisée, il faut aller au Ghana. Car, l’expertise est ghanéenne. A Grand-Popo, on ne fabrique pas de barque motorisée. Les barques fabriquées mesurent entre 4 et 22 mètres de long et leurs prix varient entre 300 000 et 5 000 000 F CFA.
Des contrats et une organisation huilée
«Parmi nous, il y a des personnes chargées de chanter et motiver l’équipage, assurer le déploiement des filets, etc., et de retour de la pêche, il y a du côté de la plage, des jeunes qui viennent tirer les filets et qui transportent les prises, consignées dans des bocaux, jusqu’à destination», informe Félix. A part les femmes curieuses qui viennent aider les pêcheurs à tirer les filets de mer, tous les membres d’un groupe de pêcheurs ont un contrat avec le propriétaire de la barque. Et c’est le propriétaire de la barque qui embauche des gens pour la pêche. Le contrat se fait sur un an. La rémunération annuelle est connue par chacun. Il met en place une caisse pour y conserver les revenus journaliers de la pêche. Dans les clauses du contrat, soit le pêcheur reçoit une partie avant de commencer soit il fait le travail et quand il a des difficultés financières au cours de l’année, la caisse l’assiste. A la fin de l’année, la caisse fait le point de ce que chacun a déjà perçu de quelque manière. Et selon le montant contenu dans le contrat de chacun, on lui remet ce qui lui reste à percevoir.
Vente sur place
Une partie de pêche peut durer 8 à 10 heures de temps. Chaque jour de la pêche, le travail commence déjà entre 4 et 5 heures. Une partie de l’équipe va à la mer pour jeter les filets et faire les manoeuvres nécessaires. 5 à 6 heures d’horloge plus tard, presque tous ceux qui sont dans la barque, rejoignent la rive pour s’associer à ceux qui sont restés au sol afin de tirer les filets. Après, le fruit de la pêche fait objet d’un tri selon la catégorie de poissons et leurs tailles. Une partie de la moisson est distribué à tous ceux qui ont pris part à la partie de pêche. Le reste de la moisson est vendu sur place. Les hôtels et restaurants viennent s’approvisionner. Il y a les femmes aussi qui viennent acheter les poissons pour les transformer. Certaines les font fumer pour bien les conserver afin de les revendre dans les marchés environnants comme celui de Comé. Paul Kouassi renseigne qu’ils (les pêcheurs) vendent 50 à 500 milles par jour de pêche. Et l’argent de cette vente va dans la caisse.
Des difficultés rencontrées
Dans leur quête de gain quotidien, les pêcheurs risquent leur vie. Ils affrontent la mer lors de la traversée et du retour et un naufrage de la barque peut subvenir. Yao Expédit Dovi informe que de plus en plus, il y a la rareté des espèces halieutiques et une concurrence déloyale des navires industriels. «Il y a aussi la densité des pêcheurs sources de nombreux conflits en mer », renseigne-t-il. Mieux, il estime qu’il a un manque de politique adéquate de pêche et un manque de financement. Il est extrêmement difficile aux pêcheurs de trouver de crédit et de crédit à moindre taux d’intérêt. Le niveau technologique des pêcheurs marins béninois reste relativement bas dans la mesure où ils n’ont bénéficié d’aucune véritable formation pour améliorer leurs performances. Le problème de la relève des vieux pêcheurs se pose également du fait de l’intensité de l’exode rural dans la plupart des campements de pêche. En clair, «l’État qui devrait soutenir les pêcheurs ne le faisait jamais ».
Des contraintes
En 2016, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a suggéré au pays de ne pas excéder une capture de 15 000 tonnes par an en mer, au risque de mettre en danger la biomasse. Or, selon Yao Expédit Dovi, les types de filets utilisés par les pêcheurs de Grand-Popo sont les filets à petites mailles qui capturent toutes sortes de poissons. Par contre, le chef d’arrondissement centrale de Grand-Popo, Benjamin Koulétio, affirme que les filets utilisés par les pêcheurs sont réglementaires. Il y a aussi l’érosion côtière dont l’intensité entrave l’occupation durable des sites. La pollution des mers due aux rejets des déchets toxiques ou nuisibles notamment phosphates togolais déversés à la mer empêchant la reproduction des espèces halieutiques et leur survie. L’effet des changements climatiques, la rareté des pluies, l’insuffisance des moyens de surveillance et de protection des eaux et le non-respect des zones de pêche réglementaire sont autant de contraintes pour la pêche maritime. Le phénomène de la barre qui réduit considérablement le nombre des marées constitue aussi une contrainte à ce type de pêche.
L’Etat a-t-il démissionné ?
Tenant compte des grandes orientations de la politique de développement rural et des engagements pris par le Bénin au regard du code de conduite pour une pêche responsable, la politique retenue pour le développement durable du sous-secteur pêche vise trois grands objectifs spécifiques dont l’amélioration des conditions de vie et de travail des communautés de pêche et le renforcement des capacités organisationnelles et institutionnelles du sous-secteur. Mais, voilà! Sur le terrain et au niveau des pêcheurs, il n y a pas de trace des actions de l’Etat. Au niveau de la mairie, même si des réflexions sont menées et sont en cours pour mieux l’encadrer, ce secteur reste mal maîtrisé et mal organisé. Et les pêcheurs opposent une fin de non-recevoir à la redevance que demande la mairie.
Prince Amassiko, Partenariat LNT / OSIWA
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