Dans l’Atacora/Donga, l’alcool frelaté devient l’une des causes des décès fréquents des jeunes. Cette boisson dangereuse, fabriquée à base des produits chimiques, cancérigènes et dangereux, continue d’être consommée à une très grande échelle. Les nombreuses sensibilisations menées n’ont pu amener ces jeunes à abandonner la consommation de cet alcool qui tue en silence. Pendant ce temps, ces commerçants véreux qui l’importent continuent à faire de gros bénéfices en laissant les jeunes mourir.
Il y a plus d’un mois, Émile Kassa quittait Natitingou pour se rendre dans un champ de coton à Tempéré dans la commune de Toucoutouna. Au soir du deuxième jour des travaux, accompagné d’un de ses amis, ils se rendirent dans un kiosque du coin, terminent un litre de Sodabi au bout d’une heure. La suite sera dramatique. Sur le chemin de retour, Karim fit un grave accident. Sans contrôle, il heurte avec sa moto un gros tronc d’arbre et tombe brutalement. La moto s’est renversée sur lui. L’une de ses jambes est complètement broyée. Admis en urgence à l’hôpital St Jean de Dieu de Tanguieta, les médecins s’affairent toujours autour de lui. Daniel Naouan, jeune opérateur économique et proche parent à lui peine à croire que c’est le Sodabi frelaté qui a causé cet accident pour manque d’inattention, l’obligeant à débourser depuis plus de trois semaines, au minimum huit mille francs chaque jour pour assurer les soins à Karim, son cas étant un peu critique.
« Ce qui se passe est grave. C’en est trop et ça décime plus que certaines pandémies qu’on connait aujourd’hui. Avant, nos parents nous disaient que ce n’était pas facile à s’en procurer, parce que le vrai Sodabi provient du palmier à huile et subit un long processus de fabrication », dit-il. Ils en consomment presqu’ un peu partout dans le département de l’Atacora, à un rythme effréné et effrayant. Du Sodabi frelaté. Un semblant de Sodabi qui se fabrique surplace par des « connaisseurs en la matière ». Selon les investigations menées, tout se déroule dans des enclos. On évoque des noms de comprimés à forte dose chimique, issus de la contrebande, » Tramadol », « 4 Carré » qui sont introduits dans des bidons de 50 litres, remplis d’eau et qui bouillonnent au bout de plusieurs heures pour prendre la forme de Sodabi.
D’autres fabricants véreux se serviraient également des feuilles de tôles usagées ou encore des carbures pour aboutir au même résultat. Le consommateur se préoccupe peu de la qualité, pourvu que ça l’ébranle suffisamment. La commune de Toucoutouna, une petite agglomération rurale du nord Bénin, d’à peine 40.000 habitants au dernier recensement de 2013, compte environ 30 villages. Et il y a au moins un kiosque de Sodabi frelaté par village. « Il n’ y a pas de plantations de palmiers à huile dans tout le nord. Je ne vois jamais non plus des camions qui convoient vers ici des bidons du vrai Sodabi en provenance des régions productrices, mais ces kiosques sont toujours alimentés » s’étonne Daniel Naouan. « Aujourd’hui, si vous allez dans toutes nos campagnes ici dans l’Atacora, il n’y a plus de jeunes, ni de bras valides », regrette-t-il, avouant aussi que « la proximité de nos parents avec cette boisson frelatée fait aussi qu’ils en consomment tant ».
Membre du conseil communal de Toucoutouna à la mandature précédente, Daniel Naouan rapporte qu’ils avaient entrepris beaucoup d’actions pour combattre ce fléau en descendant dans des marchés pour saisir des quantités de bidons de Sodabi frelaté et fermer des kiosques. « Il faut reconnaître qu’on n’avait pas été aussi appuyé parce qu’on avait aucun texte sous la main qui prouvait que cet aliment n’était pas consommable. On ne se contentait donc que de la sensibilisation, or avec nos parents, il faut aller à la répression », martèle- t-il.
C’est les gens du Sud qui nous ont amenés ça
Plusieurs habitants de Tanguieta, de Materi ou de Toucoutouna disent être envahis, depuis de longues années, par des vendeurs de Sodabi provenant du Sud Bénin et précisément des départements du Mono et du Couffo. « Ils amènent au début du vrai Sodabi, mais dès que leur stock s’épuise, ils commencent à tout fabriquer surplace », dévoile un sage de Tanguieta. « Ici chez nous avant, tout ce qui sentait de l’alcool était extrait du sorgho. C’est avec l’exode en pays bariba qu’on avait connu cela. Et rares étaient les personnes qui savaient le faire. Aujourd’hui, nos frères « Dadjè » du Couffo sont les maîtres ici dans ça. C’est eux qui détiennent tous les kiosques dans nos villages.
Ils s’en sortiraient pas mal, avec de gros bénéfices. Les ingrédients dangereux servant à fabriquer le Sodabi frelaté ne coûteraient pas plus de 5000Fcfa pour un bidon de 25l qui rapporte au 18 à 20.000F au vendeur. Amété Aubain, un tenant de ces kiosques à Tanguieta jure ne livrer lui que du « vrai Sodabi ». Il se défend : « Moi je ramène toujours mon Sodabi de Klouékanmè, d’où je suis. Je ne sais pas le cas des autres vendeurs ». Il poursuit avec plus d’arguments : « Vous savez, on dit l’excès en toute chose nuit. Ici dans le Nord. Les gens sont accros des dépassements en tout. Même la meilleure boisson au monde ne doit pas être consommée au delà d’une certaine dose. Mais comment voulez-vous que nous refusons de vendre un litre de Sodabi à quelqu’un s’il se sent capable de tout prendre. Aucun texte ne dit à un commerçant de ne pas vendre son produit au-delà d’une certaine quantité ». Des affaires, ils en font effectivement pendant que des populations en meurent. Ces vendeurs de Sodabi frelaté seraient des magnats financiers ayant consenti de lourds investissements, surtout dans le secteur immobilier dans tout l’Atacora. L’un des immeubles les plus indexés, serait celui à trois étages, tout carrelé, situé à quelques encablures du parc gros porteur, juste à l’entrée de Tanguieta.
« Tous coupable… »
« Ici, tout le monde consomme du Sodabi frelaté. Même les enseignants. Surtout ceux du primaire. C’est dans les maisons des maîtres et des directeurs d’écoles que les rendez vous de Sodabi sont les plus fréquents », déplore Wakouté Saguifa, Chef d’arrondissement de Cotiakou dans la commune de Toucoutouna. Les gens en meurent et s’en foutent. Les jeunes vont travailler dans les champs pour gagner 500f à 1000f par jour et mettent tout dans du Sodabi. « On continue de les sensibiliser, mais ça ne donne rien toujours. Tout le monde est coupable. Autorités, parents, sages, notables, populations. C’est une véritable catastrophe dans tout l’Atacora », s’indigne-t-il.
« La bonne qualité du produit n’est pas leur problème. Si aujourd’hui, vous avez une simple cérémonie et vous n’avez pas du Sodabi quelle que soit la qualité, vous n’avez rien fait selon la population. Le Sodabi est consommé par tout !e monde, hommes comme femmes. Le Sodabi a divisé des familles. Il a détruit la production. La plus grande partie des recettes des travailleurs et autres revenus rentrent dans la consommation du Sodabi frelaté ». L’autorité locale pense que « nous sommes tous responsables. Nous protégeons le phénomène, c’est pourquoi la lutte n’aboutit jamais ». Il se fait encore plus clair sur la question : « Les autorités politico-administratives ont peur d’affronter ce trafic et les trafiquants, parce que derrière, se cachent de gros bonnets et de grands soutiens électoraux».
Celui qui est nommé a peur d’être limogé et celui qui est élu a peur d’être impopulaire « Il y a eu dans le passé, à le croire, une autorité du coin qui a fait preuve de courage face à ce phénomène. « Des gens ont laissé des plumes dans ce combat comme le colonel Adolphe Biaou, ancien ministre sous Kérékou et ancien maire de Natitingou. « C’est l’homme légende dans la lutte contre le Sodabi frelaté dans l’Atacora. Mais le revers est qu’à chaque élection, on dressait des gens contre lui pour empêcher tout vote en sa faveur », déplore-t-il. « Ici au niveau du département, du préfet jusqu’au dernier conseiller élu du village, tout le monde a en vérité peur de mener une vraie lutte contre le Sodabi frelaté, un peu comme c’est le cas de l’essence frelatée », avoue le CA Wakouté Saguifa.
Des maires marchent contre le fléau….en vain
A travers une marche organisée, courant décembre 2018, tous les maires de l’époque à la tête des neuf communes que compte le département de l’Atacora ont organisé dans les rues de Natitingou une gigantesque marche contre le Sodabi frelaté. Entourés des populations, en majorité des jeunes sortis massivement, ils entendaient ainsi attirer l’attention des autorités départementales et surtout du chef de l’État sur la situation alarmante de la commercialisation et de la consommation de l’alcool frelaté dans leurs communes respectives. « Qu’il s’agisse du Sodabi, des passifs et certaines liqueurs, ces alcools sont fabriqués à base des ingrédients toxiques. La situation la plus alarmante est celle des enseignants et des jeunes qui se noient dans l’ethylisme chronique »avait fustigé à l’occasion, leur porte parole, Moussa Abasssi, ex maire de Kouandé.
Les maires marcheurs ont qualifié le Sodabi frelaté de « poison », laissant dans leurs communes une population impulsive, une jeunesse alcoolo-dépendante, et des citoyens vides de l’intérieur en situation conflictuelle avec eux-mêmes et sans estime de soi ». Ils avaient lancé ce cri d’alerte, tenant d’une mise en garde: « la liberté du commerce ne tient pas face à la santé publique. L’empoisonnement collectif doit cesser par une interdiction juridique spécifique de l’offre de l’alcool et notamment du Sodabi », Le Préfet de l’Atacora Lydie Déré Chabi Nah qui accueillait ce jour-là les maires marcheurs avait promis que des dispositions seront prises à cet effet, révélant que, « le Chef de l’État était déjà informé du fait que l’alcool décime les populations de l’Atacora ».
Elle avait rassuré que d’ici quelques jours « des mesures fortes seront prises du côté du palais de la république pour qu’enfin nous puissions booster ce fléau hors des frontières de notre département ». On était en 2018. Deux ans après, le mal est toujours là et continue de détruire la population locale. Aucune forte ni faible mesure prise à ce jour, depuis sommet de l’Etat jusqu’au au niveau départemental. « Les réflexions se poursuivent toujours », affirme une source préfectorale à Natingou qui préfère ne pas en dire assez sur ce qui est prévu dans les jours et semaines à venir. « Tous ceux qui s’adonnent à la vente du Sodabi frelaté seront bientôt surpris », avertit-elle.
De graves cas de cirrhose du foie, des buveurs témoignent
A l’hôpital St Jean de Dieu de Tanguieta comme au Centre Hospitalier départemental de Natitingou, des jeunes presque mourants pour avoir abusé pendant longtemps de l’alcool frelaté sont enregistrés au quotidien. « Nous recevons régulièrement. de graves cas de cirrhose de foie, de stéatose avec une accumulation au niveau du foie, de fibrose, de l’hépatite aiguë alcoolique, de gastrite chronique qui est une inflammation de la paroi intestinale ou encore de la pancréatique. Des cas qui souvent sont à des niveaux d’aggravation si avancés que les traitements auxquels sont soumis les malades se révèlent inefficaces et mort s’ensuit », se désole un médecin à Tanguieta sous anonymat. « Il n’y a aucun organe qui ne soit touché par la consommation excessive d’alcool, le cerveau et le système nerveux en premier qui plus est, du Sodabi frelaté avec sa forte dose de toxicité », insiste-t-il.
« J’ai commencé à boire du Sodabi d’ici depuis 15 ans, au moins un litre par jour à l’époque. Je sentais souvent des douleurs de ventre et une grande faiblesse, je faisais aussi régulièrement de la dysenterie, mais je continuais à boire pour tuer le temps, parce que je n’avais aucun emploi Quand je trouvais 500f par le biais d’un petit job, j’allais toujours boire avec une bande d’amis », confie un consommateur d’alcool. « J’ai commencé par prendre du Sodabi depuis l’an 2000. Et je ne me rendais pas compte que c’était du frelaté. Quand je me réveille à 5 h du matin et je n’avale pas un demi litre, je ne me sentais pas bien. Même quantité à midi et à 19h. Et parfois, je continuais jusqu’au petit matin sans revenir à la maison. J’ai été déjà hospitalisé plusieurs fois pour l’alcool. C’est quand, il y a quatre ans, j’ai vu un de mes doyens dans l’alcool et un patron en peinture mourir devant moi de cirrhose du foie à Tanguiéta, j’ai décidé de cesser de boire. », précise un autre.
Des témoignages de deux jeunes tous natifs de Natitingou actuellement en traitement chez un spécialiste et guérisseur traditionnel qui ,depuis trois mois environ, a ouvert un centre pour apporter des soins à ces jeunes soulards du nord et les mettre définitivement à l’abri de ce fléau. Il se nomme Dr Yane Sotima, très connu depuis peu dans la zone. Son centre se situe sur la route de Kouarfa. « C’est difficile de faire la différence entre un malade de sida à la phase finale et des consommateurs abusifs du Sodabi frelaté que je reçois ici dans mon centre pour traitement. Ils sont presque comme des squelettes avec des yeux pâles, des lèvres et des paumes très sèches. On dirait qu’il n’y a plus de sang dans leur corps. Mais grâce à Dieu et avec notre savoir faire, nous arrivons à guérir beaucoup d’entre eux », affirme-t-il.
Il confie avoir déjà traité aussi plusieurs femmes dans le centre souffrant des maladies découlant de la consommation excessive du Sodabi frelaté. Et d’ajouter, le cœur amer: « A Natitingou et dans tout l’Atacora aujourd’hui, c’est des vieux qui enterrent aujourd’hui les jeunes et non le contraire à cause de l’alcool et surtout du Sodabi frelaté. Sur 100 décès enregistrés ces dernières années dans le monde des jeunes ici, 80% sont liés à l’alcool et particulièrement au Sodabi frelaté selon mes recherches personnelles ».
*Erickson Assouan Partenariat OSIWA-LNT*
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