(Enquête) L’accès aux pompes funèbres à Agbangnizoun : Ces « morgues traditionnelles » qui font la loi

La conservation traditionnelle des corps est une pratique ancestrale culturelle et cultuelle qui résiste aux temps dans la commune d’Agbangnizoun. En dépit des nombreuses mesures d’interdiction et les multiples campagnes de sensibilisations, la commune conserve ses « morgues traditionnelles » au mépris de l’hygiène et des risques sanitaires.

C’est une pratique séculaire observée très souvent dans les familles royales et très peu dans les familles roturières.  Selon des sources concordantes, la principale raison du maintien de cette pratique est l’opposition à la conservation des corps dans des chambres froides. Ce qui a poussé certains chefs de collectivités et rois de la localité à interdire à leur progéniture de les envoyer à la morgue, une fois décédés. « C’est comme une souffrance imposée à son corps », nous a confié un descendant de la lignée AFFEDJOU, chef traditionnel à Lègo, l’un des quatre villages de l’arrondissement de Sinwè, situé à plus de 30 kilomètres du centre-ville.

Le phénomène s’explique également par la précarité des familles qui ont du mal à payer les frais de la morgue, a expliqué un sage du village de Tanta dans l’arrondissement d’Agbangnizoun. Une précarité due à la crise économique et à la rareté d’emplois stables des jeunes et des bras valides de la commune, a confié Daah Kpodjètô, régisseur de rites traditionnels. Nous avons aussi rendu visite à un ancien agent de morgue. Bertrand Doko, 34 ans a confié avoir été plusieurs fois sollicité pour les travaux de conservation de corps. A l’en croire, le phénomène s’explique aussi par l’urgence des rituels traditionnels mais aussi et surtout par l’absence de l’aîné ou d’un des enfants du défunt. 

L’exception d’Agbangnizoun…

La conservation des corps date de plusieurs décennies. A Agbangnizoun, les premières conservations remontent aux années d’avant l’apparition des morgues en 1963.A l’époque, les anciens faisaient ingurgiter plusieurs quantités de vin de palme au cadavre pour sa conservation. Une fois le produit injecté au corps, la conservation ne durait pas plus d’une semaine.

A Agbangnizoun, les conditions de conservation de corps sont singulières et propres à la commune. Il est appliqué au corps du défunt un produit traditionnel de couleur jaune appelé « houéhountinkin ». Ensuite, l’agent administre au corps le formol, liquide injecté au cadavre. En effet, ce sont les « Tavi » qui font les rituels des chefs de collectivités et rois qui refusent d’aller à la morgue. Le corps pourra donc faire un, deux à trois mois sans se décomposer. Après avoir injecté tous les produits, le corps est ensuite déposé dans un endroit hermétiquement fermé et inaccessible au public. Si c’est une défunte, on lui met du coton dans les parties intimes pour empêcher l’écoulement du formol, nous informe Janvier Tavi, chef de village de Tanta, l’un des six villages de l’arrondissement d’Agbangnizoun.

Produits nécessaires et interdits…

Les ingrédients qui entrent dans la composition sont achetés dans le marché noir que maîtrisent les Tavi et parfois les agents des morgues. Les produits qui participent à la conservation des corps peuvent coûter jusqu’à 15.000 F Cfa, apprend-t-on. La rémunération varie également en fonction du temps de conservation, nous a confié notre source qui évoque une marge de 10.000 F Cfa. De même, selon les interdits, là où il y a des adeptes de vodoun « Tohossi », il ne doit pas y avoir des corps conservés au risque de faire manifester la divinité.

Les conséquences sanitaires…

La pratique tire ses racines de l’ancestral et la conservation des corps touche la santé publique des populations et est à l’origine de plusieurs maladies qui tuent des milliers de concitoyens. En effet, la pratique n’est pas sans conséquence en raison de la proximité avec la population. « Le cadavre et les personnes vivantes ne font pas bon ménage même si les règles d’hygiène sont respectées », affirme une source proche de la direction départementale de la santé. De ce fait, les risques de contamination par des odeurs nauséabondes dégagées par les corps en putréfaction sont énormes. « Les familles des défunts sont exposés aux maladies contagieuses si les corps sont manipulés sans aucune précaution », ajoute la même source.

« La conservation des corps à domicile et loin des morgues réglementaires respectant les normes d’hygiènes, est totalement bannie. Les pratiques qui s’observent à Agbangnizoun et dans certaines communes du Zou ne sont pas des méthodes de conservation et les corps ne doivent dépasser 48 heures. Car après 48heures, on enregistre déjà la décomposition accélérée et la multiplication des bactéries qui deviennent une source de danger pour la population », affirme Médard Koudébi, président de l’organisation non gouvernementale Bénin Diaspora Assistance et spécialiste de l’hygiène funéraire. « A partir du décès, c’est des dizaines et des centaines de milliards de bactéries qui se multiplient et qui sont très contagieuses. Ça devient des momies après 08 à 10 jours. L’odeur n’est plus normale », nous a-t-il confié. Pour la mairie, ce phénomène est interdit officiellement et ne devrait pas continuer. Pascal Dossa, secrétaire général de la commune d’Agbangnizoun. « Il n’y a jamais eu de plaintes avec la conservation des corps mais on n’a jamais su que ça pouvait faire plusieurs jours »,

Selon les normes, la manipulation, le lavage et la mise en condition des cadavres doivent être assurés par un service spécialisé dans des conditions strictes d’hygiène et d’assainissement, nous a confié un agent de santé en service au Centre hospitalier départemental du Zou. 

Les causes du choix de la conservation…

La conservation des corps dans la commune d’Agbangnizoun répond à des considérations purement cultuelles et culturelles. Généralement, les familles se réunissent et optent pour la conservation en raison de plusieurs contraintes dont l’absence des enfants des défunts. A titre d’exemple, « pour ceux qui ont été tués par la foudre, on ne les enterre pas aussitôt. Leurs corps sont déposés à l’ombre de l’iroko pour consultation afin de déterminer les causes du décès. Cela peut durer entre 8 à 10 jours. Ce n’est qu’après ça que le défunt est enterré», nous confie l’un des sages de la localité. La pratique a la peau dure et selon nos investigations est loin de connaître son épilogue. Les rites traditionnels que doivent subir les défunts et la rareté des ressources financières pour faire face aux dépenses funèbres sont en réalité les causes de ce phénomène largement interdit mais encore pratiqué à Agbangnizoun et dans plusieurs communes du département du Zou. Selon les informations, huit « morgues traditionnelles » sont installées dans la commune d’Agbangnizoun. Une autre non recensée opérerait en toute clandestinité. Un arrêté préfectoral a demandé de les fermer mais certaines continuent hélas d’officier tranquillement.  

 Jacob ANANI, Partenariat OSIWA-LNT

Une réponse

  1. Avatar de Tchité
    Tchité

    Maintenant avec le covid19, c’est un danger public.

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