Maintes fois interdit par la direction générale des douanes du Bénin, l’usage des indicateurs de douaniers continue toujours. Chargés d’aider les douaniers à traquer les contrebandiers, ils sont toujours opérationnels. Et ceci à cause de plusieurs raisons. Jean-Luc est un Klébé ou indicateur de douane au poste des douanes de Ahouicodji. Ce jeudi 28 janvier 2021, sur l’axe Cotonou-Ouidah, il arrête les transporteurs de marchandises et commerçants. Il fouille même les sacs et colis.
Quand il constate la présence de produits prohibés, il fait appel à l’un des deux douaniers avec qui il travaille. C’est ce dernier qui est chargé de décider de la conduite à tenir. Debout, ce Klébé fait le contrôle avec un de ses collègues. Approché, il reconnaît lui-même que le travail qu’il fait est rigoureusement interdit par la hiérarchie douanière. « Je suis dans cette activité, il y a plus de quinze ans. J’ai construit deux maisons et j’ai deux femmes et des enfants. Je suis rentré dans ce système par le biais d’un ami d’enfance qui est douanier et qui m’a aidé à m’intégrer dans le corps à cause de ma condition sociale. Nous jouons un grand rôle aux côtés des douaniers. Il n’y a que deux douaniers ici. Est-ce qu’ils peuvent seuls fouiller les véhicules et traquer les contrebandiers ?… », s’est-il interrogé.
Selon ses propos, ce sont les collaborateurs qui font le gros lot du travail, parce qu’ils maîtrisent le terrain plus que les douaniers. L’un des disciples de Saint-Mathieu sur les lieux a fait comprendre que la présence de ces Klébés est nécessaire à leurs côtés. « Monsieur le journaliste, nous ne sommes que deux ici. Nous ne pouvons pas seuls soulever la barrière et traquer les contrebandiers dans la brousse. Je suis en train d’aller de ce pas dans la brousse suite à l’appel d’un Klébé. C’est grâce à lui que je mettrai la main sur les trafiquants… », avoue-t-il.
Comment devient-on Klébé ?
François Hodonou, communément appelé Papa Owodé, est indicateur de douane depuis près de 50 ans. Il est père de plusieurs enfants dont un douanier, un policier. Il a expliqué comment certains sont devenus indicateur de douane sur le terrain. « Lorsqu’un douanier est affecté dans une zone, il ne maîtrise pas souvent le terrain. C’est comme ça il commence à s’habituer à certains pour savoir les réseaux de fraude. Parfois, il a besoin d’aide pour ses courses personnelles. Là, il se fait ami à certains jeunes de la zone. C’est de cette manière est née la collaboration entre douaniers et Klébés appelés indicateur de douane. Ce sont surtout les douaniers de la brigade mobile qui ont surtout besoin de collaborateurs… », a expliqué François Hodonou.
Selon ses dires, les indicateurs de douaniers sont beaucoup plus des hommes de terrain qui protègent les douaniers. « Dans la brousse, les trafiquants ont plus peur des indicateurs de douaniers que des douaniers. Je suis indicateur de douane. Tu me connaissais. Tu ne peux pas faire du mal à un douanier avec qui je suis venu dans la brousse. Si le douanier n’a pas d’aide, il ne peut rien faire sur le terrain. C’est le collaborateur qui l’aide à démanteler les réseaux de fraude…. », a-t-il précisé en donnant l’exemple du douanier Santos qui s’est fait tuer dans la brousse à Sèmè-Podji pour avoir poursuivi seul les trafiquants, il y a quelques années. Toutefois, Papa Owodé a reconnu qu’il y a assez de risques dans leurs activités. « Parmi nous, il y en a qui sont morts sur le champ de bataille contre les fraudeurs…. », a-t-il déploré
Résistance de la mafia
Les investigations menées ont révélé que les milieux douaniers sont une zone de mafia qui défie la loi à cause des conflits d’intérêts. A l’arrivée du colonel Charles Inoussa Sacca à la tête des douanes du Bénin en 2017, l’administration douanière a pris des notes de service pour interdire les activités des Klébés aux côtés des douaniers. C’est ainsi que le commandant de la brigade douane port de Cotonou, Bléo Ahossi, a pris une note de service n° 1422/ du 17 mai 2018 portant interdiction de la présence des Klébés sur les parcs de vente de véhicules d’occasion. Pour résister à la hiérarchie douanière, les Klébés ont créé, il y a trois ans, l’Association nationale des aides et indicateurs des douanes béninoises ( Anaidob) présidé par Esaïe Godonou dont l’objectif, selon leurs textes, est d’aider la douane à éviter les manques à gagner et à lutter contre la fraude en dénonçant les éventuels trafiquants. A en croire, Esaïe Godonou, l’organisation est également née pour restructurer les activités des indicateurs des douanes sur le terrain.
« Nous sommes plus de 5000 collaborateurs au Bénin. Pour réorganiser notre secteur, nous avons confectionné des badges d’identification pour qu’on sache désormais le vrai indicateur du faux… », a-t-il fait savoir. A sa grande surprise, selon ses propos, ce sont les douaniers qui ont mis les bâtons dans les roues de l’Anaidob. « Des douaniers ont refusé de travailler avec les membres de notre association. Ils ont peur de nous en pensant qu’on dénoncera leur magouille à leur hiérarchie. Aujourd’hui, ce sont les parents, alliés et amis des douaniers qui sont pour la plupart des indicateurs sur nos axes routiers et sur les parcs, quand bien même il se pose le problème d’effectif à leur niveau. Nous avons aussi des douaniers qui ont des camions en circulation. Ils sont aussi dans la contrebande…. », s’est-il désolé. Pour lui, les décisions interdisant les relations entre douaniers et Klébés par la hiérarchie douanière n’aura pas d’effets dans ces conditions. « Les douaniers ne peuvent rien sans les indicateurs. Mais, tout doit être corrigé pour le bonheur de l’État béninois… », a-t-il conseillé.
Annonce des sanctions
Ces derniers temps, des plaintes fusent de partout contre les Klébés. « Des jeunes gens abandonnent leurs principales activités. Ils vont rester à côté des douaniers pour arrêter les marchandises et poursuivre les commerçants comme des douaniers ou policiers. C’est à cause des Klébés qu’un jeune transportant du Yoyo a été abattu dans son véhicule au carrefour Le Bélier à Cotonou, la fois dernière… », s’indigne un instituteur. Pour beaucoup, c’est la recherche du gain facile qui encourage ce phénomène. Pour mettre un terme aux relations douaniers-Klébés, le directeur général des douanes béninoises, Charles Inoussa Sacca, est revenu à la charge dans les locaux de son service à Cotonou, le mercredi 20 janvier dernier. Il a indiqué qu’il sanctionnera avec la dernière rigueur tout douanier qui va recourir au service des Klébés dans l’accomplissement de sa mission. « Ils sont encombrants dans notre dispositif… », a-t-il déclaré.
Des chefs des brigades mobiles se sont lancés dans la lutte contre les collaborateurs des douaniers. Par exemple, le vendredi 22 janvier dernier au siège de la brigade mobile des douanes à Porto-Novo, les disciples de Saint-Mathieu ont été avertis sur les risques de radiation qu’ils courent en travaillant avec lesdits Klébés. Ce mardi 26 janvier 2021, l’officier supérieur des douanes, le commandant Marcelin Laourou, est amplement revenu sur le sujet des Klébés en montant que l’éthique douanière ne tolère pas les réseaux de fraude. Selon les informations, les procureurs de la République près des tribunaux sont instruits pour déposer en prison tout indicateur qui se ferait prendre sur le terrain. Mais, rencontrés dans les coulisses, de hauts gradés des douanes reconnaissent que leurs éléments ne peuvent rien sans les indicateurs à cause de leur effectif. « Même si l’on recrute 1000 douaniers aujourd’hui, on n’aurait rien fait pour régler le problème d’effectif à la douane. La direction générale a déjà écrit sans succès plus de trois fois au gouvernement pour un nouveau recrutement à la douane…. », s’est indigné un receveur d’un poste de douane. Pour le moment, la collaboration entre les deux corps est toujours active en attendant d’éventuelles représailles de la hiérarchie douanière.
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