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(ENQUETE) Donga : Ces émigrés qui ont développé Djougou

La mairie de Djougou - photo evreux.fr

Au Koweït, en Algérie, en Lybie et ailleurs, des fils de Djougou travaillent dur pour gagner leurs vies. Ils envoient également dans leur ville natale une manne financière importante qui fait le bonheur de leurs familles et de l’économie locale. Retour sur ces fils de la ville-carrefour qui prennent des risques inouïs pour des destinations risquées et des boulots difficiles juste pour survivre et pour faire honneur à leurs parents.

Theodjoukou Mamame, chef Service Protection Civile et Sécurité à la mairie de Djougou attend avec impatience sa nouvelle fiancée, partie travailler au Koweït, il y a déjà 4 ans. Le vol qui l’amène à Cotonou était prévu pour fin février ou dans la première semaine du mois de mars 2021 au plus tard. Ils ne se sont pas encore physiquement rencontrés. Il y a à  peine un an qu’une  amitié à distance a commencé. Un projet de mariage n’a pas tardé à naître. « Sa famille a exigé qu’elle ne revienne pas sans leur présenter un mari et son frère utérin que je connaissais s’est approché de moi pour me faire la proposition de la prendre en mariage. Et tout a été arrangé en peu de temps entre elle et moi. On a tissé et renforcé nos liens à distance » affirme Theodjoukou. Il  se prépare ainsi à prendre une deuxième femme en bon musulman. «  Elle revient avec de la fortune », souffle-t-il à voix basse, heureux d’avoir gérer de bon projets d’investissement pour cette domestique de Koweït, qui en 4 ans, a pu acquérir trois grandes parcelles déjà et est propriétaire d’une habitation neuve de trois chambres-salon bien bâti située dans l’arrondissement de Pélébina à Djougou.

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A l’en croire, elle gagne environ 400.000FCfa si on convertit le dinar koweïtien en franc CFA. Un salaire de rêve pour des employés domestiques exerçant au Bénin et même dans la sous-région. La très bientôt épouse de ce responsable sécurité de la mairie de Djougou est à son troisième ménage de travaux domestiques dans ce  riche pays de Golfe persique où la femme koweitienne est presque vénérée. Elle ne touche à rien dans la maison, si ce n’est que pour préparer quelques mets spécifiques à son mari. «  La plus part du temps, elle est au repos, richement vêtue même à la maison et se veut très désirée par son mari au lit », raconte Sakinatou Soumanou, 56 ans, l’une des anciennes domestiques au Koweït où elle a vécu pendant une dizaine d’années. Revenue au bercail depuis 15 ans environ, elle tient une grande boutique de produits de cosmétiques au centre ville de Djougou. Elle ne se plaint pas non plus avec ses quatre appartements dont trois en location. « J’ai gagné beaucoup d’argent en faisant des travaux domestiques au Koweït. C’est vrai, on subissait des humiliations parfois  avec des patronnes koweitiennes si capricieuses qu’elles vous traitent de tous les noms », fustige-t- elle.

« Mais quand nous voyons ce que nous gagnons et ce que nous pouvons faire avec au pays, on se tait et on subit tout », avoue-t-elle. Quand elle a fini ses études en linguistiques à l’Université d’Abomey Calavi, Naïma Assane, n’a pas tardé à trouver l’opportunité, il y a deux ans,  de partir aussi pour le Koweït, par le biais d’un cousin qui y résidait déjà. Elle croyait décrocher un bon emploi, une fois là bas, mais s’est retrouvée face à la seule possibilité d’être employée domestique, le seul secteur d’activité gracieusement offert aux immigrés.  « Quand j’ai vu que le salaire n’était pas mauvais, tournant autour du demi-million dans la famille princière qui m’a engagée, j’ai sauté dessus », raconte-t-elle. Son contrat venu à terme, elle est redescendue à Djougou. Et si le décès de sa mère ne l’avait pas affectée et obligé à assumer de nouvelles charges familiales, elle serait repartie.

Djougou doit son rayonnement actuel aux immigrés. Tous le reconnaissent dans cette commune du département de la Donga, à dominance musulmane. Depuis plusieurs décennies, ces filles et fils immigrent par milliers chaque année vers des pays proches comme lointains. Les pays musulmans les plus riches de la planète sont aujourd’hui les plus prisés, parce  qu’ils y gagnent beaucoup. Si l’avènement de la pandémie du coronavirus a quelque peu freiné les ardeurs, des pays comme le Koweït, l’Algérie, la Lybie accueillent de nombreux fils de Djougou en quête d’un travail rémunérateur, même le plus insignifiant, pourvu qu’ils gagnent quelque chose de plus consistant que les  rares et maigres revenus de la terre natale.

Les plus beaux édifices, les grandes maisons, les impressionnantes boutiques, des hôtels, des bars, maquis, des milliers de camions et autres biens de valeur appartiennent à ces nombreux immigrés qui pourtant exercent des petits boulots dans les pays du golf. Djougou en profite pour rayonner quelque peu depuis des décennies.

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Une ancienne tradition

Aller à l’extérieur chercher de l’argent pour venir se réaliser au pays  est une tradition de longue date à Djougou. Elle remonte à des temps bien anciens, depuis l’époque précolombienne. Zankaro Assoumanou, natif de Djougou est un sociologue qui a longtemps étudié le milieu. «  La pratique est assez vieille à Djougou. Pour en avoir les preuves,  fouillez la langue dendi très parlée ici. Il y a beaucoup d’emprunts de mots anglais comme « sukulu », parlant de school, bukit, bucket  le seau qui sert à puiser de l’eau, etc. Cela parce nos arrières parents avaient beaucoup voyagé sur le Ghana et autres pays anglophones proche », renseigne-t-il. Ce sont eux qui ont fait l’histoire de Djougou et sont les premiers qui y ont construit des maisons en tôle. Ils ramenaient de l’exode, plusieurs objets de valeur de l’époque comme des montres et appareils électroménagers ménagers. 

Tout ceci leur conférait un certain prestige au sein des populations locales et ils inspiraient grand respect. Mais leurs parents ignoraient qu’ils ne vivaient pas l’Eldorado dans les pays d’accueil. Ils travaillaient durement, parfois au péril de leur vie, car beaucoup ne sont plus jamais revenus au bercail parce que décédés sur les lieux du travail là-bas. Le sociologue indique qu’il n’y a pas une seule année où 4 à 5 immigrés en Algérie originaires de la ville ne décèdent. Les autorités algériennes informent généralement l’autorité communale pour solliciter une autorisation d’inhumation du corps sur place. Il s’étonne de ce que les mêmes causes sont souvent évoquées et se résument à des chutes brutales  du haut des immeubles en construction sur des chantiers algériens. Pour l’homme de Djougou, ce n’est pas un drame à éviter en restant chez soi. L’expression consacrée ici :  « aller en brousse ». Explication du sociologue : « Même si un pays comme le Koweït est une grande mégalopole, il est considéré comme une brousse. Et les gens estiment qu’une brousse est insondable. On ne sait pas ce qui vous attend à l’intérieur. Un lion peut surgir et vous dévorer ». Autre façon de voir à Djougou : « on dit que le voyageur qui s’en va, a renversé le  bol dans lequel il mange ». C’est donc un risque qu’il prend.  Des recruteurs formels  existent dans les pays d’accueil comme le Koweït et ont des autorisations officielles aujourd’hui. 

Domestiques respectées et sécurisées ?

A la suite des nombreux cris d’alarmes des Organisations sociales comme Human Rights watch, le Koweït qui accueille un grand nombre de jeunes  femmes immigrées du  monde entier dont plusieurs en provenance de Djougou, une centaine chaque année, selon une source sécuritaire, est devenu  le premier pays à imposer un salaire mensuel minimum pour les employés de maisons. Dans un arrêté, le ministre koweïtien de l’intérieur, Cheik Mohammed Khaled Al-sabah a statué que «  le salaire des aides domestiques ne doit pas être inférieur à 69 dinars(monnaie locale) soit 200 dollars, 198 euros, près de 90.000 FCFA. Certaines en gagnent le double, voir le triple selon la fortune des ménages qui les exploitent. L’arrêté porte également sur l’application d’un texte de loi adopté par le parlement koweïtien en 2015, qui donne aux employés de maison, le droit à un jour de congé hebdomadaire et un congé annuel de 30 jours. Il limite aussi le temps horaire de travail à 12 h par jour, prévoyant le payement des heures supplémentaires ainsi que l’indemnité d’un mois à la fin du contrat. Tout n’est pas pourtant si rose, selon le sociologue. Les conditions de vie et de travail des femmes immigrées de Djougou ne sont pas si sécurisées.  Elles sont nombreuses qui reviennent chez elles très épuisées physiquement avec des maladies. Elles rapportent avoir subi souvent des violences dans des  ménages koweitiens.  Parfois, d’autres ne reviennent  même plus », regrette-t-il. Il y a de cela 7 mois, des femmes de Djougou avaient été interceptées dans une ville koweitienne et incarcérées dans des conditions très peu humaines, aux  dires du sociologue. Les fils de  Djougou qui s’immigrent vers l’Algérie n’en sont pas  moins épargnés. Il y a 5 ans qu’ils étaient près de 1000, tous originaires de Djougou et environs à être rapatriés de force vers leur terre nationale sous la supervision de l’Organisation internationale de migration.

 Si Djougou a l’avantage de profiter de ces  ces fils immigrés pour mieux se porter d’une certaine manière,  le sociologue se dit préoccupé par leur devenir. Il s’inquiète surtout du départ massif des femmes, même mariées, avec l’autorisation ou non de leur époux. « Sur 100 femmes, elles seraient à peine 15% à consulter leurs maris avant de s’en aller. Si non, c’est toujours une surprise pour ces derniers », désapprouve-t-il. Même si elle est toujours bien accueillie et réintègre facilement son foyer à son retour, un proverbe local soutenant que la ‘’femme ne finit pas », il y a matière à réflexion. C’est une question difficile qui va se résoudre progressivement, surtout quand le taux d’éducation va monter au niveau de  la gent féminine. Aller travailler au Koweït particulièrement est une porte de sortie pour beaucoup de femmes de Djougou qui tiennent à se réaliser dans leur vie et surtout à contribuer au bien être de leur famille », fait observer le sociologue.

Immigration contre zéro usine locale

Les populations de Djougou ont- t-elles d’autre choix que d’immigrer parfois massivement vers d’autres terres et d’autres pays pour mieux gagner leur vie ? La question mérite  d’être posée selon Cheik Tamimou Mohamed Sadissou, cadre musulman et islamologue au Centre des études de Djougou. « Nous voici dans une très grande commune du Bénin, la troisième la plus peuplée en matière de populations, et il n’y a pas une seule unité industrielle de production. Pas une seule, depuis toujours. Comment voulez-vous alors que les gens ne sortent pas pour aller chercher du travail ailleurs? », s’interroge-t-il, très satisfait de ce qu’apportent les fils immigrés à la ville en termes d’infrastructures d’habitations, de soutiens aux activités génératrices de revenus de leurs frères restés surplace  et autres. Pour lui, si l’économie locale est plus ou moins dynamique aujourd’hui, c’est grâce à ces fils de Djougou qui, pourtant, souffrent le martyre pour gagner leur vie à l’extérieur. « J’ai au moins deux frères au Koweït en ce moment qui sont des tâcherons, mais je vous avoue qu’ils apportent énormément à la famille. Grâce à eux, beaucoup de nos autres frères qui sont ici s’en sortent avec de petites activités », se réjouit l’islamologue. 

Les rapprochements religieux- l’islam étant la religion commune- entre ces pays d’accueil et Djougou constituent également un atout majeur pour ses immigrés qui intègrent  facilement les communautés extérieures qui les emploient,  notamment dans les pays du Moyen Orient. « Nous prions régulièrement pour eux dans les mosquées pour qu’ils nous reviennent sain et sauf », confie-t-il.  Dans une commune pourtant productrice de coton, de maïs, d’arachide et autres céréales, il n’y a pas de raison que l’Etat ne  pense à créer des unités industrielles locales pour utiliser l’abondante main d’œuvre surplace, mais rien à ce jour. C’est avec amertume que Cheikh Mohamed Sadissou fait le constat et en appelle à ce que cette situation soit enfin corrigée pour limiter les départs incessants des jeunes bras valides de Djougou pour des aventures à risques, même si les revenus qu’ils trouvent ne sont pas négligeables.

Boukari Silbawézé, Directeur du Plan et du Développement Local à la mairie est plus convaincu que même si on le  refuse aux jeunes de Djougou, ils vont toujours partir. Il évoque d’abord la question de pauvreté qui fait que nombreux d’entre eux n’achèvent pas leur scolarité ou n’ont même jamais mis pied à l’école. «  Il n’ont que le chemin de l’exil pour subvenir à leurs besoins », en déduit-il. Mais il y a aujourd’hui un avantage majeur pour la commune selon lui. « Le développement local actuel de Djougou est à mettre à leur actif. Avant Djougou n’était pas si grand. C’était juste une petite agglomération rurale.  La construction de plusieurs maisons en matériaux définitifs par ses fils  immigrés a amené le développement expansif de la ville.

Le budget de la commune n’est pas moins bénéficiaire, à  le croire, parce que les différentes taxes perçues au niveau des multiples garages de réparation de camions, des boutiques en série et autres unités dont ces immigrés sont propriétaires  sont considérables. « Tous ceux qui sont actifs aujourd’hui ici payent quelque chose et cela apporte une plus value à l’économie de la commune »,  relève le Directeur du Plan et du Développement Local. A la Tabaski, l’une des plus grandes fêtes religieuses locales, on apprécie au mieux le pouvoir économique de ces immigrés dans l’approvisionnement de milliers de moutons, ce qui rend très prospère la filière du bétail, contrairement à un passé où le musulman de Djougou avait de la peine à s’en procurer pour satisfaire à un devoir religieux incontournable.

Ce responsable de la mairie de Djougou  n’est pas aussi moins indigné de constater qu’il n’y a plus aujourd’hui la moindre unité industrielle pouvant contenir ces jeunes, dans une commune qui garde pourtant le palme dans la production de l’anacardier, du karité, du soja ou encore du coton. Des réflexions seraient en cours et suffisamment avancées pour des initiatives locales surtout en matière d’unité de production et de transformation agricole pour contenir une partie de ces jeunes en quête de travail sous la supervision de la mairie.

*Erickson Assouan, Partenariat LNT-OSIWA

Une réponse

  1. Avatar de (@_@)
    (@_@)

    « études en linguistiques à l’Université…Elle croyait décrocher un bon emploi… seule possibilité…domestique »
    Plusieurs choses :
    1) convenons que les universités du Bénin sont des usines à chômeurs. Qualifiés, diplômés certes mais sans emploi après des années de sacrifices personnels et pécuniaires.
    2) Cette façon de nommer « immigrés »- dans leur propre pays – des gens qui l’ont quitté, revient à adopter le point de vue de ceux qui les voient arriver avec le peu de considération qui leur est accordée dans des pays où le droit du travail et la mentalité sont souvent médiévaux.

    Plus simplement, pourquoi au Bénin – leur propre pays – ces personnes ne sont-ils pas appelés « émigrés » ?
    \\\\ ///
    (@_@)

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