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Bénin : regard critique sur la réforme du système partisan

Le silence n’est plus une option. Et ceux qui ont un brin d’amour pour notre pays doivent être interloqués et exprimer leur amertume face aux effets dévastateurs de la réforme dite du système partisan. Nous savons tous que le candidat Patrice Talon a fait acte de candidature et fait campagne en 2016 sur sa volonté affichée d’entreprendre des réformes, notamment celui du système politique béninois, ce dont personne ne lui conteste l’opportunité.

Plus de trois ans après la mise en œuvre et face aux dégâts de ces réformes, n’est-il pas nécessaire d’en évaluer l’impact sur la gouvernance du pays et le vivre ensemble des Béninois ? Le Président doit-il poursuivre dans la logique actuelle, tête baissée, avec la charge émotionnelle qui se lit clairement sur le visage des citoyens?

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L’élection présidentielle du 11 Avril 2021 : explosion du thermomètre

Une question de fond que le Chef de l’Etat devrait prendre le temps de se poser est pourquoi tant de contestations, tant de frustrations, mais surtout tant de dégâts matériels et humains dans le cadre des élections au Bénin depuis son avènement au pouvoir en 2016 ? Même si l’on s’abstient volontairement de comparer les processus électoraux de 1990 à 2016 ceux qui se déroulent sous nos yeux depuis cinq ans, ne poussent- ils pas l’observateur de la vie politique à s’interroger sur le bilan du régime de la rupture sur ce front ?

Continuer d’expliquer que ce sont les opposants à sa gouvernance qui sont responsables de ces dégâts et de ces « spectacles » qu’offre le Benin sous le régime de la rupture serait trop court et difficilement convaincant. Le déroulement du processus de la présidentielle observé de bout en bout depuis la pose des bases législatives depuis 2018 donne clairement à comprendre que le vers est dans le fruit. Tout au long de la campagne, l’observateur béninois et même étranger averti a pu se rendre compte que les indicateurs de mesure d’une élection ont changé en importance. Le taux du suffrage remporté par un candidat n’était plus l’objectif, mais plutôt le taux de participation, alors que lors des législatives d’Avril 2019 et face à l’abstention record, on a pu dire que la constitution n’a pas fixé un taux de participation pour légitimer une élection au Benin. On a découvert par la suite des vidéos de bourrages effrénés d’urnes que certains collaborateurs du Chef de l’Etat ont attribués à la même opposition, avant d’indiquer que des investigations seront ouvertes. Pourquoi avoir tiré une conclusion avant même de déclencher une enquête ? Je laisse la réponse à qui de droit ? Je ne pose que des questions.

Le moment de se poser les bonnes questions

Le moment n’est il pas venu pour que le Chef de l’Etat, premier citoyen et responsable de tous les Béninois vis-à-vis de la constitution fasse une introspection et se pose les bonnes questions ? Continuer d’accuser, d’acculer et d’accabler l’opposition et ceux qui désapprouvent sa méthode de gouvernance n’est-elle pas trop facile. Ne faut-il pas travailler à une réponse durable à ces questions qui vont paver la route pour le succès de ses réformes et de son action ? La rapidité et la rigidité qu’affichent le Chef de l’Etat et ses collaborateurs (les mêmes) lorsqu’on évoque la nécessite d’envisager des assises nationales ou un dialogue national (peu importe le nom et la forme), tranche étonnement avec sa volonté de conduire les Béninois vers des lendemains meilleurs. 

« Le développement du Bénin ne dépend pas de ceux qui nous regardent de loin » a déclaré le Chef de l’Etat devant ses partisans, les traits tirés, en s’exprimant pour la première fois après la confirmation de sa victoire par la Cour Constitutionnelle. Même s’ils ont applaudi, nos compatriotes, témoins de cette déclaration n’étaient certainement pas convaincus de ce qu’ils ont entendu car les critères pour mesurer le développement aujourd’hui ne se limitent pas à la réalisation des infrastructures et à quelques saupoudrages concoctes à quelques mois de la présidentielle. En 2010, les indicateurs économiques de la Tunisie étaient verts. Mais cela n’a pas empêché le peuple Tunisien d’exprimer son ras-le-bol et de conduire le pays vers plus de démocratie. Par quels critères le Chef de l’Etat mesure-t-il le succès de ses réformes et de ses actions publiques et pourquoi c’est sous sa gouvernance que le peuple exprime tant de frustrations ? Se borner à des présupposés de manipulation est aussi un argument discutable.

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Se parler est toujours mieux pour le pays et le peuple

Les propos que tiennent la plupart des Béninois qui ont boudé les urnes le 11 Avril 2021 largement relayés par la presse étrangère, au grand dam du Chef de l’Etat, sont pourtant simples à décrypter. Ils se résument en cette phrase lapidaire de feu Nelson Mandela « tout ce qui est fait pour moi, sans moi est contre moi » Une réforme qui suscite tant de frustrations et cause plus de dégâts qu’il n’en faut, mérite d’être revue et corrigée. Car les réformes sont faites par les hommes et pour leur bonheur et non le contraire. Et ceux qui donnent au premier magistrat l’impression qu’il a raison de s’offusquer, au lieu de se pencher sur le ressenti des Béninois et de la communauté internationale (globalisation oblige !) se positionnent comme les complices du drame qui se joue devant tout le monde et dont le peuple est la grande victime. Point n’est besoin de détenir une agrégation de médecine pour savoir que parmi les déterminants sociaux de la santé des populations se trouvent l’environnement social et la prévalence des principes démocratiques. C’est pourquoi, dialoguer pour réduire le fossé entre les gouvernants et ceux qui subissent les conséquences de la gouvernance est toujours préférable au cycle des accusations, violences, arrestations, condamnations, exils, toutes choses qui font reculer le peuple et le pays.

Paul-Antoine Mêdéssè

Sociologue Abidjan Côte d’Ivoire

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