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La jeunesse, grande absente de la vie politique ivoirienne

Le 7 août 2021, la Côte d’Ivoire fêtait les 61 ans de sa proclamation d’indépendance. 61 ans plus tard, force est de constater que les jeunes sont toujours exclus du pouvoir politique. Entre traditions tenaces et volontés politiques de les tenir à l’écart, les motifs d’espoirs sont, à court terme, faibles.

Naya Naomi Jarvis ZAMBLE, son nom ne vous dit probablement rien. Pourtant, à 26 ans, elle est la plus jeune députée de l’Assemblée nationale ivoirienne. Une rareté, une anomalie politique pourrait-on même dire dans un pays où les jeunes, à savoir les moins de 40 ans, ont très rarement accès à des fonctions politiques importantes. La classe politique est vieillissante, on retrouve les mêmes personnalités depuis une trentaine d’années. Pour preuve, à la dernière élection présidentielle, la moyenne d’âge des candidats était de 70 ans. Concernant les législatives de mars 2021, seuls quatre élus à la chambre basse avaient moins de 40 ans sur 205 députés élus, soit un pourcentage de 1.9%. Ce qui pose question sur la représentativité des élus politiques par apport à la population.

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Le gouvernement ne déroge pas à la règle du vieillissement du personnel politique. Sur les quarante et un ministres et secrétaires d’État, seulement deux d’entre eux ont moins de 40 ans. Ce qui fait dire à Sylvain N’Guessan, politologue ivoirien, que « les appareils politiques ivoiriens ne sont pas vraiment des institutions, mais plus des machines au service de certaines personnes. »

Gérontocratie et diktat de l’ancien 

Les machines au service de certaines personnes dont parle Sylvain N’Guessan désignent principalement les trois personnages qui régissent la politique ivoirienne depuis une trentaine d’années, et la mort de Félix Houphouët-Boigny. Alassane Outtara (RHDP) au pouvoir depuis 2011, Laurent Gbagbo (parti de Gbagbo) au pouvoir de 2000 à 2010 et Henri Konan Bédié (PDCI-RDA) au pouvoir de 1993 à 1999 font et défont la politique ivoirienne.

Pour Geoffroy-Julien Kouao, politologue et essayiste ivoirien cela s’explique par « la nostalgie des ivoiriens de Félix Houphouët-Boigny, la population voit dans les trois les descendants légitimes du père de la Nation. » Paul Auguste Koffi, délégué national à la jeunesse de LIDER (le parti de Mamadou Koulibaly) abonde dans ce sens. « La politique menée par Houphouët-Boigny a donné des habitudes aux ivoiriens, celles de la toute-puissance d’un homme et la personnification de l’homme politique. »

A eux trois, les hommes forts de la politique en Côte d’Ivoire totalisent 240 ans : le pays s’inscrit dans une gouvernance dite gérontocrate, celle de la domination par les vieillards. Une tendance qui ne risque pas de changer, toujours selon Monsieur Kouao. « Depuis 2016, il faut avoir 35 ans minimum pour se faire élire président de la République […] La loi de droit écarte automatiquement les jeunes du jeu politique » nous explique le politologue. Bien que le problème soit avant tout politique, il se justifie tout autant par la sociologie africaine et notamment ivoirienne. Laëtitia Carelle Goli, féministe et activiste politique de 31 ans va dans ce sens. « Ici les ainés restent très longtemps, c’est à leur mort que l’on peut parler de succession. »

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Une culture de l’ancien omniprésente dans la société et qui repose essentiellement sur la sagesse de l’ainé par rapport à la jeunesse. Pour Sylvain N’Guessan, la sous-représentativité des jeunes en politique se comprend par une approche structurelle, « le jeune doit attendre, devenir un adulte, à savoir 50 ans et acquérir de la sagesse pour pouvoir être promu. » Là, repose le problème important de la Côte d’Ivoire. Est considérée comme encore jeune une personne de 50 ans. Paradoxal quand l’on sait qu’aujourd’hui 77% de la population ivoirienne a moins de 35 ans d’après la Banque Mondiale.

Le cautionnement et le recensement en question 

Avec la dernière révision des listes électorales, la Côte d’Ivoire compte aujourd’hui 7.5 millions d’inscrits pour une population de 27 millions dont 6 millions d’étrangers. Bien qu’il soit difficile d’évaluer les chiffres exacts sur le nombre d’Ivoiriens majeurs. Selon la Commission électorale indépendante (CEI) estime que près de cinq millions d’habitants ne seraient pas encore inscrits. 

Une volonté avant tout politique de la part de CEI selon Paul-Auguste Koffi. Pour lui, la commission n’a « d’indépendante que son nom ». Il dénonce la mainmise des instances gouvernantes sur l’organisme. « C’est à l’approche des élections qu’ils mettent à jour le recensement, avec une communication très faible. On arrive à la conclusion que les jeunes sont omis de la liste électorale ». On estime qu’un peu plus de 30% des jeunes sont inscrits sur les listes électorales en 2021. Ceci s’explique notamment par l’absence d’acte de naissance de certains habitants mais surtout par le manque de centres d’enrôlement dans tout le pays. On observe une sur-représentation des plus anciens qui peuvent encore décider du sort politique de la Côte d’Ivoire. 

Une sur-représentation que l’on retrouve dans le personnel politique qui s’explique aussi par la problématique financière en politique. Pour Brou-Gérald Kouakou, président de la jeunesse au Plateau pour le PDCI-RDA, « quand tu veux être tête de liste, il faut de l’argent […] Les financements ne sont pas totalement effectifs de la part des partis. » 

Le besoin d’argent dont parle Kouakou est lié au système du cautionnement. Pour être candidat à la présidentielle il faut aujourd’hui débourser 50 millions de francs CFA. Concernant la députation cela est à hauteur de 100 000 francs CFA. Des sommes impossibles à rassembler pour les plus jeunes générations qui font face à une crise de l’emploi, ce qui fait dire à Monsieur Kouao que l’on est aujourd’hui « dans un régime ploutocrate », un régime basé sur l’argent qui exclut les plus démunis et empêche l’engagement politique. 

Un manque d’éducation politique

S’il est vrai que la population ivoirienne est très jeune, force est de constater que très peu d’entre eux s’engagent en politique. Les raisons sont multiples mais peuvent essentiellement s’expliquer par deux facteurs : celui du désintéressement et celui du suivisme familial. 

Il suffit de se rendre à Adjamé, quartier central d’Abidjan pour comprendre ces raisons. Ici les maisons faites de tôles et les chemins boueux symbolisent l’extrême pauvreté de la population. Le quartier d’Adjamé n’est pas une exception mais bien une réalité dans de nombreuses villes et villages du pays. Aujourd’hui, selon la Banque Mondiale, environ 40% des Ivoiriens sont considérés comme pauvres. Dès lors, la politique n’est pas le souci principal des habitants. Pour Cédric Koné, membre du cabinet du vice-président chargé de la politique de la jeunesse et du service civique au sein du parti de Gbagbo, « les jeunes veulent s’investir mais il y a une paupérisation de la société qui les empêchent (les jeunes)d’aller sur la scène politique ». 

Fatim Sylla, citoyenne et activiste de 37 ans, va encore plus loin dans son développement. « La plupart des jeunes vont soutenir les trois partis à une élection, les gens accourent pour l’argent. Ils vont soutenir chaque personne dès qu’elle passe dans le village » nous explique-t-elle, presque résignée. Ce manque d’intérêt politique va même au-delà des problèmes financiers. D’après Carelle Goli, la Côte d’Ivoire dispose de « nations dans la Nation. » Aujourd’hui les Ivoiriens votent encore en priorisant la dimension communautaire. Au Nord du pays, où réside l’ethnie Mandingue du président Ouattara, les votes sont très largement en sa faveur. Au Centre du pays où vit l’ethnie Baoulé, l’électorat tend vers Bédié qui en est originaire. Enfin, au Sud et à l’Ouest du pays, où habite l’ethnie Bété, le soutien va à Gbagbo, qui y est né.

Pour Paul-Auguste Koffi, le manque de culture politique est flagrant. « On trouve une sorte d’appartenance ethnique qui est descendante du lien parental. Les personnes sont amenées à respecter le suivisme des parents ». Une réalité qui n’incite pas les plus jeunes à s’engager en politique, à quoi s’ajoute une perception négative de la vie politique. 

La violence politique, un problème réel

Au-delà de la méconnaissance politique de la population, la société ivoirienne ne croit plus en la politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Donat, gérant d’hôtel à Abidjan âgé de 38 ans ne mâche pas ses mots quand il parle de la situation : « Ici les jeunes ne sont pas considérés, ce n’est pas fait pour nous. Tu dis quelque chose de mal, le lendemain tu peux aller en prison et ta famille peut être en danger », nous souffle-t-il sarcastiquement. 

La violence politique des trente dernières années influe sur le moral et l’envie des jeunes de s’engager en politique. Selon Geoffroy-Julien Kouao, « les jeunes qui ont un avenir craignent de s’engager en politique, la vie politique est rythmée depuis trente ans par des violences électorales ». Aucun président n’est parti dans des conditions glorieuses. Il n’y a jamais eu de passation directe du pouvoir entre les présidents, que ce soit lors du coup d’état de 1999 avec la prise de pouvoir par Robert Guéï, lequel a été assassiné en 2002 par les forces armées de Gbagbo, ou bien encore la guerre civile en 2010 qui a donné lieu à une absence de passation entre le président Gbagbo Ouattara et le président Ouattara. 

La politique a selon Carelle Goli « amené plus de problèmes que de bien ». Telle est la perception générale de la population. Ghislaine, citoyenne âgée d’une trentaine d’années et rencontrée au hasard dans un restaurant d’Abidjan va encore plus loin pour résumer la lassitude intégrale de la population : « On est fatigué, on en a marre de se battre. Je vais te dire, on a marché, manifesté dans notre jeunesse et rien n’a changé. On devient donc égoïste, on pense d’abord à nous ». La lassitude vis-à-vis des dirigeants et de la politique est ce qui résume le mieux l’absence des jeunes aujourd’hui dans le jeu politique. Pourtant, des solutions existent pour que la solution évolue. 

Une réforme institutionnelle « obligatoire »

La problématique principale réside dans l’accaparement du pouvoir par une élite qui ne laisse que peu de places à la nouvelle génération. « Il faudrait agir à la tête pour que ça découle » nous déclare Carelle Goli. Pour elle, en n’allant pas à la source du problème, rien ne changera. Le spectre principal est la Constitution et les élections. Aujourd’hui, un candidat à la présidentielle doit avoir 35 ans minimum mais il n’existe plus la limite d’âge de 75 ans pour se présenter, et ce depuis le changement de Constitution opéré en 2016 par le président en place, Alassane Ouattara.

Si les personnes interrogées ne dénoncent pas forcément l’âge maximal requis pour être candidat, nombreuses sont celles qui pensent qu’il faudrait rabaisser l’âge minimum pour inclure une partie de la population. La loi permet d’éliminer 75% de la population de se présenter à l’élection la plus importante du pays. Pour Geoffroy-Julien Kouao, la solution est simple : « Il faut ramener l’âge d’éligibilité à l’âge électoral […] A partir du moment où on est électeur on peut être candidat. »

Plus généralement, il faudrait une vraie réforme constitutionnelle qui permette de limiter les mandats, pour que les trois grandes figures soient contraintes de se retirer. Sans réel changement institutionnel, la jeunesse sera toujours exclue du jeu politique. Une exclusion qui sera toujours prégnante « tant que l’inscription sur les listes électorales ne sera pas automatique à la majorité » toujours selon Monsieur Kouao.

Un problème institutionnel renforcé par la dépendance des politiques à l’argent. Aussi longtemps que durera le système de cautionnement, rares seront les occasions de se présenter de jeunes candidats sans un parrainage massif de leur parti ou un mécène. Or, les partis principaux, menés par les grands leaders, n’ont pas intérêt à court et moyen terme à financer les jeunes, mais plutôt les cadres d’antan, plus favorables à leur politique.

La formation, facteur clé du changement dans la population

Nelson Mandela disait : « l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. » A défaut de changer le monde, la jeunesse ivoirienne doit se mettre en tête de changer les mentalités dans le pays. Toutes les personnes interrogées s’accordent pour dire que sans une éducation plus importante des jeunes à la chose politique, rien n’évoluera. 

« C’est l’éducation qui permettra la rupture, voire la rééducation de ceux qui sont à un certain niveau. » pour Laëtitia Carelle Goli. Elle ajoute : « En éduquant toutes les classes et la société civile, alors les choses changeront. » Aujourd’hui, peu de jeunes se sont appropriés les notions de démocratie qui supposent l’alternance politique. 

Des organismes politiques comme la Friedrich Ebert Stiftung (FES) ou la Konrad Adenauer Stiftung (KAS) ont d’ores et déjà vu le jour à Abidjan. Leur rôle principal est d’éduquer au mieux la population. En 2005, la FES a mis en place la formation Génération A Venir, qui a pour but de contribuer à l’émergence d’une nouvelle génération de leaders préparée à la chose politique. Là où l’État s’avère faible pour inculquer une culture politique dans les écoles, les organismes prennent le relais. Le seul souci est pour Sylvain N’Guessan que « les jeunes formés dans ces organismes sont pour adhérer aux trois partis principaux. »

« Il faut que l’investissement soit dès lors spontané » nous rétorque Cédric Koné, membre du parti de Gbagbo. Un investissement qui passe par l’engagement dans la société civile et pour l’intérêt général. « On peut faire changer les choses dans la société civile. Il faut un engagement réel : aujourd’hui certaines personnes ne sortent pas de leur habit de partisans » pour Fatim Sylla.

Cette dernière pense même que chacun doit d’abord s’engager dans les petites sphères de la société pour arriver en haut, en agissant pour l’intérêt général du pays notamment à travers le bénévolat. « Il faut aller sur le terrain, échanger avec la communauté » comme elle nous l’indique en guise de conclusion. 

Un constat partagé par Paul-Auguste Koffi qui observe « une nouvelle catégorie de jeunes qui comprend les enjeux ». La jeunesse n’est plus complètement détachée de la politique. De fait, les réseaux sociaux ont changé la donne, et beaucoup donnent leur avis quotidiennement sur les problèmes sociétaux. Des groupes de discussion dans plusieurs villes se sont mis en place, mais le changement viendra inévitablement des partis. 

Réformer la doctrine des partis, point final d’une évolution 

Membre de la jeunesse du parti PDCI-RDA, Brou-Gérald Kouakou pense qu’il est temps « de mettre la jeunesse au cœur de toutes les actions politiques. » Une évolution qui pourrait se faire par une loi similaire à celle de la parité mais cette fois en direction des jeunes. Si un parti n’inscrit pas assez de personnes ayant moins de 35 ans sur ses listes, alors il se verrait sanctionner. 

Une solution qui pourrait aller « avec un système de mandats tournants » toujours selon le membre du PDCI-RDA. En imposant une limite de mandats, le parti verrait d’autres têtes et pourrait moderniser son appareil politique. Un point efficace pour Paul-Auguste Koffi, membre politique de LIDER. Dans son parti, 40% des adhérents sont considérés comme jeunes. La raison ? « Dans le parti, on peut tutoyer les hautes sphères, donner son avis et son désaccord et être quand même entendus. »

Les choses changent. Les partis politiques se modernisent, de plus en plus de jeunes entrent en politique, mais la plupart sont encore des pions électoraux, « des personnes qui s’occupent de la logistique, et font le nombre » selon Geoffroy-Julien Kouao. Le chemin pour arriver rapidement dans les instances de pouvoir des partis est tortueux, mais possible selon Brou-Gérald Kouakou, qui a vu son parti nommer des leaders de jeunesse au sein du conseil politique. Cela reste néanmoins encore rare. 

Aux partis de mettre en place tous les moyens. La formation de Gbagbo entend initier la mise sur pied d’un programme d’aide à l’insertion sociale et économique, « qui permettrait l’épanouissement de l’humain et lui laisserait plus de temps pour réfléchir » d’après Cédric Koné. Un plan approuvé par Brou-Gérald Kouakou : « On continue de faire le plaidoyer auprès de la direction de notre parti pour mettre en place un système de financement pour les candidatures des jeunes. » Sans moyens financiers, la jeunesse restera absente de la vie politique. 

Une absence qui pourrait évoluer aussi avec le départ à la retraite des trois mastodontes de la politique ivoirienne. Cela donnerait « lieu à une nouvelle génération avec de nouveaux paradigmes » pour Geoffroy-Julien Kouao. Une nouvelle génération dans laquelle l’élection de la députée Naya Naomi Jarvis ZAMBLE ne serait plus une anomalie politique, mais la nouvelle norme. 

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