La journée du jeudi 31 mars 2022 devra être marquée d’une pierre blanche au Bénin. C’est ce jour-là que les 77 secrétaires exécutifs dont 26 femmes devant désormais gérer les communes du Bénin conformément au nouveau code de l’administration territoriale, ont été tirés au sort. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un tel événement se produit. Il est l’aboutissement d’un processus qui a démarré le 19 février dernier avec les inscriptions en ligne des candidats sur la plateforme mise en place par le gouvernement, le test psychotechnique, les épreuves écrites et les entretiens individuels.
Ce processus fait partie d’une série de réformes voulues par le président de la République Patrice Talon dans l’optique de renforcer et améliorer la gouvernance par la qualité des ressources humaines devant prendre en charge les fonctions administratives et techniques dans toutes les communes du pays. Ceux qui ont suivi cet événement devant leur petit écran, ont pu voir les maires de toutes les communes passer chacun à son tour, plonger la main dans un bocal en verre, remuer, sortir un bout de papier, le déplier et lire à haute voix le nom du candidat inscrit dessus. On aurait cru voir un remake de la cérémonie de tirage au sort de la coupe d’Afrique des nations. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’un jeu. Encore moins d’un jeu de hasard. Il s’agit du choix d’une nouvelle autorité la plus importante de la commune.
Un choix déterminant pour des millions de personnes ; pour le développement de notre pays tout court. Conformément à l’article 133 du code, le SE a pour attributions : « la délivrance des permis et autres autorisations que prévoient les lois et les règlements, il représente la commune dans la vie civile et pour tout ce qui relève de ses attributions propres, nomme aux emplois communaux, conserve et administre les propriétés de la commune et signe les actes d’état civils sur délégation du maire ». Très clairement, le SE est de loin la personnalité la plus importante de la commune. C’est pour cela que certains observateurs estiment qu’il faudrait trouver un meilleur mode de sa désignation, car celui adopté par le gouvernement est très aléatoire et les meilleurs parmi les candidats pourraient être sur les carreaux tout simplement par manque de chance.
Ils estiment qu’on ne peut entreprendre le développement d’un pays en misant sur le hasard comme si l’on jouait à la loterie. Et les faits leur ont donné raison puisque le jeudi 31 mars dernier à l’issue de cette séance de tirage au sort, les trois premiers candidats sur les 406 retenus après tout le processus de recrutement n’ont pas été sélectionnés, selon certaines informations. Ils ne peuvent donc pas servir leur pays alors qu’ils sont les meilleurs dans leur domaine. Pour qu’ils aient une nouvelle chance, il ne peuvent compter que sur l’improbabilité de désistement de certains candidats. Ces observateurs pensent que le gouvernement aurait pu opter de mettre en place un fichier national que les conseils communaux pourraient consulter et opérer leur propre choix.
Conflits d’attribution ?
L’autre problématique qui pourrait naître lors de la mise en œuvre de ce nouveau code est celui d’un conflit d’attribution qui peut facilement entraîner la paralysie du conseil communal. Car, désormais, si le maire demeure la première autorité politique de la commune, il n’est plus l’ordonnateur du budget. Ce rôle est dévolu au secrétaire exécutif tiré au sort qui peut s’avérer être un parfait inconnu parachuté dans un milieu dont il ne connait ni les réalités, ni le programme du conseil communal élu encore moins les aspirations profondes des populations pour lesquelles il doit prendre des décisions. Des quiproquo pourraient apparaître lorsqu’un maire sentirait que le SE marche sur ses plates-bandes. Et si le maire n’est plus maître des actions qu’il a lui-même inscrites dans son programme et pour lesquelles il a été élu, alors que lui reste t-il ?
S’il n’a plus les moyens pour mettre en œuvre sa politique, que fera t-il pendant son mandat à part diriger les réunions du conseil communal ? C’est ce que certains députés ont d’ailleurs perçu lors du vote du code de l’administration territoriale le jeudi 21 octobre 2021 à l’Assemblée et ont souhaité la modification de l’article le concernant. Cela a entraîné des débats houleux et au finish, leurs préoccupations n’ont pas été prises en compte et le code a été voté à l’unanimité en l’état. Les mêmes inquiétudes ont été soulevées le 23 septembre dernier lors de la séance de validation de ce nouveau code tenue au palais des congrès en présence du chef de l’État Patrice Talon. Le maire de la commune de Kpomassè Mensah Kénam avait ce jour-là dit tout haut ce que ses collègues ruminaient : « Il faut nous remettre notre budget. Si vous nous enlevez le budget, vous avez vidé le maire de son contenu » avait t-il déclaré.
Mais, la réaction du chef de l’État Patrice Talon ne s’était pas fait attendre. « Je ne suis pas ordonnateur du budget national. Ce n’est pas moi qui signe les chèques. Le ministre des finances est mon chef en matière de ressources financières », avait t-il déclaré. En clair, il voulait dire : si le chef de l’État que je suis n’est pas ordonnateur, le maire ne peut pas l’être aussi. Mais à cela, certains observateurs lui opposent l’article 54 de la constitution du 07 novembre 2019 qui stipule que le président de la République est le détenteur du pouvoir exécutif, il nomme les membres de son gouvernement et ceux-ci sont responsables devant lui. Il peut les démettre de leurs fonctions. Le maire quand à lui ne dispose pas de tous ses pouvoirs et sa marge de manœuvre est complètement réduite dorénavant après qu’il soit dépouillé de certaines de ses prérogatives. La cohabitation entre les maires et leurs nouveaux collaborateurs sera certainement soumise à de rudes épreuves. Seul l’avenir nous dira si le gouvernement a fait le bon choix.
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