Au Bénin, dans les communes de Cotonou et d’Abomey-Calavi en particulier, nombreuses sont les jeunes filles issues de parents pauvres qui servent de domestiques dans des familles nanties pour se prendre en charge. Cependant, certaines deviennent l’esclave de toute une collectivité, ou la proie sexuelle de leur patron. D’autres se retrouvent sans rémunération après une longue période de labeur.
À la fin de sa formation en couture, Faouziath une orpheline de père, a décidé de faire de petites activités afin de pouvoir organiser sa cérémonie de remise de diplôme et de se procurer quelques machines de couture pour ouvrir son atelier. C’est ainsi qu’elle a été embauchée en tant que domestique chez dame G. Les deux parties prenantes se sont accordées pour que Faouziath se charge de tous les travaux domestiques dans la maison de sa patronne. Elle devrait avoir un jour de repos par semaine pour rester auprès de sa mère malade et dont elle assure les soins médicaux.
Elle devrait recevoir un salaire de 30.000 francs CFA. Mais, les règles ont été modifiées quelques mois après son embauche. Elle travaille sept jours sur sept. En plus de ses tâches de départ, Faouziath doit également faire le ménage, la lessive, la vaisselle, la cuisine et se substituer en nourrice chez des proches de dame G, avant d’avoir ses 30.000f. Voyant son état de santé se détériorer avec sa patronne qui reste indifférente, Faouziath a démissionné.
Âgée de 22 ans et aînée d’une famille de cinq enfants, S.D. a perdu l’aide financière de son père après son échec en première année à la faculté des sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi. Pendant les vacances, elle a jugé bon de travailler en tant que domestique pour gagner de quoi assurer ses dépenses liées aux premiers mois de la prochaine rentrée universitaire, en espérant que son père change d’avis. S.D. est embauchée après avoir postulé à un recrutement de domestique publié à la radio. Sa patronne apprécie son travail.
Tout allait bien jusqu’au jour où le mari de sa patronne a voulu avoir des rapports sexuels avec elle. ‹‹ On était seuls à la maison et je faisais la sieste. J’ai senti des attouchements et un poids sur moi. Je me suis brusquement réveillée et j’ai surpris mon patron qui essayait de coucher avec moi. Je me suis battue autant que possible pour lui échapper. Quelques jours plus tard, il était entré dans ma chambre pour me forcer à avoir d’intimité avec lui. Je me défendais lorsque ma patronne est rentrée nous surprendre. Elle m’a ordonnée de quitter sa maison avant qu’elle ne rentre le soir ››, raconte la jeune fille. C’est ainsi qu’elle a quitté la maison de ses employeurs deux jours avant son jour de payement, sans aucune rémunération.
Quant à Ida, une jeune femme de 25 ans, mère d’un garçon de trois ans, sa patronne a accumulé envers elle, 11 mois de salaires impayés. Cependant, lorsqu’elle a voulu rompre ce contrat, elle s’est retrouvée les mains vides. ‹‹ Je devrais vivre chez elle avec mon fils et percevoir 15.000 francs par mois. J’ai travaillé dans cette maison pendant 2 ans environ. J’étais bien payée au départ. Par la suite, elle ne me payait plus. Elle m’a promis me rembourser la dette en gros pour que je puisse démarrer mon commerce pour assurer les besoins de mon enfant qui va bientôt commencer l’école. J’ai voulu partir parce qu’elle me gifle quand bon lui semble et devant mon enfant ››, s’indigne la mère célibataire.
Que dit la loi ?
Selon le juriste Damien Sonou, les domestiques ou bonnes doivent être distinguées des enfants placés communément appelés »Vidomingon » au Bénin. Elles sont des employées qui doivent être classées dans la catégorie du »personnel domestique » comme le jardinier et le chauffeur. Alors elles doivent être traitées conformément aux textes en vigueur notamment l’Arrêté N⁰26/MFPTRA/DC/SGM/SRT en date du 14 avril 1998 fixant les conditions générales d’emploi des employés de maison, modifié par l’Arrêté N⁰335/MTFP/DC/SGM/DNT/SRT en date du 13 mai 2011, précise Prince Aïko, inspecteur du travail, spécialiste des Droits de l’Homme et de la démocratie. L’embauche d’une bonne ou de tout employé de maison doit se faire conformément au Code du travail et la Loi N⁰2017-05 du 29 août 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en République du Bénin.
‹‹ Avec l’Arrêté N⁰335 du 13 mai 2011, l’âge minimum pour l’embauche des employés de maison est fixé à 18 ans. L’employeur doit s’assurer de conclure le contrat de travail avec une personne âgée d’au moins 18 ans, sans surtout oublier les démarches pour sa déclaration à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). En la matière justement, le Directeur de la CNSS a enjoint les employeurs, à travers un communiqué en date du 23 mars 2023, à déclarer leurs employés de maison avec exemption des majorations de retards encourues, au plus tard le 31 décembre 2023. Sans quoi, ils s’exposent aux sanctions de la loi ››, explique Prince Aïko.
La rémunération sera appréciée au cas par cas puisque, l’article 5 de l’Arrêté N⁰26 en son alinéa 2 dispose : ‹‹ les employés de maison logés, nourris et soignés perçoivent 25% au moins du salaire de leur catégorie ››. Il faudra donc vérifier si le travailleur n’est pas logé, nourri et soigné par son employeur et, le cas échéant, s’assurer que le salaire en espèce versé par l’employeur est en deçà du minimum de 25% prévu. L’employeur selon ses exactions peut être poursuivi aussi bien au plan civil que pénal. Charger la domestique de plus de travail que prévu dès le départ pourrait par exemple être interprété comme une modification substantielle unilatérale du contrat de travail.
Si cela revêt, par-dessus tous les aspects de travail forcé, le législateur à travers l’article 303 du Code du travail béninois punit l’employeur d’une amende de 140.000 à 350.000 FCFA et/ou d’un emprisonnement de deux mois à un an. L’employeur qui inflige des châtiments corporels à sa domestique s’expose à des sanctions pénales. Celui qui manque de payer le salaire de son employé s’expose aussi à la rigueur de la loi.
Les employeurs confortés par la passivité des victimes et du gouvernement
Ida et sa patronne s’étaient entendues pour que la jeune célibataire avec son fils soient logés et nourris afin qu’elle perçoive un salaire très bas par rapport au SMIG. Mais après près d’un an de salaire impayé, la patronne de Ida trouve qu’elle n’a aucune dette envers celle-ci. ‹‹ Je l’ai gardée avec son fils. Je les ai nourris et hébergés. Qu’elle fasse le calcule de tout ça avant de me réclamer de l’argent. Je ne lui dois rien ››, affirme-t-elle. Ida s’y résigne. ‹‹ L’erreur commune fait la loi ››, affirme le juriste Damien Sonou. Plusieurs facteurs rendent l’atmosphère favorable au viol constant des droits des domestiques. Le salaire des domestiques est généralement bas par rapport au SMIG.
Elles sont habituellement exposées à tout type de maltraitance comme les travaux forcés, le harcèlement et l’abus sexuel, le châtiment corporel et le non payement de leur salaire. Elles subissent passivement car elles ignorent les textes en vigueur concernant leur secteur. Le manque de contrôle ou d’intervention du gouvernement dans ce domaine conforte les employeurs à continuer dans la mauvaise direction.
Porte de sortie
Pour le juriste, assurer une bonne condition de vie et de travail aux domestiques nécessite que le gouvernement porte un œil rigoureux sur ce secteur. Il pense qu’il faut également revoir les conditions d’embauche des employés de maison. ‹‹ Que des structures soient organisées pour le placement de main d’œuvre dans ce secteur, pour que celui-ci soit assaini. Que les employés de maison s’associent pour constituer un syndicat afin de se manifester pour réclamer de bonnes conditions ››, a-t-il déclaré.
‹‹ Je recommande vivement aux employeurs de conclure le contrat avec leur domestique par écrit pour leur propre protection. Je réitère que les employés de maison sont aussi des travailleurs, ils rendent un grand service aux ménages et méritent la protection sociale au même titre que les autres travailleurs et ce serait bien de les traiter comme tel, avec humanité et justice ››, conclut Prince Aïko, inspecteur du travail, spécialiste des Droits de l’Homme et de la démocratie. Dans le cadre d’une violation de ses droits, la domestique peut faire recours à un inspecteur du travail qui pourra tenter la conciliation pour qu’elle ait, si possible, gain de cause grâce à la négociation. Toutefois, l’employé de maison a tout autant le droit de saisir directement le tribunal du travail du ressort de son lieu de travail.
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