Que retenir du sommet sur l’Ukraine organisé par l’Arabie saoudite à Djeddah

Les 5 et 6 août derniers, au sommet de Djeddah, l’Arabie saoudite a accueilli plus d’une trentaine de pays pour faire progresser la recherche de solutions à la guerre en Ukraine.  Si ses résultats ne sont pas immédiats, ce sommet a mis en lumière le rôle de médiateur qu’entend jouer le royaume saoudien et son prince hériter Mohammed ben Salmane (MBS) sur la scène internationale. Après le Danemark, c’est l’Arabie saoudite qui a invité, à Djeddah, les grandes forces œuvrant pour la fin de la guerre en Ukraine. Réunissant les délégations d’une quarantaine de pays, comme la Chine, les États-Unis, l’Ukraine et les principaux États européens, cette réunion organisée sur les bords de la mer Rouge n’a pas débouché sur un agenda précis de règlement du conflit ou de déclaration conjointe.

Une convergence des efforts ?

Une source européenne a toutefois fait état d’un terrain d’entente sur des points clés, en particulier sur le respect de « l’intégrité territoriale et de la souveraineté » de l’Ukraine qui doit être « au cœur de tout accord de paix ». Proche de Washington comme de Moscou, Riyad a souhaité recevoir l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud et le Brésil, puissances membres des Brics (avec la Russie), qui, à l’inverse des pays occidentaux, n’ont pas pris parti pour l’Ukraine – sans toutefois valider l’invasion russe initiée en février 2022. 

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« La Chine a participé activement et s’est montrée positive à l’idée d’une nouvelle rencontre » a indiqué la source européenne après le sommet. L’émissaire chinoise pour l’Ukraine Li Hui s’est dite « motivée à contribuer à un règlement politique de la crise ukrainienne »De son côté, une source diplomatique française a déclaré que « les efforts convergent pour créer les conditions d’une négociation valable. […] Est-ce que cette réunion crée ces conditions ? Clairement non. C’est un effort de long terme »

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a précisé lors d’un discours que sa délégation avait pu mettre en avant un plan de 10 points prévoyant entre autres le retrait total des troupes russes de l’Ukraine. « Les discussions n’ont pas été faciles, mais la vérité est de notre côté », a exprimé Adriy Yermak, le chef de l’administration présidentielle qui a représenté le pays à Djeddah.

Une rencontre au plus haut niveau

Si les Occidentaux condamnent son silence vis-à-vis du conflit russo-ukrainien, la présence de la Chine est « une grande victoire diplomatique pour les Saoudiens », affirme le spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique Steven Cook. C’est en dialoguant avec les plus grandes nations de la planète que l’Arabie saoudite deviendra un pays incontournable sur la scène internationale. « L’Arabie saoudite a consacré beaucoup de temps et d’effort pour développer ses relations avec les Chinois afin d’éviter que Pékin ne soit également trop proche de l’Iran », poursuit Steven Cook. 

En décembre, le Royaume a d’ailleurs accueilli le président Xi Jinping et organisé durant sa visite un sommet économique entre la Chine et les six autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Des milliards de dollars de contrats dans les secteurs de la pétrochimie ou encore de l’énergie avaient été signés. 

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Côté occidental, les grandes puissances comme la France et les États-Unis ont honoré l’invitation de l’Arabie saoudite. Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique du président Emmanuel Macron, a mené la délégation française à Djeddah. L’Arabie saoudite continue ainsi d’entretenir ses relations bilatérales historiques avec la France. Les États-Unis ont quant à eux été représentés par Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du chef d’Etat Joe Biden.

Si la réunion de Djeddah illustre parfaitement le succès de la stratégie multipolaire de l’Arabie saoudite, le Royaume n’a toutefois pas convié la Russie. Ce choix n’a pas convaincu le Brésil, qui estime que les négociations devaient inclure toutes les parties, y compris la Russie. « Bien que l’Ukraine soit la plus grande victime, si nous voulons vraiment la paix, nous devons impliquer Moscou dans ce processus sous une forme ou une autre », a affirmé le conseiller du président Lula Celso Amorim. 

Selon le politologue spécialiste des pays du Golfe Karim Sader, l’absence de la Russie est un « appel du pied saoudien aux Occidentaux », synonyme de rééquilibrage de la position du royaume concernant la guerre en Ukraine. « On avait taxé les Saoudiens d’être devenus un peu trop pro-russes. Donc en agissant de la sorte, ils affichent leur volonté de rééquilibrer un peu plus la tendance et montrent aussi aux Occidentaux que l’Arabie saoudite n’est évidemment pas alignée sur la Russie », l’analyste décrivant la volonté du pays de s’affirmer comme « médiateur », précise-t-il.

L’Arabie saoudite s’impose en médiateur 

En effet, bien que ce sommet n’ait pas débouché sur des solutions immédiates, ce sommet prouve que l’Arabie saoudite est devenue une puissance autonome qui pèse dans le monde. En étant l’hôte d’un événement aussi crucial, le royaume pourra, le moment venu, apporter sa contribution à un règlement de la crise russo-ukrainienne, le tout en étant crédible. De plus, la volatilité des marchés de l’énergie engendrée par la guerre en Ukraine permet au Royaume d’être au centre de l’échiquier planétaire. 

« Il était important pour Mohammed ben Salmane que ce grand sommet sur ce qui est peut-être la question la plus importante de la scène internationale ait lieu à Djeddah en présence de délégations des principales puissances occidentales, ainsi que des représentants des pays du Sud. […] Au cours des dernières années, le prince héritier a fait valoir que l’Arabie saoudite était un acteur international essentiel, non seulement pour l’économie mondiale, mais aussi sur la scène diplomatique. Cette grande conférence est donc une sorte de « bal des débutants » pour MBS et le rôle international élargi qu’il souhaiterait que son pays joue », explique Steven Cook. 

Le Royaume échange aujourd’hui avec tout le monde et est donc en mesure de gérer des médiations sérieuses et durables. Les autorités saoudiennes ont notamment assaini leurs relations avec leurs voisins régionaux, à commencerpar le Qatar et la Turquie. Elles ont même établi un dialogue cette année avec la Syrie et l’Iran.  L’Arabie s’est également rapprochée de l’ONU en soutenant les résolutions de son Conseil de sécurité dénonçant l’invasion russe. Le Royaume a aussi appuyé la position de l’ONU visant à critiquer l’annexion déclarée par Moscou de territoires situées à l’est de l’Ukraine. Également investie dans les pourparlers sur le Soudan, pays en conflit armé depuis trois mois, l’Arabie saoudite, après plusieurs années de politiques instables, se voit désormais en faiseur de paix. 

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