En campagne pour l’élection présidentielle en 2016, le candidat Patrice Talon déclarait fièrement qu’en » cinq ans, on peut faire le job ». Si celui qui s’est entretemps « avisé » et a brigué un second mandat envoie huit ans plus tard son gouvernement et ses soutiens sur le terrain pour une reddition des comptes, c’est que son intention initiale a bien fait pschitt et sa gouvernance est soumise à rude épreuve.
Comment expliquer à un peuple à qui on avait demandé de serrer la ceinture, que malgré tous les efforts entrepris et les milliards de francs CFA engloutis, pourquoi il est encore dans une situation de végétation existentielle ? Comment expliquer à un peuple à qui on avait promis un avenir meilleur, un changement radical et positif dans la gestion de leur pays, qu’au bout de huit ans, toutes ses promesses sont renvoyées aux calendes grecques ? Comment expliquer à un homme qui a faim pourquoi il a faim, mais heureux ? Peut-on faire le bonheur de quelqu’un sans son propre consentement ? A quoi sert-il de dépenser l’argent du contribuable à sillonner tout le territoire national pour lui vanter des réalisations certes importantes, mais qui en réalité, n’ont pas fondamentalement changé sa vie quotidienne ? C’est pourtant cet exercice que mènent les membres du gouvernement, les députés et les soutiens du régime de la Rupture.
Depuis quelques semaines en effet, le cœur du pays ne bat qu’au rythme des séances de reddition de comptes gouvernementales. Avec forts détails et beaucoup d’arguments, secteur par secteur, ministère par ministère, les membres des différentes délégations expliquent aux populations ce qui a été réalisé en matière d’infrastructures routières, sanitaire, de création d’emplois etc. Mais aussi avec de fortes difficultés à convaincre leur auditoire. Pendant plusieurs jours, on a entendu des vertes et des pas mûres. Des vérités et des contre-vérités. On a même entendu un ministre renié tous les efforts fournis par son propre feu père de président de la République pendant 28 années qu’il a passé à la tête de l’Etat pour le bien de ce pays et au prix de nombreux sacrifices.
A certains endroits, les délégations ont été accueillies avec ferveur et beaucoup d’enthousiasme. Et les détracteurs du régime ont tôt fait de dire qu’il s’agit de militants triés sur le volet et que les autres participants sont là, pour empocher les quelques billets que les organisateurs ne manqueront pas de distribuer à la fin de la séance. Dans d’autres endroits, c’est l’indifférence totale face à ce ballet de voitures haut de gamme et leurs passagers tirés à quatre épingles. A peine quelques dizaines de personnes éparpillées dans la salle. Certes, la reddition de comptes est un principe de bonne gouvernance normal et courant en République. Parfois, les politiciens s’en délectent immodérément motivés par autre chose que par une exigence républicaine de transparence et de recevabilité. Et quand cette reddition de compte se fait accompagner de tintamarre, de folklore et de populisme à deux ans de la fin d’un régime, elle devient suspecte et peu efficiente. Pire, s’en servir comme trophée pour défendre un bilan politique et économique, c’est reconnaître implicitement que l’on a échoué.
Échec et mat
Le 1er août 2016 lors de sa première sortie médiatique, le président Patrice Talon fraîchement élu, disait qu’il croit « fermement qu’en cinq ans on peut faire le job et laisser la tâche à d’autres personnes« . Cinq ans après, lui qui avait fait d’un mandat unique « une exigence morale » nécessaire à la bonne gouvernance a bien évolué dans son impression et conception du pouvoir pour briguer un second mandat. Point n’est besoin de revenir sur les nombreuses réalisations faites pendant ces huit dernières années notamment les infrastructures routières, sanitaire, les écoles, les marchés et les terrains de sport. Encore moins sur la kyrielle de promesses électorales insatisfaites. Cependant, même si le président Patrice Talon s’est surpris de voir les cinq années de son premier quinquennat passer très vite, il avait pris la peine lui-même et en personne, de sillonner entre décembre 2020 à janvier 2021, les 77 communes béninoises pour une reddition de comptes.
Tournée qui était intervenue par ailleurs en temps de Covid 19 et au cours de laquelle il a expliqué et répété plusieurs fois ses choix politiques, ses ambitions, le bien-fondé de ses réformes. On s’étonne donc de ne pas savoir pourquoi, à moins de deux ans de la fin de son dernier mandat constitutionnel, il ne prend pas son bâton de pèlerin pour le même exercice. Pourquoi a-t-il choisi d’envoyer les membres de son camp au charbon au lieu de se présenter lui-même ? Craint-il la réaction des populations à qui il avait promis monts et merveilles, quelques années auparavant? Comment Patrice Talon peut-il expliquer aux transporteurs de Parakou pourquoi leurs centaines de camions ne peuvent plus franchir la frontière nigérienne ? Comment expliquer aux populations de cette même localité pourquoi leur fille Reckyatou Madougou croupie en prison et ce pour 20 longues années ? Qu’est-ce qu’il pourrait dire pour consoler les parents de Banté, Tchaourou et autres qui ont perdu leurs enfants dans les évènements post électoraux de 2021? Comment expliquer aux populations pourquoi le maïs, le mil, le gari et d’autres aliments de grande consommation coûtent chers? Et le cas des exilés politiques, Sébastien Ajavon, Lehady Soglo, Valentin Djènontin et consorts ? Voilà pourquoi la reddition de compte en cours a du plomb dans l’aile.
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