Dans le Sahel, les sables mouvants de la géopolitique dessinent de nouveaux contours pour l’or noir nigérien. Depuis le coup d’État de juillet 2023 qui a renversé le président Mohamed Bazoum, le Niger se trouve au cœur d’un imbroglio diplomatique et économique. Les sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), bien que levées en février dernier, ont laissé des cicatrices profondes, particulièrement dans les relations entre Niamey et Cotonou. Le Niger, accusant le Bénin d’héberger des bases militaires françaises et de comploter contre sa souveraineté, maintient sa frontière fermée, transformant ainsi un axe économique vital en une ligne de fracture géopolitique.
C’est dans ce contexte tumultueux que le Niger envisage un coup de théâtre pétrolier : la construction d’un nouvel oléoduc qui relierait ses champs pétroliers d’Agadem à ceux du Tchad, contournant ainsi le Bénin. Ce projet, qui ressuscite une ancienne ambition nigérienne, pourrait redessiner la carte énergétique de la région et offrir à Niamey une alternative à l’infrastructure existante, actuellement paralysée par les tensions diplomatiques.
Un pari audacieux dans un contexte instable
Le projet d’oléoduc Niger-Tchad s’étendrait sur 985 kilomètres, reliant Agadem à Doba, avant de se connecter à une infrastructure existante menant jusqu’au port de Komè, dans le sud du Cameroun. Cette route alternative permettrait au Niger de s’affranchir de sa dépendance vis-à-vis du port de Cotonou, où aboutit l’oléoduc de 2000 kilomètres achevé en mars 2024, mais rendu inopérant par la crise diplomatique actuelle.
Cependant, ce projet ambitieux se heurte à des défis colossaux. La sécurité reste un enjeu majeur dans une région où les groupes armés constituent une menace constante. Les champs pétroliers d’Agadem, malgré une présence militaire significative, continuent de subir des sabotages. Étendre cette protection sur près de 1000 kilomètres supplémentaires représenterait un défi logistique et financier considérable pour les autorités nigériennes.
Le nerf de la guerre : le financement et la faisabilité
Le financement de ce nouvel oléoduc constitue un autre obstacle de taille. Avec un coût estimé à environ 1350 milliards de francs CFA, soit la moitié de l’investissement consenti pour l’oléoduc vers le Bénin, le Niger devra convaincre des investisseurs de la viabilité de ce projet dans un contexte géopolitique instable. La Chine, qui avait financé le précédent oléoduc, pourrait-elle être tentée par cette nouvelle aventure? Ou le Niger devra-t-il se tourner vers d’autres partenaires, peut-être au prix de nouvelles concessions?
Par ailleurs, la faisabilité technique et économique du projet soulève des interrogations. Le ministère nigérien du pétrole reste discret sur les détails, tandis que le Tchad affirme que des « dispositions institutionnelles » ont été prises pour mener le projet à bien. Cependant, l’absence d’informations concrètes sur le niveau de maturation du projet et son modèle économique laisse planer le doute sur sa réalisation à court terme.
Ce projet d’oléoduc Niger-Tchad illustre la complexité des enjeux énergétiques en Afrique de l’Ouest, où les considérations géopolitiques s’entremêlent aux ambitions économiques. Pour le Niger, il représente une quête d’indépendance stratégique, mais aussi un pari risqué dans une région où la stabilité reste fragile. Que ce pipeline voit le jour ou non, il témoigne de la volonté du Niger de redéfinir sa place sur l’échiquier régional, quitte à bouleverser des alliances historiques. L’avenir dira si cette ambition se concrétisera en un nouveau corridor énergétique ou si elle restera un mirage dans le désert sahélien.
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