Les ressources énergétiques ont toujours été au cœur des relations entre les pays du Maghreb. L’Algérie, avec ses vastes réserves de gaz naturel, occupe une position centrale dans ce paysage énergétique. Traditionnellement, elle aurait pu être un fournisseur naturel pour ses voisins, notamment le Maroc. Cependant, les tensions politiques persistantes entre ces deux nations ont redessiné la carte des flux gaziers dans la région. Le Maroc, malgré sa proximité géographique avec l’un des plus grands producteurs de gaz d’Afrique, se trouve dans l’obligation de chercher des alternatives pour répondre à ses besoins énergétiques croissants. Cette situation paradoxale illustre comment les considérations géopolitiques peuvent l’emporter sur la logique économique et géographique, forçant les pays à repenser leurs stratégies d’approvisionnement énergétique.
L’Espagne, nouvelle plaque tournante du gaz pour le Maroc
Face à ce contexte tendu, le Maroc a opéré un virage stratégique majeur dans sa politique d’approvisionnement en gaz. L’année 2024 marque un tournant décisif avec une augmentation spectaculaire des importations de gaz naturel en provenance d’Espagne. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les exportations espagnoles vers le Royaume chérifien représentent désormais 18,5% des écoulements totaux de l’Espagne, contre seulement 0,1% il y a deux ans. Cette évolution fulgurante témoigne de l’ampleur des changements en cours dans le paysage énergétique maghrébin.
Le recours à l’Espagne ne se limite pas au gaz. En matière d’électricité, les échanges ont également connu une croissance exponentielle. Au cours de l’année écoulée, les expéditions ont atteint 9 338 gigawattheures, soit une multiplication par 155 par rapport à juin 2022. Pour donner une idée de l’ampleur de ces échanges, cela équivaut à environ 800 millions de mètres cubes de gaz, une quantité considérable qui souligne l’importance stratégique de cette nouvelle route énergétique pour le Maroc.
Les défis d’une nouvelle dépendance énergétique
Ce revirement dans la politique d’approvisionnement du Maroc n’est pas le fruit du hasard. Il trouve son origine dans la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe par l’Algérie en octobre 2021, un geste qui a contraint le Maroc à repenser entièrement sa stratégie énergétique. Face à cette situation, le Royaume a fait preuve d’agilité en se tournant vers l’Espagne, utilisant les infrastructures de regazéification de son voisin européen pour importer du gaz naturel liquéfié (GNL). Ce gaz est ensuite acheminé par gazoduc jusqu’au territoire marocain, créant ainsi une nouvelle chaîne d’approvisionnement complexe mais nécessaire.
Cette solution, bien que résolvant le problème immédiat d’approvisionnement, n’est pas sans soulever de nouvelles interrogations. L’Algérie, soucieuse de maintenir sa position dominante sur le marché gazier régional, a exprimé des réserves. Les autorités algériennes ont même menacé de rompre leur contrat gazier avec l’Espagne si du gaz algérien finissait par être réexporté vers le Maroc. Face à ces pressions, Madrid a dû mettre en place un plan spécial pour garantir que ses approvisionnements en gaz ne seraient pas détournés vers le Maroc, ajoutant une couche de complexité à cette nouvelle configuration énergétique.
Vers une reconfiguration durable du paysage énergétique maghrébin ?
L’évolution rapide de la situation gazière entre le Maroc et l’Espagne soulève des questions sur l’avenir énergétique de la région. Cette nouvelle dynamique pourrait-elle devenir un modèle de coopération énergétique transcontinentale, ou n’est-elle qu’une solution temporaire face à des tensions géopolitiques ? La durabilité de cet arrangement dépendra de nombreux facteurs, notamment de l’évolution des relations diplomatiques dans la région, mais aussi des avancées technologiques dans le domaine des énergies renouvelables.
Le cas du Maroc illustre comment les pays peuvent être amenés à repenser radicalement leurs stratégies énergétiques face à des contraintes géopolitiques. Cette situation pourrait inciter d’autres nations à diversifier leurs sources d’approvisionnement, renforçant ainsi la résilience de leurs systèmes énergétiques. Par ailleurs, cette reconfiguration des flux gaziers pourrait avoir des répercussions sur les équilibres de pouvoir régionaux, l’Espagne émergeant comme un acteur clé dans la sécurité énergétique du Maghreb.
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