La date de péremption des médicaments a longtemps été considérée comme une limite infranchissable, un point de non-retour au-delà duquel les comprimés, gélules et autres formes pharmaceutiques devaient être jetés sans hésitation. Cette perception, ancrée dans l’esprit collectif, repose sur l’idée que passé ce délai, les médicaments perdraient leur efficacité, voire deviendraient dangereux. Pourtant, des études menées aux États-Unis depuis les années 1980 ont commencé à remettre en question cette croyance. Le programme américain d’extension des durées de conservation, lancé en 1986, a révélé que de nombreux médicaments conservaient leur efficacité bien au-delà de leur date d’expiration officielle. Ces découvertes ont ouvert la voie à une réflexion plus approfondie sur la pertinence des dates de péremption actuelles et leurs implications économiques et environnementales.
Une étude française bouscule les idées reçues
Dans ce contexte, l’UFC-Que Choisir a récemment mené une étude novatrice en France, analysant 30 échantillons de médicaments périmés, principalement du paracétamol et de l’ibuprofène. Les résultats, publiés en juin 2024, sont pour le moins surprenants : la grande majorité des médicaments testés, certains périmés depuis plus de 30 ans, conservaient une teneur en principe actif proche de celle indiquée sur l’emballage. Cette découverte remet en question la rigidité des dates de péremption actuelles et soulève des interrogations quant à la gestion des stocks pharmaceutiques, tant au niveau individuel qu’institutionnel.
L’étude a révélé que seuls trois échantillons sur dix contenaient moins de 90% de la quantité affichée de principe actif, le pire résultat étant de 82% pour un ibuprofène périmé depuis 2022. Plus étonnant encore, les conditions de conservation, qu’elles soient idéales ou négligentes, n’ont pas montré d’impact significatif sur la préservation des substances actives. Ces résultats font écho à des études antérieures, notamment celle menée par des chercheurs allemands en 2018, qui avait mis en évidence la stabilité de médicaments vieux de plusieurs décennies.
Des implications économiques et environnementales majeures
La remise en question des dates de péremption actuelles ouvre la porte à des réflexions plus larges sur la gestion des médicaments. D’un point de vue économique, l’extension des durées de vie des produits pharmaceutiques pourrait engendrer des économies substantielles. Un hôpital américain de taille moyenne a estimé jeter pour 200 000 dollars de médicaments chaque année en raison des dates de péremption. À l’échelle nationale, ces chiffres se traduisent par des millions d’euros de dépenses potentiellement évitables.
Sur le plan environnemental, la réduction du gaspillage pharmaceutique représenterait un pas significatif vers une gestion plus durable des ressources médicales. La production, la distribution et l’élimination des médicaments ont un impact non négligeable sur l’environnement. Prolonger leur durée d’utilisation pourrait contribuer à diminuer cette empreinte écologique.
Face à ces enjeux, le gouvernement français a récemment intégré la question des dates de péremption dans sa « Planification écologique du système de santé« . L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) travaille actuellement avec l’industrie pharmaceutique pour envisager une extension des durées de vie officielles des médicaments. Cette démarche se heurte cependant à certaines résistances, notamment concernant l’aspect esthétique des emballages, un argument que l’Académie de médecine juge peu pertinent au regard des enjeux en présence.
Vers une gestion plus raisonnée des armoires à pharmacie
Pour le consommateur, ces nouvelles données invitent à repenser la gestion de son armoire à pharmacie. Sans pour autant ignorer complètement les dates de péremption, il apparaît désormais possible d’adopter une approche plus nuancée.
Les experts recommandent de privilégier un stockage adapté, à l’abri de la chaleur, de l’humidité et de la lumière, plutôt que de se fier aveuglément à la date imprimée sur la boîte.
Il convient néanmoins de rester vigilant quant à l’état des médicaments. Tout changement d’aspect, de texture ou d’odeur doit inciter à la prudence. Les formes liquides, les pommades et l’aspirine nécessitent une attention particulière, leur dégradation pouvant être plus rapide ou plus visible.
L’étude de l’UFC-Que Choisir, en corroborant les résultats d’analyses antérieures, ouvre la voie à une réflexion profonde sur nos pratiques en matière de gestion des médicaments. Elle invite à un équilibre entre prudence sanitaire et rationalité économique et environnementale. Si la date de péremption reste un repère utile, elle ne doit plus être considérée comme une limite absolue, mais plutôt comme un indicateur parmi d’autres de la qualité et de l’efficacité d’un médicament. Cette nouvelle approche pourrait non seulement réduire le gaspillage et les coûts associés, mais aussi contribuer à une utilisation plus responsable et durable des ressources médicales.
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