Pendant des décennies, l’Allemagne a volontairement limité ses ambitions militaires. Après la Seconde Guerre mondiale, Berlin a adopté une posture de retenue, inscrite dans sa Constitution et dictée par des considérations éthiques, politiques et diplomatiques. Les effectifs ont été drastiquement réduits à la fin de la guerre froide, et les dépenses militaires se sont maintenues bien en deçà du seuil des 2 % du PIB recommandé par l’OTAN. La Bundeswehr, force autrefois redoutée, a ainsi été progressivement érodée, au point que de nombreux analystes la décrivent comme sous-équipée, mal préparée et entravée par une bureaucratie lourde. Cette tendance semblait durable — jusqu’à l’éclatement de la guerre en Ukraine en 2022, qui a bouleversé les équilibres sécuritaires du continent.
Une armée à reconstruire de fond en comble
Face aux bouleversements géopolitiques actuels, le chancelier Friedrich Merz affiche désormais une volonté de rupture. Il ambitionne de faire de la Bundeswehr la première force conventionnelle du continent, ce qui passe par une refonte complète de l’institution militaire. Le constat de départ est sévère : les stocks sont insuffisants, les infrastructures en ruine, et le personnel manque cruellement. Les précédents plans de réarmement, souvent retardés ou inachevés, ont laissé place à une volonté assumée d’aller plus vite et plus loin. Le gouvernement promet ainsi des investissements massifs, évalués à plusieurs centaines de milliards d’euros, pour moderniser les équipements, renforcer les capacités de réaction et revitaliser la chaîne logistique.
Dans ce contexte, le lancement d’un service militaire volontaire « plus attractif » vise à pallier la crise de recrutement, notamment chez les jeunes. L’idée est de rendre la carrière militaire plus accessible, tout en répondant à une nécessité de fond : restaurer la capacité opérationnelle d’une armée qui, sur le papier, peine encore à remplir ses engagements internationaux. Le chantier est immense, mais pour Merz, il ne s’agit plus d’un simple choix stratégique : il considère qu’il en va de la crédibilité de l’Allemagne au sein de l’Europe.
Ambitions européennes et pression diplomatique
La déclaration du chancelier allemand ne s’adresse pas seulement aux citoyens de son pays. En affirmant que ses partenaires « attendent » une montée en puissance militaire allemande, il révèle les pressions croissantes émanant d’États membres de l’OTAN ou de l’Union européenne, souvent préoccupés par les limites actuelles de la Bundeswehr. Alors que certains pays d’Europe de l’Est, en première ligne face à la Russie, investissent déjà massivement dans leur défense, l’Allemagne est attendue au tournant. Sa puissance économique, son poids politique et sa position géographique centrale l’obligent, aux yeux de ses alliés, à assumer davantage de responsabilités.
Dans un climat international tendu, marqué par des incertitudes durables sur les relations avec Moscou, Berlin veut montrer qu’elle ne se contentera pas d’un rôle passif. Le chancelier estime par ailleurs que croire en une stabilisation régionale après un simple recul russe en Ukraine relève de l’illusion. L’Allemagne, dans cette vision, se prépare à une ère prolongée d’instabilité, qui justifie un redéploiement stratégique de grande envergure.
En s’engageant sur cette trajectoire, Berlin cherche à conjuguer réassurance nationale et crédibilité externe. Mais cette montée en puissance militaire soulève aussi des interrogations : quel sera son impact sur l’équilibre interne de l’Union européenne, sur la coopération militaire avec la France, ou encore sur les perceptions au sein de la société allemande elle-même, longtemps méfiante vis-à-vis des démonstrations de force ? Le pari est lancé, avec des enjeux qui dépassent largement le simple domaine militaire.
Laisser un commentaire