Comment la Chine a battu les USA auprès d’un de ses alliés

(Michele Spatari - Getty Images)

Depuis plus d’une décennie, les États-Unis et la Chine mènent un affrontement global, moins tonitruant qu’un conflit armé mais tout aussi stratégique. Ce duel se joue sur tous les fronts : technologies, commerce, diplomatie, et plus récemment, énergie. Deux superpuissances dont les ambitions s’entrechoquent au rythme des alliances nouées et des routes redessinées. Washington mise sur ses liens historiques, tandis que Pékin avance ses pions, souvent dans l’ombre, jusqu’à marquer des points décisifs. L’épisode le plus récent de cette rivalité se joue sur le sol canadien, là où les pipelines ne transportent pas seulement du pétrole, mais aussi des symboles d’influence.

Un pipeline, deux routes possibles

Le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, propriété du gouvernement canadien, avait d’abord été perçu comme un renfort direct aux exportations canadiennes vers les États-Unis. Logique géographique et alliance naturelle entre voisins semblaient désigner les raffineries américaines comme destinataires prioritaires de ce brut. D’ailleurs, les chiffres initiaux confirmaient cette tendance : en moyenne, 173 000 barils par jour ont été livrés au marché américain via ce canal en juin 2024. Mais contre toute attente, c’est la Chine qui a fini par s’imposer comme le principal client de ce pétrole, redéfinissant les flux commerciaux d’un pipeline que l’on croyait destiné à renforcer l’axe Ottawa-Washington.

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Pendant ce temps, Pékin a réceptionné environ 207 000 barils par jour en provenance du Canada. Cette envolée spectaculaire contraste avec les 7 000 barils par jour importés en 2023. Une progression fulgurante qui trahit une stratégie bien rodée, dans un contexte où la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a rendu les échanges plus incertains pour les compagnies nord-américaines. Là où les entreprises américaines hésitent ou ralentissent, les sociétés chinoises avancent, signent, achètent. Les tankers changent de cap et les terminaux portuaires de la côte Pacifique voient leurs cargaisons partir vers l’Asie plutôt que vers la Californie.

Pékin avance ses pions, Washington recule

Ce renversement n’est pas qu’un simple basculement de destination commerciale : il reflète un recul relatif de l’influence américaine sur un territoire allié. Le Canada, tout en restant ancré dans les partenariats occidentaux, fait un choix pragmatique. Pour Ottawa, vendre du pétrole, c’est avant tout vendre à celui qui achète. Et en 2024, c’est la Chine qui se présente avec les bons volumes, les bons prix et la capacité logistique d’absorber les livraisons.

En parallèle, les tensions sino-américaines ont ralenti les engagements commerciaux entre les États-Unis et leurs partenaires traditionnels. Cette friction commerciale a un effet collatéral : elle laisse des espaces libres dans lesquels la Chine s’engouffre. Contrairement à une guerre classique, ici il n’y a pas de batailles rangées, mais une série de micro-décisions, d’ajustements discrets, qui finissent par produire un effet domino. Trans Mountain n’est plus un simple tuyau entre les Rocheuses et l’océan Pacifique : il devient un révélateur des nouvelles lignes de pouvoir.

Un rééquilibrage qui dépasse le baril

Si cette percée chinoise peut sembler anecdotique à première vue, ses implications sont profondes. Elle montre que Pékin ne cherche pas seulement à dominer dans les secteurs technologiques ou militaires, mais qu’elle investit aussi dans des leviers économiques essentiels comme l’accès à l’énergie. En devenant le principal client d’un oléoduc stratégique sur le territoire d’un partenaire des États-Unis, la Chine démontre que la guerre d’influence se joue désormais dans les ports, les cargaisons et les terminaux pétroliers.

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La surprise ne vient pas seulement du volume de pétrole détourné vers l’Asie, mais du fait que ce changement ait eu lieu sans fracas, dans un silence que seules les données de suivi maritime ont su rompre. Pékin n’a pas eu besoin de diplomatie tapageuse. Elle a simplement profité d’une brèche ouverte par la guerre commerciale américaine, en utilisant les armes les plus tranchantes de sa stratégie : patience, constance et opportunisme économique.

Dans ce jeu d’échecs global, le Canada n’a pas changé de camp. Il a seulement déplacé une tour. Mais cette tour, aujourd’hui, livre son énergie à l’adversaire stratégique des États-Unis. Et ce déplacement discret, mais hautement symbolique, montre que l’influence américaine n’est plus aussi automatique qu’avant.

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