Dédollarisation : l’Afrique met en place une nouvelle initiative

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Pendant près d’un siècle, le dollar américain a servi de boussole dans l’univers du commerce international. Propulsé au rang de devise dominante à l’issue de la Seconde Guerre mondiale avec les accords de Bretton Woods, il s’est imposé comme la monnaie de référence pour les échanges mondiaux, les matières premières et les réserves des banques centrales. Ce statut lui a conféré un avantage stratégique, permettant aux États-Unis d’influencer l’économie planétaire à travers leur politique monétaire. Mais depuis quelques années, des fissures apparaissent dans ce monopole. Des pays comme la Chine, la Russie ou encore le Brésil explorent activement des alternatives aux règlements en dollars, en réponse à la volatilité des marchés, aux sanctions économiques ou à la volonté de renforcer leur autonomie monétaire.

L’Afrique, souvent reléguée au second plan de ces débats globaux, amorce pourtant un tournant silencieux mais structurant : celui de transactions en monnaies locales à l’échelle continentale.

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Une infrastructure pour s’émanciper

Au cœur de cette transformation, le Système panafricain de paiements et de règlements (PAPSS) joue un rôle déterminant. Ce mécanisme, déjà opérationnel dans une quinzaine de pays, permet aux entreprises africaines de régler leurs transactions transfrontalières sans passer par des devises étrangères. Plus de 150 banques commerciales ont rejoint ce réseau, contribuant à desserrer l’emprise du billet vert sur le commerce intra-africain. Contrairement à une simple chambre de compensation, le PAPSS ambitionne de réorganiser les flux financiers du continent en facilitant les paiements directs entre les monnaies africaines. Cela signifie, concrètement, qu’une entreprise sénégalaise peut désormais régler un fournisseur ghanéen en franc CFA pendant que celui-ci reçoit du cedi, et ce, sans conversion préalable en dollar.

Cette dynamique ne repose pas seulement sur une volonté politique, mais aussi sur des appuis institutionnels. La Société financière internationale (SFI), bras financier du Groupe Banque mondiale, soutient ce changement en octroyant des prêts directement libellés en monnaies africaines. Ce choix vise à stabiliser les coûts d’emprunt pour les acteurs locaux, souvent exposés aux risques de change lorsque leurs revenus sont en devise nationale mais leurs dettes en devises fortes. En supprimant cet écart, la SFI renforce la viabilité des projets africains et favorise une forme d’indépendance financière plus enracinée.

Rationalité économique avant tout

Si l’expression « dédollarisation » peut faire penser à un geste politique contre l’ordre monétaire établi, les promoteurs du PAPSS insistent sur une approche plus pragmatique. Il ne s’agit pas de boycotter le dollar, mais de réduire les frictions financières qui alourdissent les coûts du commerce africain. Aujourd’hui encore, une grande part des échanges entre pays africains passe par des banques correspondantes situées hors du continent, souvent aux États-Unis ou en Europe, impliquant des délais et des commissions inutiles. C’est précisément cette inefficacité que le PAPSS veut éliminer.

Mike Ogbalu, directeur général du PAPSS, rappelle que l’objectif central est de faciliter l’accès aux monnaies dites « tierces », c’est-à-dire celles qui ne sont pas utilisées localement mais servent dans les échanges avec d’autres partenaires africains. En d’autres termes, il ne s’agit pas de remplacer le dollar par une autre devise hégémonique, mais de construire un écosystème capable de fluidifier les échanges à l’intérieur de l’Afrique sans recours systématique à des intermédiaires extérieurs.

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Une transition qui redéfinit les priorités

Au-delà de la technique financière, cette mutation soulève des enjeux profonds pour le développement économique africain. En recentrant les circuits monétaires sur le continent, les initiatives comme le PAPSS réduisent la dépendance aux fluctuations des marchés internationaux et renforcent la stabilité des transactions. Elles participent aussi à la concrétisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en lui fournissant les outils nécessaires pour fonctionner efficacement.

Cette dynamique ne garantit pas une rupture brutale avec l’ordre monétaire mondial, mais elle révèle une volonté croissante de reprendre la main sur les leviers du commerce régional. La possibilité de commercer sans passer par une monnaie étrangère pourrait lever de nombreux obstacles structurels. Et si le dollar ne disparaîtra pas de sitôt des bilans des banques africaines, il devra désormais cohabiter avec des outils plus adaptés aux réalités du terrain. C’est là que réside le véritable changement : dans une capacité accrue à décider, à échanger et à investir selon ses propres règles.

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