L’émergence de la tech mondiale, l’ouverture des marchés financiers et la montée en puissance de certaines économies ont contribué à faire exploser le nombre de personnes fortunées au cours des vingt dernières années. Des fortunes se sont construites à une vitesse inédite, portées par les cryptomonnaies, la valorisation des startups, la bulle immobilière dans certaines régions et la généralisation des investissements boursiers. Mais si cette richesse s’est d’abord concentrée dans les grandes capitales financières, elle est aujourd’hui en mouvement. Un mouvement global, organisé, et motivé par la quête de stabilité, de fiscalité avantageuse et d’opportunités durables.
Nouvelles terres d’accueil pour les fortunes en fuite
Les Émirats arabes unis confirment leur position de destination phare, attirant un nombre record de plus de 9 800 nouveaux millionnaires cette année. Dubaï, notamment, consolide son rôle de carrefour stratégique grâce à une fiscalité légère, une connectivité internationale renforcée et une image de hub sécurisant pour les grandes fortunes.
Dans le même élan, le Portugal, la Grèce et l’Italie connaissent une popularité croissante. Ces pays du sud du continent européen séduisent par leurs régimes fiscaux spécifiques pour les résidents étrangers et leurs programmes d’investissement immobilier. Lisbonne et Athènes deviennent ainsi des pôles recherchés par les particuliers à hauts revenus en quête de flexibilité administrative et d’une qualité de vie jugée attrayante.
Les îles des Caraïbes enregistrent également des arrivées massives de fortunes venues notamment d’Amérique latine, en particulier du Brésil et de la Colombie. L’instabilité économique persistante dans ces pays pousse les millionnaires à sécuriser leurs avoirs dans des territoires à la fois politiquement stables et fiscalement accueillants. Saint-Kitts, Antigua ou encore la Barbade offrent en plus la possibilité de naturalisations rapides, renforçant leur attractivité.
L’Europe de l’Ouest perd de sa superbe
La France, l’Espagne et l’Allemagne pourraient, pour la première fois, afficher un solde migratoire négatif en ce qui concerne leurs résidents les plus aisés. La pression fiscale, les incertitudes économiques et la montée des préoccupations sécuritaires contribuent à ce décrochage. Paris et Madrid, longtemps perçues comme des places fortes de l’élite économique, peinent à retenir leurs grandes fortunes.
Mais c’est au Royaume-Uni que la fuite est la plus marquée. Selon les projections, pas moins de 16 500 millionnaires devraient quitter le pays d’ici 2025. Cette hémorragie, la plus importante depuis le début du suivi de ces données, traduit un climat d’affaires détérioré depuis le Brexit. Les incertitudes sur les régulations futures, combinées à une fiscalité jugée de plus en plus pesante, expliquent ces mouvements. Londres, pourtant historiquement au cœur de la gestion patrimoniale mondiale, voit sa centralité remise en question.
« Le Royaume-Uni subit aujourd’hui une perte de confiance structurelle parmi ses contribuables les plus mobiles », analyse un expert du cabinet Henley & Partners, auteur du rapport sur la migration des millionnaires.
Asie et BRICS : entre stabilisation et vigilance
En Asie, la tendance est plus contrastée. La Corée du Sud connaît une augmentation notable des départs, causée par une combinaison de tensions politiques internes, d’inquiétudes économiques et de pressions fiscales. À l’autre bout du spectre, des pays comme le Vietnam voient également émerger un flux sortant croissant, illustrant une volonté des nouvelles fortunes locales de diversifier leurs avoirs à l’étranger.
La situation à Taïwan soulève une autre forme d’inquiétude. Les tensions récurrentes avec la Chine, combinées à un accès limité à l’immobilier de luxe, suscitent des réflexions sur la pérennité de la résidence sur l’île. Une partie des millionnaires locaux préfèrent s’installer dans des pays offrant une meilleure protection de leurs actifs.
Du côté des membres des BRICS, la dynamique semble marquer un répit. La Chine, l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud enregistreraient cette année leurs plus faibles pertes nettes de millionnaires depuis la pandémie. Cette stabilisation relative ne signifie toutefois pas un renversement de tendance, mais plutôt un ralentissement des flux, possiblement lié à une meilleure adaptation des politiques locales pour retenir les grandes fortunes.
Une cartographie de la richesse mondiale en recomposition
Ces déplacements massifs de capitaux privés ne sont pas qu’une réaction individuelle : ils modifient profondément la carte économique du monde. Dubaï, Lisbonne, Athènes, ou encore Castries, s’affirment comme les nouveaux centres de gravité pour les individus à très haute valeur nette.
À l’inverse, certains pays jadis considérés comme incontournables dans les stratégies de gestion de patrimoine voient leur influence décliner. L’évolution des politiques fiscales, la perception de la stabilité politique et la capacité à protéger juridiquement les actifs deviennent des critères déterminants dans les choix de relocalisation.
« Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est une internationalisation de la richesse non plus seulement dans sa création, mais dans sa conservation », explique un consultant en mobilité financière. Face aux défis géopolitiques, à la montée des tensions fiscales et aux transformations réglementaires, les fortunes choisissent désormais la fluidité plutôt que l’enracinement. Un changement discret, mais porteur de conséquences profondes pour les équilibres économiques à venir.



