Pendant des années, les formations politiques nationalistes et identitaires du Vieux Continent ont construit leur ascension sur un discours sans ambiguïté : réduire les arrivées de migrants à tout prix. Du Rassemblement national en France à l’AfD en Allemagne, en passant par la Ligue italienne, l’idée d’une Europe “submergée” a été répétée jusqu’à devenir un argument électoral central. À leurs yeux, toute baisse du nombre d’entrées clandestines constitue une preuve tangible que leur ligne politique est efficace. Aujourd’hui, les données publiées par l’agence Frontex semblent offrir à ces mouvements un argument de poids : les arrivées illégales sur le territoire de l’Union sont en net recul.
Des routes migratoires sous pression
D’après les données relevées entre janvier et mai 2025, environ 63 700 passages non autorisés ont été enregistrés à travers les frontières extérieures de l’Union européenne. Cela représente une diminution globale de 20 % par rapport à la même période l’année précédente. Cette contraction du flux n’est pas uniforme : certaines routes montrent des baisses spectaculaires, tandis que d’autres continuent de résister.
La voie des Balkans occidentaux, longtemps considérée comme l’un des itinéraires les plus actifs, a connu une chute de 56 % des traversées. Sur l’axe menant des côtes ouest-africaines vers les Canaries, la baisse atteint 35 %, tandis que le corridor reliant la Turquie aux îles grecques affiche une réduction de 30 %. Même le parcours emprunté via la Biélorussie vers la Pologne et les pays baltes, pourtant sous haute tension diplomatique depuis des mois, enregistre un recul de 7 %, avec 5 062 tentatives recensées sur cette ligne.
L’exception méditerranéenne
Alors que l’on observe une diminution sur la plupart des fronts, une route continue d’échapper à la tendance : celle de la Méditerranée centrale, qui relie principalement la Libye et la Tunisie à l’Italie. Contrairement aux autres zones, cette portion affiche une hausse de 7 % des mouvements détectés au cours des cinq premiers mois de l’année. Ce regain est modéré mais révélateur : malgré les obstacles, les réseaux de traversée restent actifs, et les motifs de départ demeurent puissants.
Les personnes recensées sur ce parcours viennent majoritairement de pays en crise. Parmi elles, on trouve notamment des ressortissants maliens, afghans…signe que les causes profondes de l’exil – conflits, pauvreté, instabilité – ne disparaissent pas sous l’effet des politiques de dissuasion européennes.
Une victoire politique, mais à quel prix ?
Pour les partis qui réclament depuis des années une ligne dure, ces statistiques sont une opportunité politique rêvée. Elles viennent renforcer le récit selon lequel seule une politique de fermeture permet de “reprendre le contrôle” des frontières. En pleine montée des nationalismes et à l’approche de plusieurs scrutins clés en Europe, cette baisse est présentée comme une validation de leur programme.
Mais cette lecture masque des réalités plus complexes. Si les flux diminuent, c’est aussi parce que l’Europe externalise de plus en plus la gestion de ses frontières, confiant cette tâche à des pays tiers souvent peu regardants sur les droits fondamentaux. Ce que les uns appellent une “victoire” ressemble pour d’autres à un déplacement du problème, loin des côtes européennes, dans des zones où la surveillance est plus brutale, et les conditions d’attente inhumaines.
Les chiffres actuels montrent un ralentissement, certes, mais pas une fin des mouvements migratoires. En réalité, les routes évoluent, se recomposent, s’adaptent. L’extrême droite peut crier victoire, mais la question migratoire, elle, reste ouverte, mouvante et plus que jamais sujette à manipulations politiques.
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