Ressources naturelles : l'Afrique face aux renégociations des contrats

Alors que les promesses économiques liées à l’exploitation des ressources naturelles suscitent depuis des années l’espoir de transformations majeures, plusieurs pays africains s’engagent désormais dans un bras de fer juridique ou fiscal avec les entreprises étrangères opérant sur leur sol. Le Sénégal, tout juste entré dans le cercle des producteurs de pétrole, illustre cette dynamique avec l’ouverture d’un arbitrage international par Woodside Energy, son principal partenaire sur le champ offshore de Sangomar.

Sénégal : la rupture discrète d’un consensus ancien

Le contentieux entre l’État sénégalais et la société australienne Woodside repose officiellement sur un différend fiscal portant sur environ 68 millions de dollars. L’entreprise, qui détient 82 % des parts du projet Sangomar, affirme avoir respecté toutes ses obligations. Pourtant, en parallèle d’une procédure nationale encore en suspens, elle a saisi le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), dénonçant une absence de résolution sur certains points clés.

Ce bras de fer intervient dans un contexte politique nouveau : l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, qui a exprimé sa volonté de réviser les accords énergétiques afin de garantir une meilleure redistribution des richesses. Le différend avec Woodside n’est officiellement pas lié à cette orientation, mais s’inscrit dans un climat où les logiques contractuelles passées sont désormais réinterrogées.

Une dynamique régionale de réappropriation

Le Sénégal n’est pas une exception. Plusieurs pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) se sont engagés dans des processus similaires, en privilégiant des actions unilatérales parfois plus brutales.

Au Mali, c’est le géant minier Barrick Mining qui fait face à une escalade judiciaire. Trois tonnes d’or ont été saisies en novembre 2024, et des accusations de fraude, blanchiment et financement du terrorisme pèsent sur la société et ses cadres. Le gouvernement a même demandé la mise sous tutelle judiciaire du complexe minier Loulo-Gounkoto, pourtant déjà en production. Barrick a riposté en mobilisant à son tour le CIRDI.

Le Burkina Faso a quant à lui opté pour une nationalisation partielle : en août 2024, deux importantes mines d’or ont été reprises à Lilium Mining, une filiale d’Endeavour. Les autorités ont justifié ce choix par un conflit juridique non résolu, mais la démarche s’inscrit dans une volonté claire de reprendre la main sur les ressources stratégiques.

Au Niger, le retrait du permis d’exploitation d’uranium au groupe français Orano en 2024, après des années d’inactivité sur le site d’Imouraren, a marqué une rupture nette avec l’ancienne tutelle française. Le contexte diplomatique tendu entre Niamey et Paris a sans doute joué un rôle, mais la décision témoigne aussi d’une exigence de résultats économiques concrets.

En Guinée, le gouvernement a révoqué en mai 2025 une centaine de permis miniers. Motif : le non-respect du Code minier, souvent associé à des projets dormants ou spéculatifs. Cette opération de nettoyage administratif vise à assainir le secteur, mais elle bouscule les logiques d’investissement sur le long terme.

Renégocier ou rompre : quels risques pour les États ?

Ces actions reflètent une volonté de souveraineté renforcée, voire de rééquilibrage des rapports de force. Toutefois, les arbitrages engagés, comme ceux devant le CIRDI, montrent aussi les limites de cette stratégie. Ils exposent les États à d’éventuelles condamnations financières, à une dégradation de leur réputation juridique et à une frilosité accrue des investisseurs étrangers.

L’argument de la légitimité populaire, souvent mis en avant, ne suffit pas à lui seul. Il faut démontrer la rigueur des audits, le respect des engagements internationaux et la cohérence des politiques fiscales. Autrement dit, transformer le rapport de force ne dispense pas d’un cadre juridique solide.

Un tournant irréversible ?

Le recours croissant à l’arbitrage et les actions souverainistes sur les ressources naturelles signalent un changement d’époque. Il ne s’agit plus simplement d’attirer les investissements, mais d’en contrôler la finalité et de rendre des comptes aux opinions publiques.

Reste à savoir si cette dynamique, marquée par une remise en question des accords hérités, permettra à l’Afrique de renforcer sa position sans compromettre sa capacité à financer ses ambitions industrielles. Le cas du Sénégal, dans ce contexte, pourrait bien devenir un test régional : renégocier avec fermeté, sans rompre les équilibres nécessaires à la construction d’un véritable partenariat économique.

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