Sénégal : Le fils d’un tirailleur de Thiaroye poursuit la France pour recel de cadavre

Près de huit décennies après le massacre de Thiaroye, la mémoire troublée des tirailleurs sénégalais revient hanter les prétoires. Biram Senghor, âgé de 86 ans, a déposé ce 24 juin à Paris une plainte contre X et contre l’État français, sur la base d’un chef d’accusation inattendu : le recel de cadavre. Son père, M’Bap Senghor, figurait parmi les dizaines de soldats africains tués par l’armée française le 1ᵉʳ décembre 1944 à Thiaroye, alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs soldes. Officiellement réhabilité par la France en 2024, ce dernier a été reconnu « mort pour la France » après des décennies d’oubli. Pourtant, son fils n’a jamais été informé de l’emplacement de sa dépouille, ni des circonstances précises de sa mort. Un silence d’État devenu insoutenable.

Des sépultures invisibles, une mémoire en suspens

La plainte de Biram Senghor s’appuie sur l’article 434‑7 du Code pénal français, utilisé dans les affaires impliquant la dissimulation volontaire d’un corps. Au-delà du cas individuel, l’initiative judiciaire vise à réveiller une mémoire collective longtemps étouffée. Elle intervient quelques mois après que le gouvernement sénégalais ait ordonné l’ouverture de fouilles sur le site de Thiaroye, relançant l’espoir de localiser enfin les fosses communes. Ces recherches, amorcées au lendemain de la reconnaissance officielle par la France de la faute historique commise, traduisent une volonté politique de réconcilier mémoire, justice et vérité. Mais l’absence de coopération active des autorités françaises continue d’alimenter les soupçons de camouflage.

Une bataille juridique et symbolique

Au-delà de la demande de localisation des corps, la démarche de Biram Senghor questionne le traitement judiciaire réservé aux tirailleurs de Thiaroye. Condamnés à des peines infamantes par une justice militaire expéditive en 1945, ces soldats n’ont jamais bénéficié d’un procès équitable. La plainte déposée aujourd’hui pourrait ouvrir la voie à une révision de leur condamnation, posant ainsi les bases d’une réhabilitation judiciaire complète.
Elle redonne souffle à un combat mémoriel souvent confiné aux hommages officiels ou aux discours de circonstances, en y injectant une exigence de justice concrète et documentée. En se tournant vers les tribunaux, Biram Senghor transforme une blessure familiale en cause nationale, et donne un visage à une génération entière de descendants en quête de vérité.

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