Le marché des applications de messagerie ressemble aujourd’hui à un carrefour bondé. Entre les géants que sont WhatsApp, Telegram, Signal ou encore Messenger, et les solutions intégrées comme iMessage ou les systèmes RCS d’Android, l’utilisateur moyen semble déjà avoir l’embarras du choix. Chaque acteur promet plus de sécurité, plus de rapidité, ou une meilleure expérience. Dans ce contexte d’hyper-saturation, il semble difficile d’imaginer qu’un nouvel entrant puisse encore faire la différence. Et pourtant, Jack Dorsey, l’un des cofondateurs de Twitter, estime qu’il reste une brèche à exploiter.
Écarté de l’univers Twitter depuis 2021, l’entrepreneur n’est pas resté inactif. Loin de revenir avec une simple copie améliorée des outils existants, il mise désormais sur une rupture technologique. Son nouveau projet, Bitchat, n’entend pas rivaliser sur le même terrain que ses concurrents, mais redessiner les règles du jeu, en proposant une expérience de messagerie radicalement différente, presque dissidente dans son principe.
Bitchat : un réseau sans Internet, mais pas sans ambition
Ce qui distingue Bitchat des autres, c’est son refus pur et simple d’utiliser Internet. L’application s’appuie exclusivement sur le Bluetooth, en mode pair-à-pair, pour faire transiter les messages d’un utilisateur à un autre, comme une chaîne humaine invisible. En d’autres termes, chaque appareil devient un relais potentiel, contribuant à la propagation des messages sans qu’aucune infrastructure centrale ne soit sollicitée. Cela signifie que l’on peut échanger sans numéro de téléphone, sans carte SIM, sans couverture réseau, simplement en étant à proximité d’un autre utilisateur du réseau.
Cette approche s’apparente à une sorte de “messagerie décentralisée de proximité”, où chaque smartphone devient un nœud actif du système, à la manière des filets de pêche qui se forment naturellement dans les zones les plus poissonneuses. C’est une forme de communication qui peut se révéler précieuse dans des contextes de censure, de panne réseau, ou même de catastrophes naturelles, où les infrastructures classiques sont hors service.
Côté fonctionnalités, Bitchat ne se limite pas à des échanges privés : la messagerie de groupe est déjà disponible, tout comme une option de “nettoyage d’urgence” qui permet de supprimer instantanément toutes les données stockées. En matière de confidentialité, l’application promet des échanges chiffrés, sans conservation d’historique, et sans identifiant personnel apparent.
Une menace sérieuse ou une utopie techno ?
En refusant les standards actuels, Jack Dorsey tente un pari risqué mais potentiellement disruptif. Là où Mark Zuckerberg et ses homologues contrôlent des réseaux mondiaux construits sur des milliards de serveurs, de lignes de code et d’accords commerciaux, Bitchat fait le choix de l’autonomie locale, sans cloud, sans centralisation, sans dépendance visible. C’est une démarche presque militante, qui séduit autant qu’elle intrigue.
Cependant, le succès d’une application ne dépend pas uniquement de son originalité technique. Elle doit convaincre, rassembler une masse critique d’utilisateurs et prouver sa stabilité. Pour l’instant, Bitchat n’est disponible qu’en version bêta sur Testflight pour iPhone et visible sur GitHub. L’écosystème est encore balbutiant, les usages encore limités, et l’adoption dépendra aussi de la compatibilité entre appareils, de la sécurité du protocole Bluetooth et de la capacité de l’algorithme à faire transiter les messages sur des distances significatives.
Reste une question fondamentale : les utilisateurs, habitués à la fluidité des échanges via Internet, sont-ils prêts à basculer vers un système plus lent, plus contraint, mais potentiellement plus libre ? Bitchat pourrait bien être, pour les messageries, ce que la cryptomonnaie a été pour la finance : un projet né en marge, aux contours encore flous, mais porteur d’un changement de paradigme.



