Transformer un fleuve en source d’énergie de masse a toujours représenté un tournant stratégique pour un pays. À la fois outil de production électrique, levier économique et symbole d’ingénierie, un barrage peut redessiner les dynamiques régionales. La Chine, déjà à l’origine du barrage des Trois-Gorges, entend franchir un nouveau seuil avec un projet encore plus colossal.
Motuo : un chantier hors norme sur le Brahmapoutre
Situé dans la région de Motuo, au sud-est du Tibet, ce nouveau barrage sera érigé sur le fleuve Yarlung Tsangpo, qui devient le Brahmapoutre en entrant en Inde, avant de poursuivre sa course jusqu’au Bangladesh. L’objectif affiché est ambitieux : atteindre une capacité de 60 gigawatts, soit l’équivalent de plus de 35 réacteurs nucléaires de dernière génération, et trois fois plus que les Trois-Gorges, pourtant déjà reconnu comme un géant mondial de l’hydroélectricité.
Le coût estimé dépasse les 165 milliards de dollars, ce qui en fait non seulement le plus puissant, mais aussi l’un des plus coûteux projets d’infrastructure de l’histoire énergétique mondiale. Cette centrale hydroélectrique devrait permettre de fournir de l’électricité à une large partie du territoire chinois, tout en soutenant les besoins énergétiques locaux du Tibet.
Réactions régionales et enjeux géopolitiques
La construction de ce barrage ne se fait pas sans tensions. Le ministère indien des Affaires étrangères a exprimé son inquiétude quant aux conséquences potentielles sur l’approvisionnement en eau des États situés en aval, en particulier l’Inde et le Bangladesh. Ces pays dépendent fortement du Brahmapoutre pour l’irrigation, l’eau potable et les usages industriels.
En réponse, Pékin a assuré que le projet n’aurait aucun effet négatif sur les flux en aval et a réaffirmé sa volonté de maintenir un dialogue avec les pays concernés. Malgré ces garanties, les autorités indiennes restent vigilantes et ont déclaré surveiller de près l’évolution des travaux afin de défendre leurs intérêts. La question de la gestion transfrontalière des ressources hydriques reste un point de friction sensible entre les deux puissances asiatiques.
Un pari énergétique aux dimensions climatiques
Au-delà des rivalités régionales, la Chine présente cette initiative comme un moyen de renforcer sa production d’énergie propre, réduisant ainsi sa dépendance au charbon. Pékin y voit une réponse directe aux engagements pris en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le barrage de Motuo s’inscrit dans une stratégie plus large de déploiement d’infrastructures vertes, en particulier dans les régions éloignées, où les capacités de production locales restent limitées. L’électricité générée pourrait non seulement stabiliser l’approvisionnement en électricité dans des zones rurales, mais aussi être injectée dans les réseaux qui alimentent les grandes villes de l’est du pays.
Mais cette entreprise soulève aussi des questions d’ordre environnemental. La zone de Motuo, réputée pour sa biodiversité exceptionnelle, risque d’être profondément transformée par le chantier et le réservoir qui en découlera. Les déplacements de population, les modifications de l’écosystème fluvial et les éventuels effets climatiques à l’échelle régionale ne sont pas à écarter.
En lançant la construction de ce méga-barrage, la Chine ne se contente pas de bâtir un ouvrage d’envergure. Elle affirme aussi son ambition de contrôler l’un des cours d’eau les plus stratégiques d’Asie, tout en consolidant sa position de leader mondial de l’hydroélectricité. Le projet de Motuo, à la fois moteur de croissance énergétique et source de crispation diplomatique, illustre les tensions croissantes autour des ressources naturelles partagées.



