Le rêve des pères fondateurs d’une Afrique unie et prospère semble s’éloigner chaque jour un peu plus de la réalité. Malgré l’existence d’une pléthore d’organisations régionales et sous-régionales, ainsi que d’une Union Africaine (UA) censée incarner l’unité continentale, le continent peine à décoller et à offrir à ses populations les conditions de vie dignes qu’elles méritent. Le sévère réquisitoire de Fatoumata Sidibé Diara, une analyste des dynamiques africaines, met en lumière cette incapacité flagrante des institutions africaines à propulser le continent vers un développement réel.
Au-delà du symbole d’unité qu’elle représente, l’UA peine à démontrer une utilité concrète. Le point d’achoppement principal soulevé par Fatoumata Sidibé Diara concerne l’impact quasi-inexistant de l’Union Africaine sur le quotidien des populations africaines. Son Agenda 2063, ambitieux projet visant à faire de l’Afrique une puissance économique et politique en 50 ans, affichait pour 2020 un objectif des plus critiques : faire taire les armes sur le continent. Force est de constater que cet objectif est loin d’avoir été atteint. La persistance des conflits armés, des crises sécuritaires et des tensions inter-États témoigne de l’inefficacité de l’UA en matière de résolution de crises et de maintien de la paix.
La question de l’autorité et des moyens de pression de l’Union Africaine est également centrale. « Qui écoute réellement l’UA aujourd’hui ? Ses résolutions et ses positions sont souvent ignorées, voire bafouées, par les États membres et les acteurs extérieurs. Une institution d’unité continentale, pour être crédible et efficace, doit impérativement fonctionner et être capable de défendre l’indépendance de ses membres. Or, cette indépendance est gravement compromise par une dépendance financière chronique », affirme Fatoumata Sidibé.
La faillite de l’indépendance financière : le talon d’achille de l’UA
Fatoumata Sidibé Diara pointe du doigt le nœud gordien du problème : l’incapacité de l’Union Africaine à s’autofinancer. « Comment parler d’indépendance lorsque plus de 71% de son budget était financé par des fonds étrangers en 2022 ? » L’image d’une Union Africaine financée par l’Union Européenne est éloquente et ironique. Cette dépendance s’accompagne inévitablement de conditionnalités, car « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit ». Cette réalité sape la souveraineté de l’UA et sa capacité à définir et à mener des politiques conformes aux seuls intérêts africains.
Un exemple frappant de cette faiblesse est l’incapacité des plus de 50 États africains à financer la construction du siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, dont la réalisation a finalement été assurée par un don étranger. Cette situation est symptomatique d’un manque criard d’engagement et de solidarité financière de la part des États membres, qui préfèrent tendre la main à l’extérieur plutôt que de mutualiser leurs ressources pour leurs propres institutions.
Au-delà des questions financières, les institutions africaines affichent un taux d’échec inacceptable dans la médiation et la résolution de crises. Leur inertie et leur inefficacité face aux problématiques économiques et sécuritaires du continent sont flagrantes. Qu’il s’agisse de conflits armés, de crises humanitaires ou de défis économiques majeurs, ces organisations ne sont pas parvenues à répondre aux objectifs fixés par les pères fondateurs : « assurer la paix, la stabilité et le développement ».
Mais la critique ne s’arrête pas aux institutions elles-mêmes. Fatoumata Sidibé Diara n’hésite pas à dénoncer le rôle des dirigeants africains, qui travaillent parfois à saper l’autorité de ces institutions et à entretenir la division. L’exemple des multiples sommets « Pays étranger-Afrique » (Corée-Afrique, Italie-Afrique, France-Afrique, Russie-Afrique, Turquie-Afrique ou Chine-Afrique) est édifiant. Plutôt que de s’unir pour négocier en bloc, les chefs d’État africains se rendent à ces rendez-vous en rang dispersé, affaiblissant leur pouvoir de négociation.
Le dernier sommet Chine-Afrique est un cas d’école. Malgré le déplacement massif des chefs d’État africains, la promesse du président chinois s’élevait à 50 milliards de dollars sur trois ans, soit moins d’un milliard par pays sur trois ans. « Tout ça pour ça », s’indigne l’analyste. Comment un continent entier peut-il accepter d’être convoqué par un seul État, faute d’institutions régionales ou continentales crédibles, capables de le représenter et de porter des projets structurants à l’échelle panafricaine ? La même logique individualiste prévaut lorsque les dirigeants vont à la rencontre des partenaires techniques et financiers, chacun cherchant à obtenir des avantages pour son pays, plutôt que de présenter des projets d’envergure continentale.
Le combat pour une Afrique respectée et unifiée
L’absence de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations-Unies, et la proposition inacceptable d’un simple siège sans droit de veto pour un continent entier, illustrent la profonde désunion et le manque de poids géopolitique de l’Afrique. Cette situation rappelle la citation de Julius Nyerere : « L’Afrique ne sera respectée que si elle se respecte elle-même. » L’unification du continent n’est pas une option, mais une nécessité impérieuse si l’Afrique veut peser sur la scène internationale.
Pour sortir de cette impasse, Fatoumata Sidibé Diara appelle à l’application de plusieurs principes fondamentaux. L’Afrique doit cesser de tendre la main et de demander. Elle doit créer ses propres moyens de financement pour ses institutions régionales et continentales. C’est à ce prix seulement que des politiques propres, axées sur l’intérêt des peuples africains, pourront être menées. L’union basée sur la seule proximité géographique a montré ses limites. Il est temps d’adopter une approche plus pragmatique, en s’unissant sur des intérêts, une vision et des objectifs communs. L’Alliance des États du Sahel (AES), formée en Afrique de l’Ouest pour faire face à la menace terroriste, est un exemple de ce nouveau paradigme : des États s’unissant pour des objectifs de construction ou de riposte à des menaces partagées. L’intégration régionale et sous-régionale ne doit plus être un slogan bureaucratique. Elle doit se traduire par des réalisations concrètes et tangibles qui changent le quotidien des populations. Il faut des pôles économiques intégrés, des infrastructures communes (routes, réseaux énergétiques) et de grands groupes panafricains.
Un appel à l’action pour la jeunesse africaine
La situation du continent n’est pas une fatalité. C’est un défi qui exige prise de conscience, travail acharné et unité. La jeunesse africaine, affranchie du poids de l’histoire et consciente de son potentiel, a une mission cruciale. Comme l’a dit Patrice Lumumba, l’Afrique est capable d’écrire sa propre histoire, une histoire de gloire et de dignité. C’est à la génération actuelle de faire en sorte que cela devienne une réalité.
L’heure n’est plus aux discours, mais à l’action concrète. L’unité est le maître-mot, et c’est « maintenant ou jamais », a conclu Fatoumata Sidibé Diara.
