Rapport avec le divin: Un réveil identitaire croissant en Afrique

Depuis quelques années, un profond bouleversement traverse les consciences africaines. Une vague de remise en question, longtemps contenue, se déploie à grande vitesse, notamment à travers les réseaux sociaux. Ce mouvement, qui prend l’allure d’un réveil collectif, traduit une dénonciation de plus en plus visible des religions dites « révélées » (islam, christianisme, judaïsme) au profit d’un retour revendiqué aux spiritualités africaines ancestrales. Derrière cette révolution silencieuse, une interrogation de fond : les religions importées ont-elles aliéné les Africains, les coupant de leur essence culturelle ? Et pourquoi maintenant, ce sursaut identitaire ?

Il suffit de faire un tour sur les plateformes comme TikTok, YouTube, Facebook ou X pour constater l’ampleur de la contestation. Des vidéos virales montrent de jeunes africains débattant avec passion, dénonçant ce qu’ils considèrent comme un lavage de cerveau opéré depuis des siècles. Des publications, parfois accompagnées de visuels chocs, accusent les religions révélées d’avoir été les chevaux de Troie de la colonisation. Les prêtres, imams et missionnaires sont décrits par certains comme les « agents » d’un système ayant contribué à la domination de l’Afrique.

Ce rejet s’exprime aussi dans les gestes : des individus brûlant des bibles ou des corans pour signifier leur rupture. D’autres restituent publiquement leurs noms africains, en abandonnant les prénoms chrétiens ou musulmans imposés à leur naissance. De plus en plus, des cérémonies traditionnelles refont surface, des consultations chez les féticheurs ou devins deviennent visibles et assumées, tandis que les chants, danses et rituels liés aux divinités africaines connaissent une renaissance inédite.

Un déclic historique et social

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce déclic collectif. D’abord, l’accès massif à l’information et aux contenus critiques grâce à Internet. Les jeunes africains, férus de contenus panafricanistes, découvrent des penseurs comme Cheikh Anta Diop, John Henrik Clarke ou encore Amadou Hampâté Bâ, qui réhabilitent la dignité des civilisations africaines précoloniales. Ces lectures et vidéos leur permettent de déconstruire un récit dominant selon lequel l’Afrique n’aurait été éclairée qu’à travers les religions révélées.

Ensuite, il y a la déception face à l’impact des religions révélées sur la société contemporaine. Malgré des siècles de prières, de jeûnes, de pèlerinages et d’enseignements religieux, les fléaux tels que la corruption, les injustices sociales, les violences intercommunautaires et la pauvreté persistent. Beaucoup finissent par se demander si ces religions ont réellement été bénéfiques ou si elles n’ont pas plutôt contribué à maintenir un statu quo défavorable aux peuples africains. Mieux, certains responsables des églises nouvelles s’enrichissent sur le dos des populations africaines, mettant en avant Dieu.

À cela s’ajoute une crise de représentation. Dans les grandes religions monothéistes, Dieu est souvent représenté — même symboliquement — sous des traits qui ne correspondent pas aux identités africaines. Ce sentiment d’exclusion pousse de nombreux jeunes à rechercher un divin qui leur ressemble, un panthéon enraciné dans leurs terres et leurs mythologies.

La quête de souveraineté culturelle

Derrière le rejet des religions révélées, se cache souvent une revendication de souveraineté culturelle. Pour beaucoup, retrouver la spiritualité africaine originelle est un acte politique et identitaire. Il ne s’agit pas uniquement de changer de croyance, mais de se reconnecter à une mémoire longtemps effacée. Ce retour aux sources est perçu comme un moyen de rétablir une continuité historique, brisée par des siècles d’esclavage, de colonisation, et d’endoctrinement religieux.

Les leaders de ce courant insistent sur le fait que les religions africaines ne sont pas incompatibles avec la modernité. Bien au contraire, elles sont, selon eux, plus respectueuses de la nature, du lien intergénérationnel, du sacré dans le quotidien, et de la complémentarité entre les forces visibles et invisibles. Ces spiritualités valorisent la communauté, la mémoire des ancêtres, et l’interconnexion entre l’homme et le cosmos, des valeurs que beaucoup jugent absentes dans les dogmes importés.

Vers une recomposition du paysage spirituel africain ?

Pour autant, ce réveil ne signifie pas encore un basculement généralisé. Les religions révélées restent solidement implantées, tant en nombre d’adeptes que dans les structures sociales, politiques et économiques. Églises et mosquées sont omniprésentes dans les villes et les campagnes, et de nombreux chefs d’État revendiquent ouvertement leur appartenance religieuse. De plus, beaucoup d’Africains vivent encore leur foi chrétienne ou musulmane avec sincérité, conviction et attachement.

Mais le débat est désormais ouvert. Ce qui relevait autrefois du tabou devient aujourd’hui une conversation publique, alimentée par une jeunesse plus instruite, plus connectée, et plus exigeante vis-à-vis de son identité. Des mouvements comme le Kemetisme, le vodoun revisité, ou encore les spiritualités congolaises renaissent. Le besoin de se réapproprier le sacré devient un cri de ralliement.

Le réveil spirituel africain n’est pas seulement une critique des religions révélées. Il est d’abord une tentative de reconstruction de soi, un effort pour réconcilier le passé et l’avenir. Ce mouvement met en lumière un besoin de sens enraciné, de fierté culturelle, et de cohérence historique. En somme, l’Afrique est en train de réécrire sa relation au divin, non pas en rejetant tout en bloc, mais en explorant de nouvelles voies. Ou plutôt, d’anciennes voies longtemps oubliées. La route est encore longue, mais le pas a été franchi. Et il semble, cette fois-ci, irréversible.

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