Un nombre croissant de multinationales se désengage d’Afrique. De plus en plus souvent, des acteurs africains, publics ou privés, reprennent leurs actifs. Pour l’entrepreneur ivoiro-malien Sidi Mohamed Kagnassi, cette tendance pourrait augurer une « africanisation salutaire » des économies nationales.
Historiquement, en Afrique, quand des multinationales revendaient des actifs, les acheteurs étaient surtout d’autres acteurs étrangers. Mais cette dynamique évolue. « L’Afrique pourrait basculer vers un nouveau modèle de croissance, moins dépendant des grands groupes étrangers, en s’appuyant sur les talents et les financements locaux », suggère l’entrepreneur ivoiro-malien Sidi Mohamed Kagnassi. Observateur avisé de l’économie africaine, il est aussi acteur de cette évolution, puisqu’il a racheté, en décembre 2024, deux actifs stratégiques ivoiriens, Chimtec et Ivroire Coton.
Les groupes internationaux délaissent l’Afrique
Le désengagement des multinationales d’Afrique est une tendance de long terme. Initiée par la crise financière de 2008, cette vague de départs et de cessions d’actifs s’est accentuée avec la pandémie de Covid-19, en 2020, et se poursuit depuis. Entre 2023 et 2024, elle a touché l’industrie pharmaceutique, avec les départs de GlaxoSmithKline, Sanofi et Bayer, l’agroalimentaire et les biens de consommation, avec des cessions d’actifs d’Unilever, de Nestlé ou du groupe britannique PZ Cussons Plc, et même le béton, avec le géant suisse Holcim.
Le secteur bancaire est également largement concerné. La Société Générale a ainsi revendu, une à une, ses filiales dans différents pays africains : Burkina Faso, Guinée, Mauritanie, Mozambique, Guinée Équatoriale, Tchad et en 2023, Ghana, Cameroun et Tunisie en 2024, Sénégal et Côte d’Ivoire cette année…« Ces cessions en cascade redessinent le visage de notre secteur financier, au profit, le plus souvent, de la puissance publique et de banques panafricaines », souligne Sidi Mohamed Kagnassi.
Quand la puissance publique rachète des actifs stratégiques
En effet, dans plusieurs pays, dont le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Sénégal, c’est l’État qui a repris la filiale locale de la SG. Des acquisitions emblématiques d’une tendance forte : le rachat d’actifs stratégiques africains par des Africains. Ainsi, au Gabon, l’État s’est porté acquéreur de plusieurs entreprises pétrolières, Assala Energy en 2024, puis la britannique Tullow Oil et la française SMP Afrique en mars 2025. « Les États africains n’hésitent plus à s’emparer d’une entreprise étrangère mise en vente, si son activité est stratégique pour le développement du pays. Ces choix me semblent dictés par une volonté d’autodétermination économique », analyse Sidi Mohamed Kagnassi.
Le secteur privé africain à l’affût d’acquisitions
Mais les États ne sont pas les seuls à mobiliser des capitaux. « Le secteur privé local, en particulier les entrepreneurs, se positionne désormais quand un groupe international revend une filiale africaine », pointe Sidi Mohamed Kagnassi. Les cessions des filiales de la SG sont, une nouvelle fois, symptomatiques. Au Congo, le groupe bancaire local BGFI, numéro un de son secteur en Afrique centrale, a ainsi racheté les actifs de la banque française. En Mauritanie, la SG a cédé sa filiale conjointement à deux sociétés financières mauritaniennes, Enko Capital et Oronte. Les groupes bancaires panafricains Atlantic Financial Group et Coris ont racheté respectivement les antennes guinéenne et tchadienne de la SG ; leur homologue Vista Bank s’est emparé des filiales au Burkina Faso et au Mozambique.
Mais ce phénomène ne se limite pas au secteur financier. L’entreprise nigériane Seplat Energy Plc a ainsi racheté, fin 2023, une filiale locale d’ExxonMobil pour 1,5 milliard de dollars. Plus récemment, en avril 2025, le groupe ivoirien Carré d’Or a acquis Unilever Côte d’Ivoire, après s’être déjà offert, entre 2021 et 2024, des actifs agroalimentaires de Castel, Coca-Cola ou Sipro-Chim.
« Une logique panafricaine vertueuse »
« Privilégier un repreneur africain devient une évidence. Ce choix offre de nombreux avantages : la société rachetée bénéficie d’un financement local, d’une gouvernance de proximité, et d’une stratégie cohérente avec la situation de chaque pays. Contrairement à une multinationale, un dirigeant africain ne dédaigne pas les PME pour trouver de nouveaux clients ou fournisseurs », détaille Sidi Mohamed Kagnassi, selon lequel « cette multiplication des rachats d’entreprises par des Africains pourrait amorcer une africanisation salutaire de nos économies. »