L’annonce faite à Pékin lors du Forum sur la coopération Chine-Afrique de juin 2025 a l’effet d’un sésame diplomatique : la Chine supprime désormais tous les droits de douane sur les produits en provenance de 53 pays africains, à condition qu’ils entretiennent des relations officielles avec elle. Une exception : l’Eswatini, seul État du continent à maintenir des liens avec Taïwan. Le Sénégal, déjà concerné par les précédentes phases de cette politique préférentielle, conserve son accès sans entraves tarifaires au plus grand marché du monde. Mais cette généralisation du dispositif redéfinit l’environnement concurrentiel pour les entreprises sénégalaises, qui doivent désormais rivaliser non seulement sur la qualité, mais aussi sur la vitesse d’adaptation.
Car si les barrières douanières sont levées, les barrières invisibles restent nombreuses : normes strictes, exigences sanitaires, complexité logistique, ou encore méconnaissance des canaux de distribution. Dans cette compétition renouvelée, le simple fait d’avoir un passeport diplomatique favorable ne suffit pas à garantir une place sur les étals chinois.
Les défis structurels à relever d’urgence
Pour espérer tirer avantage de cet accord, encore faut-il que les produits sénégalais arrivent en Chine dans les bonnes conditions, aux bons standards, et avec une offre adaptée aux réalités du marché. Or, plusieurs freins structurels persistent. D’abord, les capacités industrielles locales restent limitées : trop peu d’unités de transformation modernes pour les produits de la pêche, conditionnements insuffisants dans l’agroalimentaire, chaînes du froid encore balbutiantes. Ensuite, la question de la certification reste entière. Peu d’acteurs privés disposent de la documentation requise, et encore moins d’équipes capables de naviguer dans la jungle administrative chinoise.
À cela s’ajoute le défi logistique : le fret maritime entre Dakar et les grands ports chinois reste coûteux, irrégulier et peu mutualisé. Beaucoup de conteneurs repartent à vide, faute d’exportations structurées en retour. Enfin, les entreprises sénégalaises manquent cruellement d’outils de veille commerciale sur la Chine, et encore plus de présence physique ou digitale sur place. Résultat : même avec un tarif zéro, l’accès réel au marché chinois reste théorique pour la majorité des PME locales.
Changer d’échelle, changer de méthode
L’opportunité ouverte par la Chine peut devenir un tournant stratégique pour le Sénégal, à condition de ne pas rester dans une posture d’attente. Il faut aujourd’hui penser en termes d’alliances industrielles, de labellisation nationale, et de présence coordonnée sur les places de marché chinoises. Il ne s’agit pas seulement d’exporter des marchandises, mais d’exporter une image : celle d’un pays fiable, ambitieux, capable de livrer des produits transformés, tracés, et répondant aux attentes d’un consommateur chinois de plus en plus exigeant.
Cela passe par des mesures concrètes : accompagnement ciblé des entreprises à fort potentiel, création de zones logistiques d’exportation, diplomatie économique active avec les provinces chinoises importatrices, présence sénégalaise dans les salons professionnels de Canton ou Shanghai, et surtout formation linguistique et interculturelle pour les opérateurs privés. Ce travail de fond, s’il est engagé dès maintenant, peut faire du Sénégal non pas un bénéficiaire passif d’une ouverture, mais un acteur solide d’un partenariat équilibré.
Ce que la Chine a mis sur la table, c’est un espace. Reste à savoir qui osera s’y installer durablement.


