Le différend entre le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) et une partie des médias privés sénégalais vient de franchir un nouveau palier. Le Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (CDEPS) a exprimé une vive protestation contre la dernière mise en demeure adressée au Groupe Futurs Médias (GFM), accusé d’avoir failli à ses obligations lors de la diffusion de l’émission Jakaarlo du 4 juillet. Cette décision, officialisée le 7 juillet, laisse planer la menace d’une suspension des programmes de TFM, principale chaîne du groupe.
Pour les éditeurs et diffuseurs membres du CDEPS, ce geste du régulateur ne relève pas d’une simple alerte technique. Il traduit, à leurs yeux, une tendance à la partialité manifeste et à la répression ciblée. Ce sentiment de persécution est d’autant plus vif qu’il s’inscrit dans un continuum d’alertes et de sanctions, amorcé dès le mois de mars. À cette époque, une première émission controversée avait conduit à une mise en garde du CNRA. Deux jours plus tard, l’autorité appelait l’ensemble des rédactions à plus de prudence et de rigueur dans le traitement des débats. Une recommandation restée lettre morte, selon les propres termes du Conseil.
Entre avertissements ignorés et ripostes symboliques
L’affaire actuelle puise son origine dans un échange musclé entre un chroniqueur et un militant politique, qui a mis en lumière la porosité grandissante entre journalisme et militantisme télévisuel. L’émission Jakaarlo, connue pour ses débats sans filtre, s’est une nouvelle fois retrouvée au cœur d’une controverse sur le ton et le fond des propos tenus en direct. Pour le CNRA, ces dérapages répétés témoignent d’un refus délibéré d’appliquer les règles d’éthique que les médias sont censés respecter.
Mais du côté du CDEPS, la lecture est tout autre. Le communiqué publié en réaction parle d’un “acharnement” contre un acteur privé influent, et dénonce l’usage sélectif du pouvoir de régulation. L’organisation rappelle que le collège du CNRA n’était même pas pleinement installé lorsqu’il a publié son communiqué du 26 mars, ce qui, selon elle, affaiblit la légitimité des décisions prises depuis. Elle regrette surtout que le pluralisme, principe fondamental du débat démocratique, soit mis en péril par une institution censée garantir la neutralité et l’équilibre dans l’espace audiovisuel.
Le débat public, victime collatérale
La montée des tensions entre les organes de presse et l’autorité de régulation soulève des questions plus profondes sur l’état du débat public au Sénégal. En sanctionnant une émission pour un excès de ton, le CNRA estime faire respecter les règles. Mais pour une partie du secteur médiatique, cette posture s’apparente à une tentative de normalisation du discours, au détriment de la spontanéité et de la confrontation des idées. Il ne s’agit pas simplement de défendre une chaîne ou un groupe, mais de préserver un espace de débat déjà fragile, dans un pays où les lignes entre liberté d’expression et responsabilité éditoriale sont de plus en plus floues.
L’opposition frontale entre le CNRA et le CDEPS pourrait à terme affecter la confiance du public, tant dans les institutions que dans les médias. À l’heure où les Sénégalais s’informent massivement par la télévision et les réseaux sociaux, toute atteinte à la crédibilité des deux camps risque de renforcer la défiance généralisée. Le risque n’est pas seulement institutionnel, il est aussi citoyen : un espace public où les règles changent au gré des rapports de force devient vite impraticable.
En toile de fond, cette querelle pose une question centrale : jusqu’où peut-on encadrer le discours sans le brider ? Et à partir de quel moment le régulateur cesse-t-il de réguler pour commencer à censurer ? Les prochains jours diront si la discussion l’emporte sur la confrontation, ou si le fossé continue de se creuser.


