Sénégal : Visa du Dr Touré finalement accordé, l'ambassade de France s'explique

Le Dr Moctar Touré n’est pas un inconnu dans les sphères scientifiques. Ancien directeur général de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles, il a aussi été cadre à la Banque mondiale, et dirige aujourd’hui l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal. Ce profil, qui incarne une vie entière dédiée à la recherche et au développement, a pourtant fait face à une déconvenue inattendue début juillet : un refus de visa délivré par l’ambassade de France à Dakar. Un refus sec, sans justification détaillée, adressé à une figure éminente du monde scientifique africain. L’incident aurait pu rester administratif. Il a pris une tournure bien plus symbolique.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Sur les réseaux sociaux, dans les cercles universitaires et politiques, l’affaire a été perçue comme un camouflet, un désaveu infligé à une personnalité dont le rayonnement dépasse les frontières nationales. Le Dr Papa Abdoulaye Seck, ancien ministre de l’Agriculture et lui-même académicien, a écrit au consul de France pour exprimer son indignation. Dans son message, il mettait en cause non seulement l’atteinte personnelle faite à Moctar Touré, mais aussi le message envoyé à la communauté scientifique africaine. Que vaut l’excellence, si elle ne garantit même pas l’accès à une conférence ou un laboratoire ?

Une rectification tardive, un malaise persistant

Interpellée par Le Soleil, l’ambassadrice de France à Dakar, Christine Fages, a confirmé que le visa avait finalement été délivré. Elle évoque une simple « incompréhension », sans entrer dans les détails. Mais la maladresse initiale continue de produire ses effets. Derrière ce correctif diplomatique, c’est une statistique qui interpelle : seuls 62 % des visas de court séjour sont actuellement accordés par les services consulaires français. Pour un scientifique de haut niveau, ce chiffre devient une abstraction cruelle lorsqu’il est confronté au filtre d’un traitement administratif opaque.

La question soulevée dépasse le cas particulier de Moctar Touré. De nombreux chercheurs africains font face à des obstacles similaires lorsqu’ils tentent de participer à des forums internationaux. Invitations tardives, lenteurs consulaires, suspicion automatique… Tout se passe comme si le visa devenait un test parallèle, un filtre dont la logique n’a rien à voir avec la compétence, la reconnaissance ou la diplomatie scientifique. Dans ce climat, même les symboles de coopération se fissurent.

Une alerte sur la réciprocité et la reconnaissance

L’incident rappelle une vérité brutale : l’Afrique peine encore à faire valoir ses élites intellectuelles sur la scène mondiale, même lorsqu’elles répondent à tous les critères de l’excellence. Ce n’est pas tant la méconnaissance qui blesse, que la dissonance entre les discours de partenariat et les pratiques concrètes. Si un homme comme Moctar Touré, porteur d’une légitimité académique et institutionnelle, peut être recalé au guichet, qu’en est-il des jeunes chercheurs, des doctorants, des ingénieurs en début de carrière ? La réponse n’est pas dans les chiffres, mais dans les humiliations discrètes et les espoirs ralentis.

Cet épisode, à sa manière, invite à reconsidérer la nature des liens franco-sénégalais dans le domaine scientifique. Il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais d’un révélateur. Lorsque l’accès à la connaissance passe par un visa, la coopération devient une négociation déséquilibrée. Et la diplomatie scientifique, censée rapprocher les savoirs et les peuples, se heurte à la froideur d’un tampon.

Le visa de Moctar Touré est désormais accordé, mais la blessure reste ouverte. Elle questionne les fondements d’un dialogue prétendument égal, dans lequel la reconnaissance passe encore trop souvent par des portes étroites.

Laisser un commentaire