Au moment où l’État s’engage à transformer les conclusions du dialogue national en textes de loi, une opposition désabusée crie à la manipulation des résultats. Le contraste entre les annonces officielles et les griefs formulés publiquement souligne la fragilité du socle sur lequel doit reposer la refondation politique.
Une volonté présidentielle affichée face à un climat de méfiance
Alors que le Président Bassirou Diomaye Faye a reçu, le 14 juillet dernier, le rapport final du dialogue national sur le système politique, il a réitéré son engagement à appliquer l’intégralité des points ayant fait l’objet de consensus. Ce document, fruit de plusieurs semaines de travaux, a été remis au Palais par le Dr Cheikh Gueye, désigné facilitateur général du processus. Dans la foulée, un comité de dix membres a été constitué pour assurer la traduction juridique des conclusions en projets de loi, à soumettre au vote parlementaire. L’objectif est d’enclencher rapidement les réformes attendues, notamment sur la gouvernance, la justice et la démocratie électorale.
Cependant, à mesure que le gouvernement déroule son agenda, les voix critiques se multiplient. Plusieurs partis de l’opposition ayant pris part au Dialogue, lancé le 28 mai, ont publié une lettre ouverte, rendue publique le 5 août, pour exprimer leur colère. Ils dénoncent un processus qui aurait dévié de son ambition initiale d’inclusivité. À leurs yeux, le rapport remis au chef de l’État ne reflèterait que les vues d’une minorité politiquement dominante, et aurait été finalisé dans l’opacité, sans tenir compte de propositions majeures formulées par l’opposition sur les libertés publiques, la séparation des pouvoirs et l’équilibre institutionnel.
Une correspondance ignorée, une rupture consommée
Cette lettre n’est pas une initiative isolée, mais la réaction à un silence que les signataires jugent révélateur. Ils affirment avoir adressé une première correspondance au Président dès le 28 juin, restée sans suite. Face à cette absence de retour, ils ont opté pour une stratégie publique, estimant que seul un appel direct à l’opinion nationale et internationale pouvait mettre en lumière ce qu’ils qualifient de “trahison de l’esprit du dialogue”.
Dans leur texte, les partis dénoncent un « passage en force orchestré » par ceux qui auraient pris la main sur la rédaction finale, et qualifient le rapport de « document bâclé », construit sur des compromis faibles et incomplets. Ils reprochent également à l’exécutif d’avoir établi un comité de suivi sans réel équilibre des forces, vidant le processus de sa substance. Leur crainte ? Voir les réformes prendre la forme de textes unilatéraux au lieu de traductions concertées des recommandations communes.
Là où les autorités invoquent la dynamique enclenchée, les opposants pointent l’abandon de la co-construction. L’expression même de “points consensuels” devient un champ de bataille : pour le pouvoir, ils représentent un socle de transformation ; pour les autres, ils camouflent l’exclusion méthodique des désaccords structurants.
L’après-dialogue : terrain d’affrontement ou levier de refondation ?
Le paradoxe est évident : les deux camps ont participé au même processus, mais ne partagent ni la lecture de son déroulement, ni l’interprétation de ses résultats. Si le Président Faye insiste sur la mise en œuvre rapide et fidèle des accords trouvés, ses interlocuteurs politiques accusent une dérive vers la récupération politique d’une plateforme pourtant collective.
Ce désaccord n’est pas qu’institutionnel. Il interroge la nature même des compromis possibles dans un pays en quête de transformation, où l’urgence de réformes structurelles ne doit pas faire l’économie du dialogue réel. Le gouvernement pourrait se heurter à une résistance accrue si les acteurs opposés à sa méthode estiment que leur participation a été utilisée pour légitimer des décisions déjà écrites.
La perspective d’un comité technique chargé de traduire les conclusions en projets de loi ne rassure pas davantage. Sans garanties sur la représentativité de ses membres, le travail législatif risque de manquer la légitimité nécessaire pour porter des réformes durables. L’absence de réponse formelle aux inquiétudes exprimées alimente un climat de défiance, qui pourrait affecter l’ensemble des chantiers en cours.

