Après dix années passées derrière les barreaux sans qu’aucun procès ne soit ouvert contre lui, Hannibal Kadhafi, l’un des fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, voit poindre une éclaircie dans son interminable captivité. La justice libanaise a décidé de le remettre en liberté, mais à des conditions que son avocat juge inacceptables rapporte l’agence AP News.
Un détenu entre justice et calcul politique
Arrêté en décembre 2015 au Liban, Hannibal Kadhafi n’a jamais été formellement inculpé. Les autorités libanaises espèrent qu’il détienne des informations sur la disparition du chef religieux chiite Moussa Sadr, disparu lors d’une visite officielle en Libye en 1978. L’affaire reste une plaie ouverte dans les relations entre Tripoli et Beyrouth, d’autant que Hannibal n’avait que deux ans au moment des faits. Malgré l’absence de charges concrètes, il a passé près d’une décennie en détention, une situation que plusieurs observateurs qualifient d’arbitraire.
Le 16 octobre, un juge libanais a ordonné sa libération, mais en échange d’une caution astronomique de 11 millions de dollars et sous interdiction de quitter le territoire. Son avocat français, Laurent Bayon, a dénoncé cette décision, estimant qu’imposer une telle somme à un homme placé sous sanctions internationales équivaut à une entrave déguisée à la justice. Hannibal, marié à une Libanaise, reste donc en suspens entre la liberté promise et la réalité d’un contrôle judiciaire étroit.
L’héritage d’un nom lourd à porter
Fils du colonel Mouammar Kadhafi, Hannibal appartient à une fratrie marquée par les excès du pouvoir et les revers d’un régime brutalement effondré. Son père, qui a dirigé la Libye d’une main de fer pendant plus de quatre décennies, fut à la fois adulé par certains pour son discours panafricain et haï par d’autres pour sa répression sans concession. Renversé et tué en 2011 lors du soulèvement libyen, il laisse derrière lui une famille éclatée, dont plusieurs membres ont été emprisonnés, exilés ou tués.
C’est dans cette ombre pesante que se dessine le destin d’Hannibal. À la différence de son frère Saïf al-Islam, encore actif politiquement, Hannibal n’a jamais joué de rôle majeur dans les affaires libyennes. Sa longue détention, sans jugement, reflète autant les complexités du système judiciaire libanais que les rémanences d’une époque où le nom Kadhafi suscitait à la fois fascination et rancune.
Une libération qui interroge
L’affaire dépasse le simple cadre d’une décision judiciaire. Elle met en cause la capacité d’un État à garantir les droits fondamentaux, même pour un homme issu d’une dynastie honnie. Dix ans sans procès, dans un pays en proie à ses propres fractures politiques et communautaires, illustrent les fragilités d’un système où la justice devient parfois l’otage des équilibres diplomatiques.
Pour Hannibal Kadhafi, cette libération conditionnelle pourrait être le début d’une nouvelle bataille, plus symbolique que juridique : celle de laver son nom des fantômes d’un passé dont il n’a été que le témoin involontaire. Mais tant que les stigmates de l’affaire Moussa Sadr ne seront pas refermés, il restera prisonnier d’une histoire écrite par d’autres.
