L’arrestation à Dubaï d’un trafiquant turc recherché par Interpol relance les soupçons de corruption au sein de l’administration sierra-léonaise. Abdullah Alp Üstün, alias « Don Vito », a été retrouvé porteur d’un passeport diplomatique délivré par la Sierra Leone, un document qu’il aurait obtenu grâce à des complicités haut placées.
Une arrestation qui interroge les pratiques diplomatiques de Freetown
Lorsque la Turquie a récupéré Abdullah Alp Üstün le 12 octobre dernier, les enquêteurs ne s’attendaient pas à tomber sur un document diplomatique officiel sierra-léonais. Ce passeport, censé être réservé aux représentants de l’État, était détenu par un trafiquant recherché par Interpol pour trafic de stupéfiants et blanchiment d’argent.
D’après plusieurs médias turcs, le document aurait été obtenu par l’intermédiaire de réseaux liés au narcotrafiquant néerlandais Jos Leijdekkers, un nom déjà cité dans plusieurs dossiers de criminalité transnationale.
À Freetown, certains observateurs évoquent un détournement du programme gouvernemental destiné à attirer les investisseurs étrangers. Des trafiquants se feraient passer pour des entrepreneurs afin d’obtenir la confiance des autorités, avant de bénéficier de titres diplomatiques. Ces pratiques mettraient en péril la crédibilité du dispositif, conçu initialement pour stimuler l’économie.
Les autorités sous pression après plusieurs scandales
Le gouvernement de Julius Maada Bio n’a pour l’heure pas commenté l’affaire, mais les critiques se multiplient. L’organisation Bfound dénonce une contradiction entre la politique officielle de lutte contre le trafic de drogue et la facilité avec laquelle des individus fichés peuvent circuler avec des documents diplomatiques. Cette polémique s’ajoute à un précédent épisode : en mars dernier, le chef du service d’immigration avait été démis de ses fonctions après avoir été filmé aux côtés de Jos Leijdekkers, lui offrant un cadeau d’anniversaire.
La Sierra Leone n’est pas le seul pays à être confronté à ce type de dérives. Au Liberia, plusieurs passeports diplomatiques avaient été utilisés par des individus impliqués dans des trafics internationaux, conduisant à une suspension temporaire de leur délivrance. Aux Comores, un scandale de citoyenneté par investissement avait révélé la vente illégale de documents diplomatiques à des étrangers. Des enquêtes similaires ont aussi visé des États des Caraïbes, où des postes diplomatiques ont été attribués en échange d’importantes sommes d’argent, selon une investigation d’Al Jazeera.
Qui est Abdullah Alp Üstün, alias “Don Vito” ?
Âgé d’environ quarante ans, Abdullah Alp Üstün est présenté par la presse turque comme le chef du réseau criminel CHROOKE, actif dans le trafic international de drogue et le blanchiment d’argent. Il aurait utilisé plusieurs sociétés d’import-export installées à Istanbul et Dubaï pour dissimuler des flux financiers illicites.
Son arrestation aux Émirats arabes unis a été le fruit d’une coopération entre Interpol, Europol et les services turcs. Selon les autorités, Üstün et son associé Hasan Lala faisaient partie d’une structure criminelle transnationale. Des liens familiaux avec Jos Leijdekkers, surnommé « Bolle Jos », sont également évoqués.
À la suite de ces révélations, le nouveau directeur du service d’immigration a été chargé de vérifier l’ensemble des passeports diplomatiques émis ces dernières années. L’audit devrait déterminer si d’autres documents ont été attribués de manière irrégulière.
Pour de nombreux observateurs, cette affaire pourrait marquer un tournant : si elle est confirmée, elle mettrait en lumière un réseau de corruption touchant les plus hautes sphères administratives d’un pays déjà fragilisé par le trafic de drogue et la défiance envers ses institutions.



