La libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre 2025, après un an de détention, soulève une question essentielle : cette grâce présidentielle marque-t-elle réellement un tournant dans les relations franco-algériennes, ou cache-t-elle des enjeux diplomatiques plus profonds ?
Une crise sans précédent depuis l’indépendance
Depuis juillet 2024, Paris et Alger traversent ce que des sources diplomatiques qualifient de crise la plus grave depuis 1962. Le point de rupture intervient lorsque Emmanuel Macron apporte son soutien au plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental, un territoire revendiqué par le Front Polisario soutenu par l’Algérie. L’ambassadeur algérien est immédiatement rappelé, et les canaux diplomatiques se ferment progressivement.
Cette décision française intervient paradoxalement après une réconciliation avec le Maroc en octobre 2024, marquée par la signature de contrats d’investissement de 10 milliards d’euros. La France choisit ainsi le royaume chérifien comme partenaire privilégié au Maghreb, au détriment de ses relations historiques avec Alger.
L’arrestation de Sansal en novembre 2024 pour des propos jugés attentatoires à l’unité nationale algérienne cristallise les tensions. Mais derrière ce cas individuel se cachent des contentieux bien plus structurels : le refus d’Alger de reprendre ses ressortissants sous obligation de quitter le territoire français, les questions migratoires, et surtout les positionnements divergents sur le dossier sahraouien.
L’Allemagne, médiatrice providentielle ou révélatrice d’un échec ?
L’intervention du président allemand Frank-Walter Steinmeier a été déterminante. Sa demande de grâce pour raisons humanitaires, prenant en compte l’âge avancé de l’écrivain et son cancer de la prostate, a permis de débloquer une situation que la diplomatie française n’avait pu résoudre seule. Un constat qui interroge.
Emmanuel Macron, reconnaissant dans un communiqué officiel le rôle de l’Allemagne, déclare : « Je prends acte de ce geste d’humanité du président Tebboune et l’en remercie. » Il salue une libération rendue possible par « une méthode faite de respect, de calme et d’exigence », en opposition tacite à l’approche plus musclée défendue par l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, dont les déclarations tonitruantes avaient davantage envenimé la situation.
L’ambassadeur français en Algérie, Stéphane Romatet, a confirmé sur les plateaux télévisés que cette grâce avait été obtenue « sans aucune contrepartie de la France », insistant sur le caractère purement humanitaire de la décision algérienne. Une affirmation qui laisse perplexe quand on observe le timing et les enjeux diplomatiques en cours.
Des intérêts stratégiques mutuels
Au-delà du cas Sansal, les deux pays ont des raisons économiques et sécuritaires impérieuses de renouer le dialogue. L’Algérie demeure un partenaire gazier crucial pour l’Europe, tandis que la France cherche à préserver ses intérêts dans une région du Maghreb où elle a déjà consolidé son alliance avec Rabat.
Les relations entre Paris et Alger, tendues depuis dix-huit mois, paralysent des dossiers économiques et sécuritaires essentiels. La libération de Sansal pourrait donc s’apparenter moins à un geste de bonne volonté qu’à une fenêtre d’opportunité. Une sortie de crise par le haut permettant aux deux capitales de redémarrer des discussions sur des intérêts communs.
Reste désormais à observer si cette désescalade se confirmera ou si l’affaire Sansal n’aura été qu’une parenthèse dans une relation structurellement fragilisée par des désaccords fondamentaux. Le cas du journaliste français Christophe Gleizes, toujours détenu en Algérie, sera un premier test de cette volonté affichée de réconciliation.



