Cheikh Yatt Diouf, DG de Dakar Mobilité : « Le succès du BRT repose sur une vision partagée entre l’État et le privé » 

Alors que Dakar fait figure de pionnière en Afrique de l’Ouest avec son Bus Rapid Transit 100 % électrique, Cheikh Yatt Diouf, directeur général de Dakar Mobilité, revient sur les ressorts d’un succès qui transforme en profondeur les habitudes de déplacement dans la capitale. Vision politique claire, partenariat public-privé structurant et engagement en faveur d’une mobilité durable : il détaille les choix qui ont permis au BRT de s’imposer comme un modèle de performance, d’innovation et de gouvernance pour le continent.

Le BRT de Dakar est souvent cité comme une réussite emblématique de la mobilité urbaine en Afrique de l’Ouest. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs de ce succès, et en quoi le partenariat public-privé avec Meridiam a-t-il joué un rôle déterminant ? 

Le premier facteur qui explique le succès du BRT de Dakar est son caractère véritablement transformateur dans le paysage urbain de Dakar. Comme dans de nombreuses capitales africaines, Dakar souffre d’une congestion très élevée, d’un réseau routier insuffisamment développé, d’une demande croissante de mobilité [ il est prévu que les déplacements quotidiens de la ville passent de 7,2 M de déplacements en 2015 à, environ, 12,9 M en 2035], d’un recours important et croissant aux transports individuels motorisés peu efficaces et très polluants, d’une offre de transport en commun avec une forte prédominance des modes semi-formels et informels et en inadéquation avec la demande de mobilité du territoire. En introduisant un mode de transport « capacitaire » (150 places par bus), circulant sur un couloir dédié avec une fréquence très élevée (actuellement un bus toutes les deux minutes en heure de pointe pour les stations structurantes), le BRT, au-delà de requalifier les espaces urbains traversés, change profondément les habitudes de mobilité dans la capitale.  

Ce résultat s’explique aussi par la vision politique de l’État sénégalais, qui, dans le cadre du plan de mobilité urbaine durable, a structuré le transport urbain autour de trois couches complémentaires : un réseau primaire constitué des mass transit (BRT et TER), un réseau secondaire support des flux principaux assuré par les opérateurs historiques de transport en commun, et enfin un réseau tertiaire autour des modes de déplacement actifs et des taxis de proximité. La philosophie du BRT s’inscrivait pleinement dans ces politiques publiques de développement d’une mobilité durable. 

Le choix de confier le projet à Meridiam s’est fait naturellement, car cet opérateur privé partageait cette stratégie et cette vision long terme de développer un projet de transport durable et à fort impact social pour le Sénégal. Meridiam est l’actionnaire majoritaire de Dakar Mobilité (70% de parts), concessionnaire du BRT de Dakar à travers une délégations de service public sur une durée de 15 ans et en charge notamment d’acquérir le matériel roulant et les systèmes opérationnels, et d’assurer l’exploitation-maintenance dans la durée. En phase de pleine exploitation Dakar Mobilité emploiera 1 000 salariés. Présentement nous comptons près de 800 salariés dont 40 % de femmes – un effort notable dans un secteur traditionnellement très masculin. Cet alignement s’est également manifesté dans la volonté commune de développer un réseau plus vertueux sur le plan environnemental : le choix de bus 100 % électriques s’est imposé. La flotte du BRT de Dakar compte 121 véhicules électriques, permettant d’atteindre les objectifs de lutte contre la pollution et le changement climatique, avec 59 000 tonnes de CO₂ évitées chaque année selon les prévisions. 

Ainsi, la clarté de la vision de l’État, la capacité pour Meridiam à structurer financièrement pour apporter une réponse opérationnelle à cette vision et la volonté partagée de bâtir un système de transport à la fois performant et durable ont été les clés de ce succès. 

Depuis la mise en service du BRT, quels changements concrets avez-vous observés dans les habitudes de déplacement des Dakarois ? Le modèle de gestion a-t-il facilité cette appropriation par le public ? 

Le BRT traverse certains des quartiers les plus densément peuplés de Dakar, selon un axe presque nord-sud : le Plateau, au sud, concentre une grande partie de l’activité économique, tandis que la partie nord est majoritairement résidentielle. Depuis sa mise en service, nous constatons une forte adoption du système par les Dakarois, qui pour beaucoup ont abandonné les transports individuels motorisés au profit de ce mode public à grande capacité. 

Ce changement tient à la qualité de service, inédite pour un réseau de bus au Sénégal : véhicules climatisés, information-voyageurs en temps réel, régularité du service et des temps de trajet, services divers à bord (prises USB, place UFR, …). La digitalisation des services de transport (application mobile, e-ticket, etc.) contribue également à cette appropriation. Aujourd’hui, 34 % des paiements s’effectuent via mobile money, alors même que ce secteur était jusque-là peu numérisé (au démarrage en mai 2024 seules 10% des transactions utilisaient ce mode de paiement). 

La réduction très nette des temps de parcours explique également en grande partie l’engouement. Le trajet nord-sud qui nécessitait environ 90 minutes avant le BRT s’effectue désormais en 45 minutes. D’un point de vue opérationnel, le bilan est donc très positif : plus de 90% des clients du BRT se disent satisfait des services offerts. 

Le BRT illustre une nouvelle manière de concevoir la mobilité urbaine à travers une collaboration étroite entre acteurs publics et privés. Quelles leçons tirez-vous de cette expérience pour renforcer la gouvernance et la durabilité de tels projets ? 

Les principales difficultés rencontrées ont été de nature technique. Le projet ne reposait pas sur un développement clé en main entièrement porté par Dakar Mobilité : l’État finançait et réalisait les infrastructures (voirie, stations, dépôts), tandis que nous étions responsables de l’acquisition du matériel roulant, des systèmes (billettique, système d’aide à l’exploitation, etc.) et de leur intégration aux infrastructures construites par l’État. Cela supposait une coordination parfaite entre les équipes techniques pour une gestion efficiente des interfaces. Un dialogue très en amont, entre toutes les parties prenantes, à travers la conclusion d’un contrat d’interface, en permis d’y parvenir afin de garantir la compatibilité entre les infrastructures livrées et les besoins opérationnels. 

Le deuxième défi a concerné le calendrier de mise à disposition des infrastructures. Entre la pandémie de Covid 19 et les dommages collatéraux subis en juin 2023 sur certaines stations à la suite de manifestations, des retards importants ont été enregistrés sur les travaux d’infrastructures. Cette situation survenant alors même que de notre côté, l’ensemble de la flotte de bus a été livrée à Dakar dès fin 2023, conformément au délai contractuel. 

La qualité du dialogue avec l’État a permis de gérer ces situations imprévues. D’accord parties, les bus étant disponibles et le personnel formé, nous avons convenu de lancer l’exploitation du BRT en mai 2024 en mode progressif avec seulement 14 stations opérationnelles contre 23 prévues à terme. Il a ainsi été possible de mettre progressivement à la disposition des Dakarois, un service commercial de qualité plutôt que d’attendre l’achèvement intégral des stations. Aujourd’hui, le réseau est quasiment complet. C’est cette capacité collective d’adaptation, le dialogue permanent et transparent, la volonté de préserver les grands équilibres contractuels, qui ont permis de surmonter les difficultés rencontrées. 

Le modèle du BRT de Dakar suscite un intérêt croissant sur le continent. Selon vous, quelles sont les conditions nécessaires pour répliquer ce type de partenariat public-privé dans d’autres villes africaines, et comment Meridiam pourrait accompagner cette dynamique ? 

La première condition pour répliquer le modèle du BRT de Dakar est l’existence d’une volonté politique forte, portée par une stratégie claire à travers un plan durable de développement qui identifie les enjeux principaux autour de la mobilité (gouvernance institutionnelle, priorisation des modes, accessibilité aux territoires, multimodalité, etc.). Pour le cas de Dakar, un travail important a été abattu par le Conseil Exécutif des Transports Urbains Durables, autorité organisatrice à l’échelle de la métropole. 

Il faut également tenir compte de la réalité des transports informels, très présents dans de nombreuses capitales africaines. Le BRT introduit un standard de service qui modifie profondément le paysage de la mobilité : pour qu’il fonctionne efficacement, il doit être pensé comme une colonne vertébrale autour de laquelle s’articulent les autres modes, afin d’éviter les ruptures de charge sur la qualité de service et les situations de concurrence préjudiciables à l’équilibre économique du système de transport. 

Des villes comme Douala, Nairobi, Dar es Salaam ou encore Abidjan, connaissant un environnement socio-économique similaire, réfléchissent à la mise en place d’un BRT inspiré sur ce qui se fait à Dakar. Le fait d’avoir Meridiam comme investisseur engagé et présent sur le long terme est un véritable atout qui peut séduire d’autres donneurs d’ordre publics. Avec l’expérience de Dakar, Meridiam a éprouvé une collaboration transversale et fructueuse avec des partenaires financiers et techniques qui faciliterait la mise en œuvre de BRT ailleurs.  

Laisser un commentaire