Nigéria : Wole Soyinka recadre Trump sur la question religieuse

Le prix Nobel nigérian Wole Soyinka a réagi avec fermeté aux propos du président américain Donald Trump, qui a récemment accusé les autorités nigérianes de laisser se poursuivre un prétendu massacre de chrétiens. Trump a, comme nous l’avons annoncé dans un de nos précédents articles, ordonné au Département de la Défense des États-Unis de se préparer à une éventuelle action au Nigéria si Abuja ne « mettait pas fin aux tueries ».

Pour Soyinka, une telle déclaration simplifie à l’excès une crise dont les causes dépassent largement les rivalités religieuses. Dans une interview à Democracy Now! comme le rapporte Vanguard News le 3 novembre 2025, il a estimé que réduire la violence au Nigéria à un affrontement entre chrétiens et musulmans revient à ignorer les dimensions politiques, économiques et sociales qui nourrissent l’insécurité.

L’écrivain a rappelé que les extrémistes armés — notamment Boko Haram et ISWAP — exploitent les divisions religieuses pour servir des intérêts de pouvoir et de contrôle des ressources. En qualifiant ces groupes de « véritables acteurs du chaos », il a souligné que leurs crimes ne sauraient être imputés à une communauté de foi dans son ensemble.

Un penseur constant face aux dérives de la politique et de la religion

Figure majeure de la littérature africaine, Wole Soyinka est connu autant pour son engagement intellectuel que pour ses prises de position courageuses. Premier Africain à recevoir le prix Nobel de littérature en 1986, il a souvent dénoncé la corruption, les dérives autoritaires et les fractures communautaires de son pays.
Récemment, les autorités américaines ont annulé son visa sans explication publique, un épisode qui a ravivé les débats sur les libertés de circulation et la reconnaissance de son engagement international. C’est dans ce climat de tensions diplomatiques qu’il a choisi de répondre à Donald Trump, dont les commentaires sur la situation religieuse au Nigéria ont suscité de vives réactions.

Revenant sur les propos du président américain, Soyinka a jugé que ce type de rhétorique pouvait aggraver les fractures religieuses déjà profondes au Nigéria. Selon lui, les déclarations « péremptoires » de dirigeants étrangers risquent d’encourager les interprétations les plus radicales des conflits internes. Il a évoqué plusieurs cas d’impunité, dont le lynchage d’un étudiant accusé de blasphème, comme preuve que la justice nigériane peine encore à faire respecter l’État de droit. Ce vide judiciaire, a-t-il expliqué, entretient la perception d’une guerre de religions que des acteurs extrémistes manipulent à leur avantage.

Le gouvernement nigérian, de son côté, a réagi sans tarder aux menaces de Donald Trump, affirmant que l’insécurité touche indistinctement toutes les communautés. Le ministre des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, a insisté sur le fait que la Constitution nigériane rend impossible toute persécution organisée par l’État pour des motifs religieux. (Reuters, 4 novembre 2025).

Un rappel à la responsabilité internationale

Soyinka a reproché à Trump d’alimenter une lecture manichéenne des crises africaines. Selon lui, l’histoire du Nigéria montre que chaque fois que la religion devient un outil politique, le pays paie un lourd tribut en vies humaines et en cohésion nationale. Il a ajouté que les propos du président américain — évoquant une réponse militaire « vicieuse et douce » — trahissent une méconnaissance du terrain et risquent de compromettre toute initiative diplomatique.

L’écrivain n’a pas manqué d’ironie, déclarant qu’il serait flatteur pour Trump d’être comparé à Idi Amin, l’ancien dirigeant ougandais connu pour ses excès verbaux et autoritaires. Derrière cette pique se cache une critique plus large : la nécessité pour les puissances étrangères de mesurer la portée de leurs déclarations lorsqu’elles s’adressent à des pays confrontés à des tensions internes complexes.

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