La fermeture durable entre l’Algérie et le Maroc pèse sur l’ensemble du Maghreb. Deux pays clés de l’Afrique du Nord, voisins par la géographie mais opposés par la politique, se font face depuis des décennies sans parvenir à rétablir un dialogue stable. Cette rivalité, nourrie par des différends persistants et des visions politiques divergentes, limite la dynamique régionale et réduit les perspectives d’intégration économique pourtant souvent mises en avant par les institutions internationales.
Les relations entre Alger et Rabat ont traversé plusieurs phases depuis les indépendances, mais un élément demeure constant : la méfiance. La frontière terrestre est fermée depuis 1994, et les relations diplomatiques sont rompues depuis 2021, après une série de tensions publiques. Le Sahara occidental reste l’un des points de discorde majeurs. Au-delà de cette question, des perceptions opposées de la sécurité, des alliances internationales ou du rôle régional nourrissent une distance politique difficile à réduire.
Une frontière qui coupe la région en deux
Le premier coût visible de ce duel est la persistance d’une frontière terrestre inutilisée depuis plus de trente ans. Cet axe, qui pourrait être un pont économique et humain entre les deux pays, est devenu le symbole d’un blocage durable. La fermeture empêche la circulation des personnes, freine le commerce transfrontalier et interdit le développement de corridors logistiques qui auraient pu profiter aux populations des deux côtés. Plusieurs études économiques ont rappelé que le commerce entre pays du Maghreb reste l’un des plus faibles du monde. Cette réalité est souvent attribuée, entre autres, à l’absence de relation fluide entre Rabat et Alger.
Cette situation impacte des millions de citoyens. Les familles vivant de part et d’autre de la frontière ne peuvent se rencontrer que via des vols internationaux, coûteux et complexes. Les échanges culturels, qui pourraient contribuer à apaiser les perceptions, sont limités. L’ensemble crée un fossé social que l’absence de dialogue politique entretient au fil des années.
Un frein majeur à l’intégration économique du Maghreb
Le Maghreb dispose d’un potentiel économique important : un marché de plus de 100 millions d’habitants, une façade maritime stratégique, des ressources énergétiques variées et une proximité directe avec l’Europe. Pourtant, cette région reste l’une des moins intégrées du monde. Plusieurs institutions, dont la Banque mondiale, évoquent depuis longtemps les pertes économiques liées au manque de coopération régionale. L’absence de commerce intra-maghrébin, souvent évalué autour de 3 à 5 % du commerce total selon les périodes, illustre la profondeur du blocage.
Dans ce paysage, la rivalité algéro-marocaine joue un rôle central. De nombreux projets susceptibles de renforcer les échanges régionaux — qu’il s’agisse de l’énergie, des transports, de la logistique ou de l’innovation — peinent à émerger. La création d’un réseau régional d’infrastructures, la coordination autour des énergies renouvelables ou encore la mise en place de stratégies communes face aux défis environnementaux restent difficiles tant que les deux principales puissances du Maghreb évoluent séparément.
L’Union du Maghreb arabe, créée en 1989 pour favoriser cette intégration, n’a quasiment jamais été pleinement opérationnelle. Les divergences entre Alger et Rabat ont rapidement limité son fonctionnement, laissant la région sans véritable cadre politique commun.
Une rivalité qui influence les choix stratégiques
Sur le plan diplomatique, les deux pays ont développé des orientations parfois opposées, aussi bien dans leurs alliances que dans leurs partenariats économiques ou militaires. Chacun avance avec ses propres partenaires, cherchant à affirmer son rôle à l’échelle régionale et internationale.
Cette compétition renforce la difficulté à bâtir une stratégie commune, même sur des dossiers où une coopération pourrait être bénéfique pour toute la région, comme la lutte contre les trafics transnationaux, la sécurité des frontières ou la prévention des risques dans le Sahel.
Les tensions entre les deux capitales ont également des conséquences dans les organisations internationales où leurs positions peuvent diverger. Cela réduit la capacité du Maghreb à peser collectivement dans les discussions africaines ou méditerranéennes.
Les populations en première ligne
Au-delà des considérations politiques, ce sont les citoyens qui supportent le coût le plus tangible de cette rivalité. L’absence de mobilité terrestre limite les opportunités professionnelles. Les entreprises ne peuvent pas facilement accéder à un marché voisin pourtant naturel. Les étudiants, les artistes ou les entrepreneurs rencontrent davantage d’obstacles que dans d’autres régions du continent où des dynamiques d’intégration ont progressé.
Cette fermeture nourrit aussi des représentations négatives. Les opinions publiques, influencées par des décennies de tension, peinent à envisager un rapprochement alors que les points communs culturels, linguistiques et historiques restent nombreux. Une détente, si elle devait un jour se produire, nécessiterait non seulement une décision politique mais également un travail de réconciliation des perceptions à long terme.
Une région qui perd du temps et des opportunités
L’une des principales conséquences de cette rivalité est la difficulté du Maghreb à devenir un bloc cohérent dans un monde où les regroupements régionaux prennent une importance croissante. Maroc et Algérie disposent tous deux d’atouts importants : réseaux énergétiques, ressources naturelles, ambitions industrielles, capacités humaines. Ils pourraient, s’ils coopéraient, constituer le cœur d’un ensemble régional capable de rivaliser avec d’autres blocs économiques.
À défaut, chacun poursuit sa trajectoire, parfois avec succès, mais toujours en solitaire. Les grands partenaires internationaux traitent avec les deux pays séparément, ce qui limite la force de négociation du Maghreb en tant que région. Cette fragmentation affaiblit la position collective face aux enjeux géopolitiques, sécuritaires et économiques qui touchent l’Afrique du Nord.



