L’Afrique, continent de tous les paradoxes, est en pleine effervescence démographique. Une jeunesse nombreuse et connectée représente une ressource inestimable, mais elle est confrontée à un taux de chômage structurellement élevé, l’un des plus préoccupants au monde. Dans un environnement économique mondial et local de plus en plus difficile—marqué par la dette, la volatilité des matières premières et les chocs externes—l’économie numérique se présente non plus comme une simple option, mais comme le levier le plus puissant pour juguler cette crise de l’emploi.
Pendant longtemps, l’impact du numérique en Afrique a été principalement perçu sous son angle libéral et serviciel. L’adoption massive du téléphone portable (plus de 650 millions d’abonnements uniques en 2023) et la prolifération des plateformes de services ont créé une vague d’opportunités. On pense immédiatement au commerce électronique (e-commerce), offrant des débouchés pour les petites et moyennes entreprises (PME), la FinTech (finance technology), révolutionnant l’inclusion financière avec le Mobile Money et les plateformes de mise en relation (gig economy), comme les services de transport ou de livraison, qui absorbent une partie significative de la main-d’œuvre informelle.
Ces fonctions libérales du numérique sont vitales. Elles permettent un entrepreneuriat à coût initial réduit, valorisent les compétences individuelles et offrent une flexibilité indispensable. Cependant, elles ne suffisent pas à créer les millions d’emplois durables, bien rémunérés et structurants dont le continent a besoin pour transformer véritablement ses économies.
L’impératif de construire une véritable économie numérique
La véritable réponse à la crise de l’emploi des jeunes africains réside dans la transition d’une économie qui utilise le numérique vers une économie qui le produit et l’exporte. Il ne s’agit plus seulement d’utiliser des applications étrangères, mais de développer, héberger et maintenir les technologies de demain sur le sol africain. C’est là que réside le rôle crucial des États. L’investissement le plus fondamental est celui dans les infrastructures numériques de base. Cela inclut : le haut débit et la fibre optique, ce qui réduit le coût d’accès à Internet et garantit une connectivité fiable dans les zones rurales.
Cela inclut également les Data Centers et de l’énergie. Un pays qui ne possède pas ses propres centres de données est tributaire des autres pour le stockage, le traitement et la sécurité de ses informations. L’installation de ces centres crée des emplois hautement qualifiés dans la maintenance, l’ingénierie des systèmes et la cybersécurité. Un Data Center nécessite une alimentation électrique stable et abondante, poussant ainsi à l’investissement dans des sources d’énergie durables.
Cela inclut enfin le capital humain. L’industrie numérique requiert des compétences spécifiques qui sont actuellement en pénurie. Les États africains doivent réformer les systèmes éducatifs pour intégrer l’apprentissage des langages de programmation, de l’intelligence artificielle (IA), de la science des données et de la cybersécurité dès le collège et l’université. Ils doivent aussi soutenir des initiatives privées et publiques qui forment des développeurs sur des cycles courts et intensifs et financer la recherche appliquée dans les technologies émergentes pour créer des solutions africaines aux problèmes africains (AgriTech, HealthTech etc…).
Un environnement des affaires prévisible et sécurisé est un aimant pour les investisseurs et les talents. Les gouvernements doivent rassurer les utilisateurs et les entreprises pour garantir la confiance numérique et si possible exonérer temporairement les startups technologiques et les entreprises qui investissent dans l’hébergement local de services, puis développer des fonds de capital-risque publics-privés spécialisés dans la Technologie en Afrique.
Le prix à payer si rien n’est fait
L’Afrique fait face à des difficultés économiques ultra-difficiles caractérisées par une dépendance chronique à l’aide extérieure, une faible diversification économique, et l’impact continu du changement climatique. Ces facteurs ne font qu’aggraver la crise de l’emploi des jeunes.
Ne pas investir sérieusement dans une économie numérique structurée revient à condamner une génération. Le chômage des jeunes est une bombe à retardement sociale et sécuritaire. L’économie numérique, par sa capacité à créer des chaînes de valeur courtes et à transcender les frontières physiques, offre une voie de sortie concrète et rapide.
Le temps des initiatives isolées est révolu. Les États africains doivent adopter une vision panafricaine et coordonnée de l’économie numérique, la considérer comme une priorité nationale et y allouer les ressources nécessaires. C’est à ce prix, celui d’un investissement massif et stratégique, qu’ils pourront transformer la démographie juvénile du continent en un formidable moteur de croissance et d’émancipation. L’économie numérique n’est pas une mode ; c’est la seule voie viable pour un avenir prospère et stable pour la jeunesse africaine.

