Miser sur la propagation des incendies de Los Angeles, sur la tenue vestimentaire du président ukrainien ou sur l’issue d’une élection présidentielle : bienvenue sur Polymarket. Cette plateforme de marchés prédictifs, adossée à la blockchain, suscite autant de fascination que de critiques. En janvier 2025, plus d’un million de dollars ont été engagés sur l’évolution des feux de Californie, provoquant l’indignation de la presse américaine. Quelques mois plus tôt, un marché sur le moment où Volodymyr Zelensky apparaîtrait en costume avait attiré près de 200 millions de dollars, avant de sombrer dans une polémique sur la fiabilité du résultat. Derrière cette machine à pronostics valorisée à neuf milliards de dollars, un entrepreneur de 27 ans : Shayne Coplan. « C’est la chose la plus précise que l’humanité possède actuellement », affirmait-il récemment sur CBS.
Cette confiance repose sur une philosophie héritée de l’économiste Friedrich Hayek et du professeur Robin Hanson, théoricien de la « futarchie » — l’idée que les marchés agrègent mieux l’information que les institutions traditionnelles. Lors de l’élection américaine de 2024, les parieurs de Polymarket donnaient Donald Trump vainqueur à 70 % quand les sondages affichaient un duel serré. Résultat : 3,6 milliards de dollars misés, et une prédiction juste. Un trader français, connu sous le pseudonyme « Théo », a exploité cette dynamique en commanditant ses propres sondages sur « l’effet voisin » — demander aux gens pour qui leurs voisins votent plutôt que pour qui eux-mêmes votent. Gain : 85 millions de dollars selon le Wall Street Journal.
Des ennuis judiciaires des deux côtés de l’Atlantique
Le succès de Polymarket n’a pas échappé aux régulateurs. En 2022, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) inflige 1,4 million de dollars d’amende à l’entreprise et lui interdit de servir les utilisateurs américains. En novembre 2024, le FBI perquisitionne le domicile de Coplan à New York. L’affaire Théo, elle, déclenche l’ouverture d’une enquête par l’Autorité nationale des jeux en France, tandis que la Belgique inscrit la plateforme sur sa liste noire en janvier 2025. Face à ces attaques, Coplan dénonce sur X des « représailles politiques » du gouvernement sortant.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche inverse la tendance. En juillet 2025, le département de la Justice et la CFTC abandonnent leurs poursuites. Caroline Pham, nommée à la tête de la CFTC, accélère l’octroi des licences. « Cette administration est très pro-innovation, pro-crypto et pro-Polymarket », se félicite Coplan auprès de CBS. En août, Donald Trump Jr. rejoint le conseil consultatif, son fonds 1789 Capital investissant environ 10 millions de dollars.
Wall Street mise sur les parieurs
L’accélération décisive survient en octobre 2025 : Intercontinental Exchange (ICE), propriétaire de la Bourse de New York, annonce un investissement pouvant atteindre deux milliards de dollars pour acquérir jusqu’à 25 % du capital. Valorisation : neuf milliards de dollars. D’autres investisseurs suivent : Travis Kalanick (Uber), Dylan Field (Figma), Glenn Dubin (fonds spéculatifs), et même Anthony Kiedis, chanteur des Red Hot Chili Peppers, rapporte Forbes. Les critiques, elles, ne faiblissent pas. Dennis Kelleher, du groupe Better Markets, dénonce une « brèche réglementaire » et accuse la famille Trump de vouloir « tirer profit de ce nouveau tripot ».
Polymarket enchaîne désormais les partenariats : DraftKings, Ultimate Fighting Championship, Ligue nationale de hockey, intégration sur Google Finance et Yahoo Finance. La menace pèse sur le secteur des paris sportifs américains (13,7 milliards de dollars de revenus en 2024), dont les opérateurs subissent des taxes étatiques pouvant atteindre 51 %. La concurrence s’organise : Kalshi s’associe à Robinhood, tandis que Truth Social, FanDuel, Crypto.com, Coinbase et Gemini préparent leurs propres plateformes. Pourtant, Polymarket n’est toujours pas rentable, et son modèle économique — vente de données, frais utilisateurs, éventuel token — reste à définir. Entre ceux qui y voient un outil d’intelligence collective et ceux qui dénoncent la marchandisation des tragédies, Shayne Coplan continue de parier sur l’avenir.



