{ic_doc} Porto-Novo à l’ère du cauris {/ic_doc}
« Si tu savais ce que je sais, on te montrerait du doigt dans la rue. Alors, il vaut mieux que tu ne saches rien. Comme ça au moins, tu es peinard, anonyme, citoyen. » Léo ferré
Le régime actuel n’a pas généré les incompétences. Celles-ci ont toujours existé, même si elles n’ont pas souvent eu l’opportunité d’émerger. Le grand mérite de ce régime est de réussir, pour la première fois, à les découvrir, à les révéler au grand jour, à les rassembler dans leur impressionnant effectif et à les déployer au premier chef dans tous les domaines de l’activité nationale. Le reconnaître, c’est faire preuve de courage. Même si la pilule est dure, dure à avaler. Même si certains redoutent encore la lucidité en arguant de ce que l’extérieur pourrait penser de nous. On n’en est plus à se demander s’il faut travailler pour nous mêmes. Non. Le choix est bien clair. Et, en la matière, aussi inconséquent qu’ailleurs. Il suffirait pourtant à ces messieurs de la noblesse d’écouter et de regarder autour d’eux dans ces repas où ils se battent pour être invités dans les chancelleries étrangères pour comprendre que l’extérieur a plutôt pitié de nous. Mais en cela aussi, on ne dirait pas qu’ils en aient dans le ventre.
Donc, l’extérieur, ce n’est pas ce qui m’importe. Car ce qui m’importe est bien plus grave et pourrait se résumer dans cette boutade citée par Daniel Etoundi Manguelle : « quand nous sommes arrivés au pouvoir, le pays était au bord du gouffre. Depuis, nous avons fait un grand pas en avant. »
Ce qui m’importe, c’est que l’évolution humaine a traversé des péripéties depuis l’âge de la pierre jusqu’à celui de l’informatique. Autrement dit, depuis le troc, en passant par le cauris, l’argent, les chèques, jusqu’à la carte bancaire. Et l’on nous a toujours enseigné que cette évolution est irréversible. Erreur !
Car à Porto Novo, capitale du Bénin, voici maintenant deux semaines que des officines et autres dépôts, conçus pour conserver certains types de produits à des températures bien déterminées s’éclairent avec des lampes à pétrole. Dur retour en arrière dont on pourrait rire en sentant les odeurs sorties des frigos, les cravates détachées, les grosses voitures se garer puis leurs occupants verser du pétrole dans la lampe ou de l’essence dans le groupe, au détriment du sommeil des voisins, si précisément il ne s’agissait d’une question de vie ou de mort dans trop de cas. Je veux dire si la question se limitait au fait que notre capitale se trouve dans le noir par la faute d’une incompétence supplémentaire. Et il faut le dire, ces habitants ont un contrat avec la société d’Etat chargée normalement de leur éviter ces déconvenues. Et ils respectent leur part du contrat. Mais le pire n’est pas encore certain.
Dans certains quartiers, après avoir guetté l’eau toute la journée, plusieurs jours consécutifs, certains habitants l’ont tout simplement perdue depuis une semaine, c’est-à-dire au moment où la noblesse débattait, dans des hôtels de luxe, de la question de l’eau en Afrique. Et ces habitants sont, quelle que soit leur couleur politique, en contrat avec la société d’état chargée de veiller à cela, et ils respectent leur part du contrat. Mais le plus grave, ce serait que dans ces mêmes quartiers, certains ont de l’eau et d’autres pas.
Face à ces problèmes vitaux, la pénurie de ciment qui ébranle des citoyens honnêtes à négocier en cachette comme d’un objet prohibé, la défection régulière des réseaux téléphoniques et des tas d’autres pénuries apparaissent comme vulgaires. Porto-Novo est décidément retourné à l’ère du cauris et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela ne marche pas pour tout le monde.