Trist’art de Fortuné Sossa

Rap et singerie

Spectacle rap Poto Poto au Hall des arts de Cotonou. Je me pointe dans ma tenue "bohoumba". Pour franciser le mot, d'aucuns parlent de pyjama, d'autres de tenue d'apparat. Ne sachant quel terme coller au vêtement, je me résous alors à faire usage de la terminologie fon pour être sûr de ce que je le nomme avec exactitude. J'étais donc arrivé au concert en "bohoumba".

 Dès mon entrée dans le Hall, tous les regards convergent dans ma direction. Dédain et moquerie s'entremêlent pour me toiser. Des chuchotements se font entendre: "Comment peut-il se mettre en "bohoumba" pour venir ici ?" Un commentaire s'orchestre. Je me rends compte qu'il s'agit bel et bien de moi. Pour être davantage rassurer, je balaie très rapidement des yeux l'ensemble de la salle. Pas un autre dans la même tenue.

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Chemise bouffante ou collante. Pantalon et culotte cigarettes ou en pieds d'éléphant. Veste serrée contre la peau… Le décor vestimentaire de la soirée se résume à cette description. Nous sommes à un bal des tee-shirts de diverses tailles. Nous sommes à un festival des crêpes tennis gargantuesques. Nous sommes à un tournoi des démarches dévergondées. Que dis-je, des marches ondulantes, ondoyantes et zigzagantes. En plus, les oreilles sont bouclées de part et d'autre. La distinction entre jeunes filles et jeunes gens se fait plutôt au niveau de la poitrine. A part ce détail, la confusion est générale. Coiffures, vêtements, boucles d'oreille, chaussures… tout est pareil du sexe masculin au sexe féminin. Ça fume de la cigarette partout. Ça pue de l'alcool dangereusement. De part et d'autre, on vous piétine sans ménagement, sans le moindre mot d'excuse.
L'impresario annonce la présence du ministre de la famille et de l'enfant parmi les personnalités invitées à la soirée. Je cherche des yeux et je ne la retrouve pas. Quelques instants après, il l'invite à présenter le toast du gouvernement. Je vois alors Mme Yimbéré Dansou gravir les marches pour gagner le podium. Elle s'est bien parée pour la circonstance. Tee-shirt blanc et pantalon noir moulant: c'est le caractéristique de son ensemble. La soirée est "rapologique" et Mme le ministre s'est habillée en conséquence pour le show. Elle est dans le mouv tout comme les autres autorités dont le représentant résident de l'Ong Plan, institution partenaire de la campagne Poto Poto.
Je me retrouve ainsi seul dans la tenue locale parmi ces milliers de jeunes rappeurs et adorateurs du mouvement rap. A un moment donné, j'ai eu envie de me retirer, parce que, étranger à l'essentiel de ce que je vois. J'ai eu envie de me retirer mais je me rends compte que je suis en position de reporter. Alors, je réfléchis un instant et je me demande: "Ne peut-on pas faire du rap en bohoumba ?" Je ne suis pas rappeur, moi. Je n'ai même pas un penchant pour le mouvement. Mais je respecte ceux qui s'y adonnent tout en restant critique envers ceux-là qui se dotent du manteau de rappeurs pour sombrer dans la délinquance. A Dakar, j'ai vu des rappeurs sénégalais en pleine démonstration dans de grands boubous. J'ai vu également des Guinéens faire le rap en tenue traditionnelle. Et mieux, j'ai assisté à certains spectacles, toujours à Dakar, où le public a mouillé de fort belle manière de beaux basins richement brodés en dansant du rap et du mbalax.
Je ne comprends donc pas que l'on dédaigne pour autant la tenue "bohoumba" lors d'un concert rap à Cotonou. J'ai ouï-dire que cette tenue n'est pas acceptée en boîte de nuit. C'est choquant ! Devons-nous singer l'Occident tout le temps et en toute chose ? Pour faire du rap, il faut porter tee-shirt ou chemise plus pantalon de taille disproportionnée. Pour aller en boîte, de même ou tout au moins, il faut se mettre en costume tiré à quatre épingles. Les Occidentaux ne vont pas coloniser l'Afrique jusqu'à nous imposer la tenue à porter ! Non ! il n'en est rien. C'est la jeunesse africaine elle-même qui snobe. Elle choisit délibérément la voie de l'égarement, d'un déracinement gratuit. Un déracinement qui crée une entorse grave aux cultures endogènes. Même ceux de nos rappeurs qui essaient de faire une fusion de rythmes et qui, ma foi, sont les meilleurs, sont aussi prisonniers de la mode vestimentaire occidentalisante.
Il est vrai que beaucoup disent que le rap est d'origine américaine. Mieux, ce sont les Noirs américains qui l'ont inventé. Donc, quelque part, il est africain. Mais comme nos frères de l'autre bord de l'Atlantique ont eu le temps d'oublier un pan de leur culture originelle, il revient à nous autres d'en faire la promotion. A commencer par les artistes qui sont les meilleurs vecteurs en matière de défense de la culture.
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