Réflexion: La pertinence du droit de la santé en Afrique

/food/ayikoue.jpg » hspace= »6″ alt= » » title= » »  » />Cas particulier de la République du Bénin
Les arrêts Mercier1, Gomez2, Bianchi3, les décisions du Conseil d’Etat à propos de l’Hôpital Joseph Imbert d’Arles4, et l’arrêt Perruche5 ont marqué un tournant décisif dans l’histoire du Droit de la Santé en France. La responsabilité des professionnels de santé et des établissements hospitaliers a évolué à la faveur d’une progressive jurisprudence, de  la classique obligation de moyen vers une obligation de résultat. C’est dans ce contexte que la Loi Kouchner sera votée. Cette évolution jurisprudentielle et législative a permis d’améliorer tant soit peu la qualité de l’offre de soins en France

En Afrique, en particulier en République du Bénin, la situation n’a guère évolué. Le nombre de décès et des séquelles liées à la faute ou à l’erreur médicale augmentent sous l’œil impuissant parfois complice des autorités sanitaires au niveau national.
Le Bénin dispose d’une structure de soins sous forme pyramidale à trois (3) niveaux calquée sur le découpage territorial. Sur le plan administratif, le Bénin est divisé en douze (12) départements, subdivisés en soixante dix sept  (77) communes. Chaque  commune est divisée en plusieurs arrondissements. Ceux-ci  sont découpés en villages et quartiers de ville :
– Au niveau primaire, il y a le centre de santé d’arrondissement pour les arrondissements, le centre de santé communal et les hôpitaux de zones. A ces infrastructures s’ajoutent les dispensaires
– Au niveau secondaire, il y a les centres hospitaliers départementaux et les formations assimilées.
– Au niveau tertiaire, le Centre National Hospitalier Universitaire (CNHU), la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels (CAME) et d’autres structures spécialisées comme le Centre Pneumo-phtisiologie et le Centre Psychiatrique constituent la base de cette organisation pyramidale.
Il est important de noter que les Forces Armées Béninoises disposent d’un système sanitaire autonome chapeauté par l’Hôpital d’Instruction des Armées de Cotonou.
Le système de santé béninois paraît consistant mais manque énormément de moyens pour assurer des soins de qualité à une population en majorité analphabète et dont les droits dans ce secteur sont quasi inexistants. Les béninois subissent avec fatalisme une situation qui devient de plus en plus alarmante.
L’absence de statistiques concernant les conséquences de la défaillance du système de santé nous amène à nous interroger sur le rôle que doit jouer l’autorité nationale compétente sur la mise en œuvre et la sauvegarde des droits du patient et du malade hospitalisé.
Le patient et le malade hospitalisé sont des usagers du système de santé. L’usager est celui qui a un droit réel d’usage et qui utilise un service public. D’un point de vue juridique, l’usager renvoie au secteur de soins public uniquement, le terme de client à celui du secteur privé de soins. En France, dans le domaine de la santé, le secteur public et le secteur privé ne sont pas aussi clairement séparés dans la mesure où les professionnels libéraux et les établissements privés conventionnés bénéficient d’un système de financement qui relève de la responsabilité collective.
Le terme « usager » a été retenu dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé pour les dispositions concernant la participation des associations au système de santé. Cette loi fixe un cadre pour améliorer les droits et la qualité du système de santé dans son ensemble ; que la personne soit prise en charge dans un établissement ou par un professionnel relevant du secteur public ou du secteur privé.
Le droit de la santé quant à lui est un ensemble de règles qui vise à protéger la santé de chaque individu tant dans son aspect préventif que curatif. C’est un droit mal vécu car longtemps déconsidéré par les acteurs du système de santé (médecins et personnels soignants…) qui redoutent une intervention emprisonnante de l’Etat notamment dans leur pratique professionnelle. Pour le médecin, l’intervention d’un tiers, dans ce cas, la force publique lui apparaît comme synonyme de pesanteur ou de lourdeur.
                                     
Nécessité d’un droit de la santé applicable pour tous
Le droit de la santé est un droit transversal qui recouvre de véritables secteurs du droit tels que le droit sanitaire et social, le droit de l’environnement, le droit de l’urbanisme, le droit du travail, le droit civil et le droit pénal. Il est devenu aujourd’hui un droit incontournable.
Nous pouvons alors nous poser la question de savoir en quoi les règles du droit de la santé peuvent-elles permettre d’améliorer la qualité de l’offre de soins de santé au Bénin. Quelles incidences ces règles peuvent elles avoir sur le système de santé ? En quoi ces règles peuvent elles contribuer à améliorer les droits du patient et du malade hospitalisé ?
La conception de la santé en Afrique et précisément au Bénin est bien différente même si ce pays a une histoire commune avec la France. Serait il alors prudent de calquer le modèle béninois  sur celui de la France, quand on sait que la plupart des pays colonisés  ont connu des échecs avec les institutions mises en place après les indépendances.
La  mentalité béninoise influence l’analyse des situations de telle sorte que, les causes de décès ou d’accidents médicaux sont placées sur un plan surnaturel.
En Afrique et particulièrement au Bénin, les médecins ne présentent pas aux malades les tableaux réels de l’évolution de leur maladie certainement par crainte d’affecter leur moral et celui de leurs parents. Mais en cas de difficulté, il est nécessaire de pouvoir situer les responsabilités.
L’analphabétisme de la population et la méconnaissance des règles qui existent, constituent un frein important à la mise en œuvre du droit de la santé en Afrique. Il faut noter le manque de moyens indispensables à la pratique  médicale et le difficile accès au soin qui obligent parfois les individus à se soigner selon leurs propres moyens.
L’Etat ne remplit pas cette fonction régalienne qui lui est assignée dans ses prérogatives. L’exemple du Bénin est révélateur.
A la fin des années 80, l’Etat béninois sous le coup des Programmes d’Ajustement Structurel, a gelé les recrutements dans la fonction publique. Les jeunes médecins diplômés ont alors décidé de se mettre à leur propre compte pour ouvrir des centres de santé privés.
Cependant sans contrôle de l’autorité nationale les dérives n’ont pu être maîtrisées et endiguées. On assiste alors à une prolifération de centres de santé en clientèle privée qui témoigne d’une course effrénée à l’enrichissement. Par conséquent les promoteurs de ces centres, à la suite des autorités publiques, accordent peu  d’importance  à  la déontologie et aux règles qui définissent la pratique de la médecine légale. C’est la grande anarchie : n’importe qui ouvrant une clinique ou un cabinet.
Ces structures de santé privées jouent néanmoins un rôle compensatoire dans le système de santé béninois. Ce sont des structures de proximité qui permettent aux individus de pouvoir se soigner à moindre coût.
On en distingue deux types :
– les structures de santé qui répondent à des normes (normes parfois mal définies, ou mal établies).Dans ces structures, ceux qui y exercent ont reçu une formation que l’on pourrait qualifier d’adéquate et s’évertuent à dispenser des soins de qualité dans le respect de la déontologie médicale. Cependant, fréquenter ce type de centre de santé a un coût et le béninois moyen ne peut se le permettre.
– Il y a ensuite les centres de santé qui ont proliféré à tous les coins de rue au cours de cette dernière décennie. On ne s’embarrasse pas des règles élémentaires pour l’installation de ces structures privées. Des cliniques ou des cabinets sont ouverts en plein marché, dans des gararages, à côté des écoles et même près des bars et des maisons closes. L’Etat a laissé libre cours à un nouveau type de commerce et aujourd’hui n’importe quel individu sans qualification se permet d’ouvrir un centre de santé et d’y dispenser des soins.
Les organismes de contrôle ne jouent pas leur rôle car ils manquent de moyens d’action pour endiguer ce phénomène qui constitue un danger pour la population béninoise.
Il est difficile de parler de droit de la santé quand on sait que le système de santé est défaillant et seuls les plus nantis peuvent se permettre d’accéder aux soins de qualité.
Il importe aujourd’hui de prendre en compte l’exemple des pays pas forcément riches qu’il serait possible d’adapter en République du Bénin.
                                          
L’Exemple Cubain peut faire école
Le système de santé cubain est souvent cité en exemple. Pendant des années, la santé, au centre du projet révolutionnaire, avait bénéficié du soutien de l’ex-bloc soviétique.
Le système de santé cubain est avant tout basé sur la prévention. Il part du principe que « chaque personne et chaque peuple a le droit à une vie saine et doit profiter du privilège d’une existence prolongée et utile. »
Dès 1961, Cuba a entrepris une modification profonde des structures. Les services de santé ont été nationalisés, et placés sous l’autorité du ministère de la Santé publique (MINSAP). La population cubaine a gratuitement accès aux services médicaux, dont le réseau couvre tout le territoire national. Chaque année, l’Etat consacre environ 5% du PIB à la santé publique. Dans le système de santé cubain, la médecine préventive est prioritaire. Les soins de santé primaires sont apportés par le médecin de la famille, le pays en compte plus de 29 900. Les indicateurs de base de santé maternelle et infantile sont supérieurs à ceux des autres pays dits « en voix de développement », et comparables à ceux des pays hautement développés. Les principales causes d’hospitalisation sont les complications de la grossesse, les maladies respiratoires (la pneumonie, la bronchite asthmatiforme,…).  La médecine cubaine moderne a développé des techniques modernes de transplantations de reins, cœur, poumon, moelle osseuse, foie, pancréas, cornée et de transplantations nerveuses. Malgré la réduction des importations et l’embargo que les Etats Unis imposent, Cuba a réussi à maintenir les soins de santé primaires et hospitaliers, bien que la disponibilité en médicaments et matériel médical de base ait diminué. Les études des médecins sont organisées en 3 cycles de deux années ; à l’issue du 1er cycle est délivré le diplôme de « travailleur sanitaire », à l’issue du 2ème cycle le diplôme « d’infirmier », et celui de « médecin » après le 3eme cycle. Ce médecin diplômé commence obligatoirement sa carrière à la campagne durant deux (2) ans), et ce n’est qu’après ce travail en zone rurale qu’il peut entreprendre des études de spécialisation. Par ailleurs, tous les médecins bénéficient d’une formation permanente. En 1998, le secteur de la santé comptait 63 483 médecins (un médecin pour 175 habitants), et 9873 stomatologues (un médecin pour 1126 habitants ).
La république du Bénin pourrait s’appuyer sur l’exemple de Cuba compte tenu des relations de coopération  qui ont toujours existé entre les deux pays.
Il serait approprié de mettre en place des stratégies adéquates qui permettraient de prendre en considération la médecine traditionnelle qui constitue une des richesses de notre pays en espérant que les autorités nationales en charge de la mise en place de ce système s’investissent de manière audacieuse pour le bien être des populations.
 Il apparaît clairement urgent de prendre des décisions et de mener des actions hardies pour arrêter les dégâts qui s’observent tous les jours dans les cliniques privées tenues par les non professionnels et redorer le blason du système de santé béninois en matière d’accès aux soins et de leurs qualités. Cela constituerait un premier pas dans la mise en œuvre de la responsabilité médicale et la responsabilisation des différents acteurs de santé au Bénin.

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Notes
 Cour de cassation, chambre civile, 20 mai 1936, Mercier
 : Responsabilité civile contractuelle
2 Cour administrative d’appel de Lyon, 20 décembre 1990, Gomez
 : Responsabilité sans faute sur thérapeutique nouvelle non suffisamment éprouvée
3 Conseil d’Etat le 9 avril 1993, Bianchi
: Responsabilité sans faute sur thérapeutique éprouvée
 : indemnisation de l’aléa
4  Conseil d’état le 03 novembre 1997 Hôpital Joseph Imbert d’Arles
 : Responsabilité sans faute sur acte non thérapeutique

Cour de cassation, 17 novembre 2000, Perruche

Elargissement du lien de causalité = portée du préjudice par ricochet = responsabilité vis à vis des tiers
Loi du 04 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé, dite Loi Kouchner.

Fabrice M-Y AYIKOUE
Doctorant en Droit Médical
Université de Saint-Denis Vincennes France

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