Crise dans le secteur de la santé

Un accidenté délaissé à l’entrée du service des urgences du Cnhu de Cotonou  depuis 2 jours  Photo /NTribune

Des Béninois se meurent au Cnhu et à l’Homel
(D’autres hôpitaux de l’intérieur du pays «cadenassés»)
Les perturbations se poursuivent et s’aggravent  dans les hôpitaux et autres centres de santé du secteur public. Au Cnhu Hubert Maga et à l’Homel, deux grands hôpitaux du Bénin, les services tournent presque tous au ralenti. Les agents paramédicaux qui orchestrent ainsi ces paralysies  ne sont pas toujours  prêts à démordre…

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(…)tant que la question des primes de risque ne soit pas réglée à leur  niveau. Bien au contraire, ils menacent de passer à la vitesse supérieure  dès  la semaine prochaine.

Ce mardi dans l’après-midi,  un homme gravement accidenté est  transporté d’urgence au Cnhu par les sapeurs pompiers. La cinquantaine environ, il venait d’être renversé par un véhicule dans un quartier de la ville. Son visage est presque défiguré. Son tee-shirt blanc ensanglanté.  Mais hélas, les agents du Service  médical des urgences (Smau) présents sur les lieux sont très peu nombreux et déjà occupés par d’autres cas aussi graves. Les premiers soins lui firent administrés quand même. Mais aussitôt, il est abandonné   dans un couloir,   à son propre sort.  L’intensité de ses douleurs et ses gémissements profonds  ne semblent  mouvoir personne. Pas  en tout cas, les quelques rares agents  présents qui assurent le service minimum. Et pourtant, il a tout l’air d’un mourant, vu son état. Personne ne l’aurait accompagné à cet hôpital en dehors des sapeurs pompiers  qui sont repartis aussitôt. Personne  également,  ne s’est   présentée jusqu’à hier soir,  pour peut-être assurer les frais de santé.  Pas un parent à la porte du Smau. Cet accidenté est encore là, en ce moment,  le regard perdu et étrangement mortel. Sans espoir d’être sauvé. Il  traîne péniblement dans les couloirs du Smau à la vue   d’autres patients et usagers stupéfaits. 
Le spectacle est horrifiant, pas plus que celui de cet homme allongé à même le sol à l’entrée principale  du Smau. Lui aussi se  torde de douleurs sous l’effet de ses nombreuses blessures.  A quelques pas de là, c’est  un presque fou qui s’offre en spectacle.  Assis tout nu, à même le sol,  sous le hall qui fait face à l’entrée principale du Cnhu,  il devise dans le vide. Il est   également   transporté ici par des sapeurs pompiers, à la suite d’un accident dont il a été victime lundi dernier.   Son  tibia gauche est cassé et enflé.  Selon une source proche de la Direction générale du Cnhu, il a reçu un début de soins, mais s’est évadé pour venir s’installer dans la cour. 

Des lamentations incessantes
D’autres gardes malades  assis  sur des  bancs en face  du Smau   se lamentent sans cesse. « J’ai un accidenté grave ici, mais la lenteur des soins qu’on lui administre en ce moment m’inquiète » confie  une femme, la voix sanglotante.  Le service minimum est –t-il au moins bien assuré   pour le seul cas du Smau  en ces périodes de perturbations ? Question  bien difficile. Les agents réquisitionnés pour le faire ont dû travailler ce mardi grâce à la présence des forces de l’ordre appelées à leur rescousse ;    pour s’opposer aux syndicalistes des paramédicaux qui tentaient de les répudier tous. D’autres, par peur, d’être battus auraient  disparu malgré le dispositif sécuritaire.  Le surveillant général du Smau, Justin Ahomlato ne cache plus son désarroi face à ce qui arrive. « Les autorités   ont  intérêt à aller vite, si non, le pire surviendra. Le cas du service  des urgents est encore plus alarmant en ce moment » s’inquiète-t-il. Les médecins  de service, qui ne sont pas eux autres en grève auraient « curieusement » déserté les lieux, laissant leur tâche  aux étudiants stagiaires.    D’autres  services sensibles du Cnhu vivent aussi le même danger. Entre autres,  la réanimation, les salles d’accouchement, la crèche, la banque de sang, etc. Tout est bloqué.  Les  patients  qui s’y amènent encore  sont automatiquement renvoyés, ou  abandonnés surplace. « Il y a des morts fatales dans presque tous les services depuis peu » s’enflamme, E. Aliha,  agent administratif au Cnhu

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Une « Grève sauvage » s’annonce
 La menace de l’Intersyndicale  des ressources humaines du secteur de la santé va en grandissant.  Le sit-in  organisé hier dans l’enceinte du Cnhu   annonce des mesures encore plus sévères . L’on parle d’une « grève sauvage »  en préparation. . « Si rien n’est fait d’ici à là par les autorités, nous allons répudier tous les malades de l’hôpital dès la semaine prochaine et fermer toutes les portes » menace gravement  un agent gréviste. Les syndicats maison ne sont pas loin de mettre cette menace en application.  Théophile Dossou, secrétaire général du Syndicat des taravailleurs  du Cnhu, se dit déterminé à aller jusqu’au bout. Sa colère est montée d’un cran à la suite de la dernière réunion  avortée par le gouvernement  qui les y aurait  pourtant invités tous .Ils  ont dû rebrousser chemin  après deux heures d’attente vaine. Les ministres qui devraient discuter  avec eux seraient plutôt  conviés par le Chef de l’Etat  à  la cérémonie de la pose  de la pose de la première pierre de l’échangeur   de Godomey, organisée ce mardi matin. « Pour une fois encore, le gouvernement vient de se moquer de nous et du peuple, car la santé devrait être d’abord la première préoccupation en ces moments de crise » s’insurge un autre agent, tout courroucé.
 Si certains  se disent prêts à  tout bloquer dans les prochains jours, d’autres agents et responsables syndicaux se veulent plus modérés dans leur revanche.  Ils pensent   plutôt à  d’autres mesures comme  celles consistant à ne plus enregistrer toutes les prises en charge provenant de l’Etat.

La prime de risque à l’origine de tout.
La  fameuse prime de risque maintenue à 6000Cfa pour les paramédicaux, alors qu’un   récent arrêté interministériel  a décidé  de payer  pour la même prime, 100.000Fcfa aux médecins, pharmaciens et ordontosmatologues,  est l’acte qui semble avoir tout gâté.  Les nombreuses négociations entamées depuis  le début de ce mouvement de grève demeurent infructueuses. Les  deux parties,   paramédicaux et gouvernement,   peinent toujours à s’entendre.  Si les  premiers n’exigent pas d’être payés forcement au même montant que les médecins pour la prime de risque, (Ils ont révisé leur position initiale)  ils réclament toutefois une nette augmentation  des  6000F Cfa. Entre 50.000Fcfa et 75.000Cfa  pour toutes les catégories confondues. Le gouvernement dit niet. Les capacités financières actuelles ne lui   permettraient guère de  s’aventurier sur un tel chemin. Et préconise     plutôt la catégorisation de la prime.  Citant d’autres pays africains ou le même taux est payé du professeur magistral à l’aide soignante, à 40.000Fcfa pour le cas du Sénégal, la position de Mme Montéro, Secrétaire général du Syndicat des sages femmes du Bénin reste, en tout cas intransigeante : « Jamais la catégorisation ». Un autre agent du Cnhu va même plus loin, en dénonçant la « part belle » faite aux médecins, qui, fustige-t-il,  bénéficient non seulement  d’une « mirobolante prime de risque », mais perçoivent d’autres primes comme celles  de gardes d’astreintes « sans fournir le service inhérent » ; au point où ils toucheraient  désormais  près de 350.000Fcfa, par mois,  toutes indemnités hospitalières confondues.

 Le  Dga/ Cnhu très inquiet
«Ce qui se passe actuellement au Cnhu et dans plusieurs  autres hôpitaux du pays est très inquiétant », s’enflamme le Directeur général adjoint du Cnhu,  Mr Djènontin. « Nous sommes peinés de voir les cas de décès augmenter au sein de notre hôpital à cause de la paralysie actuelle » ajoute-t-il sur un ton amer. Si la loi autorise les responsables administratifs   de réquisitionner jusqu’à hauteur de 20% pour assurer le service minimum  en  cas de grève,   le Cnhu, à le croire vit toute une autre réalité en ce moment. « Non seulement les  travailleurs ont corsé le  mouvement,   ils   font aussi  la chasse aux agents réquisitionnés » déplore le Dga Cnhu, qui avoue cependant, que  la Direction  ne saurait se  mettre au travers de la présente grève. « Le gouvernement doit faire l’effort de les écouter, car la maison ne tient plus. Nous sommes tous malades. C’est vraiment triste » lâche désespérément le Dga-Cnhu.

Baisse drastique des recettes du Cnhu
« C’est une situation insupportable, mais  nous ne pouvons rien faire  pour  empêcher les grévistes d’agir.» affirme avec désolation, le Directeur général du Cnhu, le colonel . Abdoulaye. Les conséquences sur la maison sont nombreuses. Les recettes de l’hôpital  ont drastiquement baissé. De 3500.000 Fcfa  environ,  il y a quelques semaines,  elles ne dépassent guère 500.000 Cfa depuis peu, à le croire. Avec déjà  les grands problèmes financiers, auxquels l’hôpital fait face depuis des années,  le blocage actuel  demeure un « drame ». Pour une maison dont la charge salariale et autres dépenses mensuelles  avoisinent 350.000.000,  pendant que les recettes tournaient avant la grève au tour de 170.000.000 Cfa,  les difficultés de fonctionnement ne peuvent que s’aggraver davantage en ce moment. Le Dg Cnhu en est  tout  chagriné. « Dans cette situation financière difficile, nous n’avons pas encore réglé à ce jour le dernier salaire aux 90% des agents contractuels locaux qui sont directement payés sur le budget de la maison ». Les  10 % d’agents payés par l’Etat sont, eux autres,  déjà servis. Et c’est là où le Directeur se dit préoccupé par  la grève actuelle, car il aura à faire face à ces 90% d’agents locaux si  leur  dernier salaire  et les autres à venir ne sont pas payés à temps. Comme on le constate, la grave paralysie qui ébranle  le Cnhu et beaucoup d’autres hôpitaux publics qu Bénin annonce  des lendemains encore plus catastrophiques.  Si elle n’est pas vite  débloquée. 

L’Homel bloqué depuis des jours
L’Hôpital   de la mer et de l’enfant Lagune (Homel) de Cotonou  vit la même situation  depuis des semaines. Tout tourne au ralenti et plusieurs services  gardent leurs portes clauses. Faute d’agents. Ceux réquisitionnés sont également pourchassés par les autres travailleurs, « parfois avec violence  en  cas de récidive », selon une source de cet hôpital.  Les accouchements sont très rares.  L’habituelle affluence a cédé désormais la place  à un silence de cimetière. A la Direction générale, les soucis se sont accrus,  de toute évidence. « Les recettes ont nettement chuté » se plaint le Directeur général de l’Homel, Michel Gozo qui reste depuis peu très longtemps au bureau.  Pour, dit-il,  mieux  superviser les quelques rares travaux qui se font en ce moment.
 Même chaos dans les autres hôpitaux publics de l’intérieur du pays. Certains auraient même été cadenassés  par des agents grévistes. Et plus rien n’y bouge. Dans des zones, où  il n’y a  que le centre de santé de l’Etat pour assurer les  soins  aux populations locales, les cas de décès auraient nettement augmenté.  L’heure est bien grave à l’hôpital public.

Enquête : Christian Tchanou

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