Chronique:Erick-Christian Ahounou

les rondeurs sont des poèmes
Erick-Christian Ahounou aime les femmes. Il les aime surtout dans leurs plus simples plumages. Son objectif de photographe, quand il les fige dans les multiples poses de son studio de Cotonou et de Bamako, ne se contente pas de les arracher de l’anonymat.  Il s'attache à restituer toutes leurs splendeurs dans des courbes pudiques, dans l'abandon d'un geste dédié à l'invite amoureuse, dans la négligence calculée de la distraction, ou encore dans la coquetterie d'une séduction programmée.
 La première fois qu'il s'est risqué à ce jeu, c'était en 2000, dans un centre culturel de Cotonou, la Médiathèque des Diasporas. Son exposition “l'érotisme du regard” s'invitait dans les habitudes pantouflardes des Béninois. Une trentaine de clichés de nu féminin, un peu dans la tradition du photographe allemand Uwe Omer. Erick guettait la réaction des visiteurs avec appréhension, persuadé qu'ils allaient lui lancer au visage des réactions indignées. A-t-on idée, dieu des ancêtres, d'offrir des parties sensées faire le bonheur des maris, au regard du monde? Quelle envie veut-on inspirer aux époux vertueux qui ne sourcillent jamais devant les tentations? Ne faudrait-il pas cacher ces seins aux auréoles délicieuses, ces ventres picorés de poils fins, ces fesses aux ondoiements félins qu'on ne saurait voir?
Et pourtant, ce furent des remerciements, des élans enthousiastes que le public déploya pour couvrir le photographe.  Le public des femmes surtout, heureuses qu'on leur rende ainsi hommage. Car, ce fut, avant tout, une démarche d'esthète: la femme noire prise dans les angles les plus féminins, dans les postures les plus sensuelles, sans provocation, ni voyeurisme. La femme belle inscrite dans les coulisses du temps, dans le paysage de l'éternité, Eve noire parée des seuls vestiges qui ont fait son intemporalité: sa beauté naturelle.
Depuis, l'exposition a fait du chemin.
Ce qui est remarquable ici, c'est que le photographe a su capter ce qui, dans l'imagerie collective, définit les canons de la femme africaine, de la femme noire, telle que les hommes, leurs compagnons, aiment les célébrer: des rondeurs vives, bondissantes, épicées, mises en relief par leurs cambrures naturelles, un creux, paraît-il, provoqué dès le bas-âge par les mamans lors des bains. Un creux pratiqué entre la taille et la naissance des fesses, ce qui accentue l'évasement des hanches, amplifie la culotte de cheval, redimensionne le volume des fesses. Car, on les aime gros et ronds ici, les postérieurs. Une femme que la nature a négligée en ne lui offrant que juste de quoi s'asseoir, constitue une curiosité. Pour elle, les jeunes du quartier ont des quolibets garantis: ”serpent qui n'a pas de fesse”.
Mais revenir à l’artiste. Pour parvenir à un tel résultat, Erick-Christian Ahounou a dû d'abord choisir et convaincre ses modèles: de jeunes femmes inconnues, croisées dans la rue, dans les marchés, dans une boutique qu'un regard, un clin d'œil a permis de repérer. Bien sûr, elles ne bondissent pas sur la proposition. D'autant qu'aucun pécule, en retour, n'est brandi pour récompenser leur courage. Ce sont des modèles bénévoles, qui, au-delà de leur accord de principe, doivent convaincre leurs familles, encore plus leurs fiancés. On devine bien la réticence des proches et la résistance ferme et bétonnée des chéris. Mais le photographe trouve, à chaque fois, la parade: au moment des poses, il offre aux modèles l'anonymat, en masquant leurs visages, en les détournant de l'objectif, ou au mieux, en les dissolvant dans le noir. Le noir et le blanc, thème fétiche du photographe, tout le contraire d'un Uwe Omer plutôt campé sur les couleurs.
Le noir permet d'accuser les lignes de contraste; il met en évidence les courbes, remplit les sinuosités, amplifie les cambrures. Plus vivant que les couleurs, il provoque les interrogations, entretient le mystère. Le mystère qui est, à la beauté, ce que le bonheur est au paradis.
C'est cela, la marque du photographe: nous donner à saliver et à rêver. Comme le font les femmes, comme elles l'ont toujours fait. D'hier à aujourd'hui. D’aujourd’hui à l’éternité.

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