Un nouveau roman de Gaston Zossou
«Voyez, l’Esprit du Pays comme il est triste ! Il attend, comme un père ou une mère humiliée, la venue des enfants fidèles et dignes. C’est vrai, la ferveur grimacière et bouffonne des présents acteurs politiques qui envahissent et assiègent la scène inspire une répugnance à faire vomir, et vous vous faites sourds à l’appel de l’Esprit du Pays.»
Ainsi s’exprime Gaston Zossou dans Au nom de l’Afrique, son premier livre, un essai paru en 2000, chez L’Harmattan à Paris ; une réflexion sur le destin de l’Afrique, sur les causes de ses maux, les fondements de ses échecs, sur les voies et moyens susceptibles d’améliorer significativement l’existence des Africains et de les rallier au monde et à demain. Au moment où ce livre sortait en libraire, l’auteur était ministre de la culture et de la communication, porte-parole du gouvernement du général Mathieu Kérékou qui se f… royalement de «l’Esprit du Pays». Cela suffisait à discréditer le livre car le lecteur se demandait, à juste titre, qui de l’auteur d’Au nom de l’Afrique ou du thuriféraire impénitent, attaquant de pointe du régime pourri de Kérékou, était le plus digne de foi.
Le flop retentissant que fit Au nom de l’Afrique en dépit du parrainage monumental du Président Emile Derlin Zinsou et d’un méchant battage médiatique orchestré par Florent Eustache Hessou, l’attaché de presse de service, ne dissuada pas Gaston Zossou à se piquer résolument de littérature. Le «cobra royal» de Kérékou revient donc trois ans plus tard avec La guerre des choses dans l’ombre (Paris, Editions Maisonneuve et Larose, 2003), un roman de mœurs qui montre la prégnance et le déterminisme de sombres croyances et pratiques occultes dans le Dahomey colonial malgré la présence et l’appropriation de certains apports culturels étrangers. Au demeurant, la préface caution du grand Jacques Chevrier dont le ministre a réussi à parer son coup d’essai n’a eu malheureusement que l’effet paradoxal de mettre en lumière, par défaut, les faiblesses rédhibitoires de ce premier roman dont le caractère superficiel, la plate linéarité et le style archaïque ne manquent pas de laisser le lecteur averti sur sa faim.
Avec Ces gens-là sont des bêtes sauvages, qu’il vient de faire paraître en cette année 2008 à Paris, chez Riveneuve éditions, Gaston Zossou poursuit imperturbablement son projet littéraire. Non, il ne nous fait pas passer des «choses dans l’ombre» au «système des choses» dont il fut un redoutable griot. Enfin, pas encore. Mais il s’en rapproche. Ce deuxième roman, qui a pour cadre l’Afrique post-coloniale, sans être véritablement la suite de La guerre des choses dans l’ombre, en est d’une certaine manière le prolongement. Cela non seulement à travers l’évocation persistante, dès le premier chapitre et passim, des «choses dans l’ombre», mais surtout à travers le héros, Amila Lanta, l’unique fils resté en vie de Joseph Lanta, héros du premier roman, dont le souvenir est du reste souvent évoqué, particulièrement aux pages 82 et 83. Ces gens-là sont des bêtes sauvages raconte les tribulations d’Amila Lanta devenu adulte à qui son père vaincu par «les choses dans l’ombre» a laissé – lit-on dans La guerre des choses dans l’ombre – un «gros héritage de querelle» et le devoir de «donner un nouveau souffle à son combat singulier».
Ces gens-là sont des bêtes sauvages est un roman de formation de 253 pages et 24 chapitres que l’on pourrait structurer en trois parties correspondant aux différentes phases de l’évolution du héros narrateur.
Dans les dix premiers chapitres, ce dernier parle des années passées dans le giron des prêtres, d’abord comme élève, puis comme moniteur promis à une vocation sacerdotale, avant que la conscience de la responsabilité de transmettre son nom et la pression des événements politiques et sociaux ne le fassent expulser du cocon de la mission catholique. Il renoue alors avec le pays réel, dur et impitoyable.
Du chapitre 11 au chapitre 18, Amila Lanta évoque les nombreuses péripéties de son militantisme au sein du «Parti des égalitaristes» qui le mène de l’activisme le plus enthousiaste à la désillusion la plus amère. C’est justement cette désillusion, ce dépit, qui fait dire à Aklassato, un ami d’Amila, parlant de ses anciens camarades du parti : «ces gens-là sont des bêtes sauvages». Jeté en prison, comme beaucoup d’autres « égalitaristes » avec qui il a pourtant coupé les ponts, Amila réussit avec deux co-détenus à se faire la belle et à quitter son pays pour s’exiler dans un pays voisin.
Les chapitres 19 à 24 racontent cette nouvelle vie d’exilé au cours de laquelle le héros fait l’expérience de certains problèmes brûlants de l’Afrique contemporaine, tels que le développement non maîtrisé de mégapoles chaotiques, les dérives sociales, les conflits politiques et tribaux, les guerres et les déplacements massifs de populations, dans un contexte général marqué par l’ignorance, la pauvreté, la violence et la haine.
Amila se révèle donc le digne fils de son père par ses options modernistes, sa foi au progrès, sa lutte contre les forces obscurantistes, son rêve d’une société plus juste qui le mène de la République (francophone) du Gambada à un pays anglophone voisin, de l’activisme politique à l’action humanitaire, sans jamais vaincre la fatalité de l’échec dont il conçoit un profond sentiment de déréliction. Car, en vérité, « les bêtes sauvages », ce ne sont pas que les militants du « parti des égalitaristes » aux méthodes exécrables ; ce sont aussi, ce sont tout simplement les Africains dans leur écrasante majorité qui semblent refuser obstinément de rentrer dans l’humanité.
Ce roman est intéressant par le regard singulier qu’il porte sur les mutations sociopolitiques du Bénin et de l’Afrique depuis les années 1970. Certes, il est nettement moins indigeste que le premier, même si l’imparfait du subjonctif, la virtuosité verbale, le style déclamatoire et la jactance jubilatoire persistent encore à contester la primauté à l’émotion esthétique. Mais l’effort de témoignage de Gaston Zossou, nourri par un talent avéré de narrateur plein de promesses, mérite notre respect.
Guy Ossito MIDIOHOUAN
Un extrait du roman (pp.204 – 206)
« Puis je vis s’engager une course-poursuite. Le fugitif était un garçon d’une quinzaine d’années. Il était trapu et avait les cheveux roux. Il était torse nu et portait une culotte courte. Les poursuivants étaient une douzaine et fonçaient sur lui, en brandissant des bâtons. Ils criaient au voleur. Le fuyard disposait d’une bonne avance. Il grimpait sur les toits des véhicules immobilisés, bondissant d’un point à un autre lestement. Il semblait maîtriser ses moindres mouvements. Je vis flotter sur son jeune visage un sourire railleur destiné à la meute de ses poursuivants. Le reste de la foule ne prêtait qu’une attention relâchée au spectacle. Certains semblaient même indifférents. Soudain le fugitif engagea une accélération décisive. Il fonça dans une direction où il partit comme une flèche. Ses poursuivants couraient toujours. Je vis se dresser devant le fugitif une barrière de fer rouillé. L’obstacle me parut infranchissable. Je pensai qu’il le contournerait. Il s’engouffra dans l’amas de carrosseries, de blocs-moteurs, de châssis et de jantes. Je crus qu’il s’éventrerait contre une lame de métal en pointe, mais il traversa l’obstacle aussi aisément que si ce fut une boule de vapeur. Je me couvris les yeux de stupeur. Les poursuivants se retrouvèrent devant l’amas de ferrailles, ils se concertèrent du regard, contournèrent la barrière et se remirent aux trousses du fugitif. Il avait pris une avance considérable sur la meute endiablée. Ils descendirent sur une terre basse. Le fuyard parut manquer de souffle.
L’écart se réduisait, mais il paraissait toujours hors de portée. Il filait à nouveau comme un bolide, comme s’il avait reçu un nouveau souffle. Puis soudain il glissa sur un point boueux du sol et chuta violemment. Les poursuivants à la pointe, dans leur élan le dépassèrent de quelques foulées, les suivants l’eurent juste à leurs pieds, les derniers arrivèrent pour parfaire l’encerclement. Il fut immobilisé debout. La foule lui passa de vieux pneus de voiture au cou. Il avait levé les bras pour entraver l’action des justiciers, mais ils parvinrent à l’engainer, des pieds à la tête, dans un accordéon de pneus. Il dandinait comme un fantôme et se tenait debout. Pourquoi ne pas se jeter à terre ? Pourquoi ne pas essayer de se soustraire du fût de la mort en rampant ? Avait-il choisi la position verticale pour son dernier combat. Un motocycliste de bonne volonté arriva sur les lieux. Il offrit son réservoir à siphonner. Les justiciers se procurèrent de l’essence dans un bol. Ils aspergèrent la pile de pneus qui chancelait toujours. La meute se rabattit loin du supplicié, qui vacillait au centre du cercle toujours sans chuter. La foule exultait bruyamment. Quelqu’un frotta une bûchette d’allumette qu’il jeta en direction du cylindre titubant. Le feu tomba à quelques pas. L’artificier malhabile fut rudoyé par la foule. Il avança de quelques pas, frotta une nouvelle bûchette et la jeta contre la pile de pneus. La détonation, une fumée noire et grise au-dessus des langues de feu. La foule applaudit et émit des cris de joie. Des photographes s’étaient précipités nombreux. Les séquences de l’acte d’exécution avaient été prises en photo. Puis il se forma sur les lieux un marché à la criée, où les images furent vendues à une foule surexcitée. »
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