Les prédictions d’un religieux en 2006
Tel un visionnaire, l’auteur du texte ci-après avait tout prédit ou presque sur le sort de Boni Yayi et son régime du changement, si le nouveau président fraîchement élu ne prenait garde de certaines réalités. Lorsque, en 2006, il faisait publier ces phrases prémonitoires sur ce qu’il pourrait advenir de la nouvelle ère qui soufflait sur le Bénin, il ne croyait pas si bien dire, si bien penser. Aujourd’hui, le cours des événements sociaux-politiques dans le pays, donne entièrement raison à l’abbé Raymond Goudjo et atteste de la justesse de sa prophétie. Lisez plutôt.
{joso}DÉMOCRATIE DU CHANGEMENT ET RUPTURE DANS LA CONTINUITÉ
Pour avoir réussi à provoquer ce véritable tsunami électoral, démocratique au Bénin en mars 2006, le président Dr. Thomas Boni Yayi s’est appuyé sur les attentes intimes du peuple béninois: le changement qui devra s’enraciner dans la lutte contre la pauvreté. Il a aussi bénéficié du crédit de 1 ‘homme nouveau sérieux et intègre, non encore commis dans quelques intrigues politiques et financières.
Le peuple béninois désire en effet, voir des hommes nouveaux donner une nouvelle impulsion sociale au développement social du Bénin; et il a été très fasciné par cet homme respectable qui a pu, sans faille, diriger une des plus prestigieuses institutions financières sous-régionales, la Banque Ouest Africaine de Développement. Peut-être, ce peuple n’a-t-il pas aussi pensé que le Dr. Boni Yayi, devenu président de la République, ouvrirait presque sans engagement et rien qu’en cliquant du doigt, les vannes des finances mondiales pour arroser le Bénin?
Ce que je sais, c’est que le Président Dr. Boni est d’avance piégé, car en parlant de prendre
comme programme très ambitieux « la lutte contre la pauvreté », il s’engage dans une voie qui exigera de lui très haute qualité morale, ferme résolution, force de caractère, extrême rigueur contrôle permanent par lui-même du bon comportement de son staff et de la bonne gestion des finances et investissements publics: etc. En a-t-il la trempe, le caractère moral et la santé pour tenir bon pendant d’abord un quinquennat?
Les réformes qu’implique le changement annoncé, supposent une vraie rupture dans la continuité que je situe sommairement à deux niveaux: rupture avec le laxisme étatique et continuité avec les mêmes hommes; rupture avec les belles promesses électorales et continuité dans le réel souci du bien du peuple.
Le choix des hommes
. «Rupture avec le laxisme étatique et continuité avec les mêmes hommes » sera une tâche ardue, très ardue même, car il faudrait que le Président Dr. Boni Yayi réussisse à s’attacher quelques hommes et femmes de cran et au langage franc, réputés pour leur très bonne moralité, leur impartialité, leur bonne connaissance du Bénin profond, leur capacité de saisir les rouages de la mondialisation et leurs pièges à éviter, et leur amour du travail bien fait. A tout ceci s’ajoute d’abord la force d’âme de ces personnes idoines et intègres se défiant sans peur de l’obscurantisme, des sortilèges multiples dont ils sont et seront menacés et vers lesquels ils sont et seront entraînés bon gré mal gré pour soi-disant se blinder et protéger les leurs. Ensuite viennent les pressions familiales diverses favorisant non seulement le népotisme, mais aussi la corruption tout azimut qu’il faudrait dépasser et vaincre. Ces quelques hommes et femmes racés ne seront malheureusement pas une génération spontanée, mais ils seront choisis au sein d’un système étatique et social qui, des décennies durant, les a marqués et entachés de son laisser-aller et de son laisser-faire. Ne connaissant qu’à peine son pays, le Président Dr. Boni, malgré sa très bonne volonté, ne pourra que s’appuyer sur les conseils soi-disant sages et précieux de ceux qui ont battu campagne pour lui; et il choisira, à son corps défendant, pour l’aider dans son immense champ à déblayer et à bêcher soit quelques politicards, soit quelques élites tapies attendant son tour de bouffe, soit enfin quelques hommes et femmes bien mais d’avance paralysés par le « système ». Il devra se faire une âme et faire avec, en s’engageant désormais, s’il désire correspondre un peu au mirage populaire, à passer de nombreuses nuits blanches et à voir très vite ses cheveux blanchir. Car il le sait en technocrate de l’économie et des finances, il faut remettre tout en place, tant au plan de l’assainissement draconien des finances publiques qu’au plan de la restructuration des appareils gouvernementaux et étatiques, tant au plan social qu’au plan moral. A quoi servent par exemple, trois ministères chargés de l’enseignement et de l’éducation nationale? N’est- ce pas pour contenter des personnes ou des partis, cristalliser les conflits de personnes et de compétences, et devenir en fin de compte inopérant? Les grèves multiples et répétées dans tous les secteurs de l’enseignement démontrent d’elles-mêmes de l’inefficacité de ces trois ministères. Et certains autres ministères dédoublés ou triplés ont-elles vraiment leur. Raison réelle d’être? De quelles industries, de quelles mines et de quelles énergies dispose, au sens propre du terme, le Bénin pour justifier de la raison d’être de deux ministères? Et je pense. qu’avec un peu d’analyses, de perspicacités et surtout beaucoup de courage prudent, le président Dr. Boni pourrait sensiblement réduire, pourquoi pas à dix, le nombre des ministères de la République du Bénin. N’en déplaise au taylorisme et à ses tenants, la division des tâches n’est pas nécessairement signe d’efficacité et de rationalité. Il sera plus facile au président Dr. Boni de contrôler son équipe et surtout de mettre au travail comme de vrais pionniers ses ministres. Inutile de chercher à avoir autant de ministères que les pays riches rien que pour le paraître et la mode. Faisons la politique de notre pauvreté et économisons en prestige et en passe-droit pour mieux investir en efficacité et en créativité.
Mettre le pays au travail
« Rupture avec les belles promesses électorales et continuité dans le réel souci du bien du peuple », voici encore une tâche pas facile. Tout le monde sait, je crois, que l’effet d’annonce appartient aux jeux politiques et aux campagnes électorales. Mais qui veut être véridique avec soi-même ne peut pas se contenter de tirer trivialement la conclusion: autres les promesses électorales, autres aussi les réalités sociales et sociétales. Le peuple qui par son vote a «tsumanisé » la classe politique classique, est le même qui attend les promesses du « Père Noël ». Le président Dr. Boni se donne pour priorité de lutter contre la pauvreté, mais je pense que dans le contexte béninois, le peuple comprend cette expression par l’apport d’argent « cadeau » à déverser sans sourciller sur le pays ; et tandis que l’élite gardera pour elle les gros morceaux, il se contentera avec satisfaction des grosses miettes. Pour qui jette un regard sommairement scrutateur sur le Béninois au quotidien, il est en droit de se demander si tant l’élite que la grande masse populaire a vraiment conscience de devoir lutter contre la pauvreté. C’est un concept qui lui est étranger parce qu’il semble non seulement venir d’ailleurs mais aussi surtout parce que le Béninois pense plus à sa promotion individualiste qu’au bien du tout État. Le président Dr. Boni Yayi aura le rude devoir de mettre tout le peuple béninois au travail en y semant les bons grains du bien commun et de la solidarité sociale, c’est-à-dire du travail créatif parce que réfléchi, structuré et efficace. Le Béninois d’en bas, il faut le confesser, s’épuise et s’éreinte beaucoup mais pour un résultat insignifiant. Quand je vois le cultivateur de l’Atacora retourner la pierraille pour semer son grain; quand je vois nos mamans et sœurs de la Donga et de l’ Alibori parcourir des kilomètres juste pour un seau d’eau à boire; quand je vois aussi nos mamans et nos sœurs porter toute la journée, sous le soleil chaud et humide de Cotonou, quelques objets à vendre de maison en maison et de rue en rue, je dois avouer qu’ils travaillent énormément pour un résultat rachitique. Sera-t-il possible de conduire ce peuple hors de ses torpeurs et lourdeurs culturelles, cultuelles et psychologiques qui l’abâtardissent pour le conduire à l’intérieur d’une civilisation dynamique où le développement ne sera pas seulement qu’économique et technique mais principalement et tout simplement humain? Je crois savoir, pour l’avoir entendu sur les ondes, que le président Dr. Boni Yayi met tout son espoir dans la technocratie. C’est bon et c’est en même temps très incomplet, car les technocrates ne sont et ne font pas l’homme. La technocratie démontre aujourd’hui toutes ses faiblesses et limites; et les pays riches secoués par de très nombreux scandales et chocs sociaux en font les frais. Ces pays se trouvent en présence d’hommes et de femmes techniquement et scientifiquement valables, mais moralement sous-développés. C’est pourquoi l’accent doit être mis sur l’éducation; pas seulement sur l’instruction mais sur cette éducation qui tiendra la famille comme noyau solide des transmissions des valeurs humaines, cette éducation qui adjoindra au rôle fondamental de la famille, la fibre civique tant à l’école que dans les milieux, groupes et associations. Ne pas tricher, ne pas voler, savoir partager, être désintéressé, devoir donner et se donner, etc. ne sont pas du domaine de la technocratie mais de la structuration valorisante de la personne, car elle est une nature qui « vaut plus par ce qu’elle est que parce qu’elle a ». Seule la recherche de sens grâce à l’acquisition de la hiérarchie des valeurs pourra provoquer tout en étant dans la continuité la rupture essentielle du changement.
Enfin, le vrai changement social se conçoit pour paraphraser Jean-Paul Il, comme «un souci prudent et permanent du bien commun ». Le champ à bêcher et à re-bêcher est très vaste, le quinquennat est bien court, et le risque de la précipitation pour obtenir quelques résultats est assez élevé. Le peuple qui a élu, ne voit pas le long terme, il veut remplir au plus vite son escarcelle. Mais la lutte contre la pauvreté est une toute autre réalité, c’est plusieurs décennies, c’est toute une vie.
« Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! ».
Abbé Raymond B. GOUDJO
Institut des Artisans de Justice et de Paix{/joso}
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