Qui sont-elles ? Combien sont-elles ? Qu’attendent-elles de leur société, sinon de la vie ? Les personnes dites du 3è âge se sont invitées à un séminaire atelier de réflexion le jeudi 13 août dernier à Cotonou. Une belle initiative de l’ONG Groupe d’Action pour la Promotion sociale (GAPROSEC).
Empressons-nous de le dire : le 3è âge est une notion abstraire, variable dans le temps et dans l’espace. Il peut se définir comme la période qui suit l’âge adulte et où cessent les activités professionnelles. Au Bénin, on prend actuellement en compte la tranche de 60 à 75 ans, avant le 4è âge, défini comme la période où la plupart des activités deviennent impossibles. Ce qui correspond à la grande vieillesse.
Le 3è âge, au Bénin est une réalité démographique et statistique. Même si nous sommes dans l’incapacité d’illustrer celle-ci par des données chiffrées. Les personnes du 3è âge sont avec nous et parmi nous. Nous les côtoyons tous les jours.
Même si la loi 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ne les mentionne pas. Cela se comprend en raison du caractère général de ce document. Même si la loi 2002-07, portant Code des personnes et de la famille les ignore. Ce qui penche à conclure à l’absence, du point de vue du droit, de dispositions spéciales et spécifiques relatives au 3è et au 4è âge.
Ce sont les difficultés socioéconomiques et socioculturelles auxquelles ces personnes sont confrontées qui semblent le mieux nous les révéler. La cessation des activités professionnelles écarte la plupart d’entre elles des circuits de production. Ce qui se traduit par un tarissement de leurs sources de revenu. Quelqu’un a pu parler d’assassinat administratif, s’agissant de la retraite. Elle referme derrière un individu plusieurs décennies d’activités, avant de le laisser seul face à l’avenir, avec la portion congrue d’une pension.
Les personnes du 3è âge, dans leur majorité, vivent sous la menace permanente de maux qui ont nom fragilité, précarité, insécurité, oisiveté… A une période de leur existence où ils doivent faire face à nombre d’affections : l’ostéoporose qui affecte la densité osseuse ; elle est responsable de nombre de fractures ; les maladies cécitantes comme le trachome, l’onchocercose ou la cataracte ; les difficultés auditives qui limitent la participation à la vie sociale, sans parler des diverses formes de cancers. Ceci, dans un environnement généralement pauvre où les systèmes d’assurance ne sont pas encore performants. Ne parlons pas de la sécurité sociale. Elle est encore inconnue au bataillon.
Les personnes du 3è âge, déjà économiquement fragilisées, se retrouvent esseulées et déboussolées dans des sociétés africaines travaillées par un individualisme exacerbé, des sociétés en crise d’identité profonde. Elles sont condamnées à une tragique marginalisation, la grande famille africaine se réduisant, jour après jour, comme peau de chagrin. Finies les grandes solidarités interfamiliales d’entre-temps. Effectivement, « Le monde s’effondre », pour faire un clin d’œil à Chinua Achebe. Ils sont loin, désormais, le respect que confère l’âge, le privilège, la légitimité des personnes âgées dans l’ordre du savoir et du pouvoir. Le « Papa yi gbodjê » dont résonnent nos rues est l’hommage imbécile que rendent, chaque jour, de jeunes impolis à leurs aînés vite traités de sorciers et livrés à la vindicte populaire. Dans une telle ambiance, les personnes du 3è âge sont des morts en sursis, en proie à toutes sortes de névroses. Nous qui croyions que l’Occident est allé trop loin avec ses hospices et ses maisons de retraite pour personnes âgées.
Dans le désarroi d’une existence en miettes, les personnes du 3è âge se résolvent, de guerre lasse, à se poser de graves questions, sentiments d’échec et d’impuissance mêlés. Qu’avons-nous fait de notre existence ? Méritons-nous ce qui nous arrive ? Quel héritage laissons-nous à un monde que nous ne comprenons plus et qui ne nous comprend plus ?
Pourtant, l’espoir est permis. C’est le corps qui vieillit. Non l’esprit. Les personnes du 3è âge, de ce point de vue, ont encore tant à apporter. Par devoir de témoigner, ceux d’entre elles qui le peuvent encore, doivent écrire, raconter, fixer leurs souvenirs, reconstituer les généalogies familiales et claniques.
Le relais de l’Etat est indispensable en termes de politiques en faveur des personnes du 3è âge. Pensons aux consultations médicales, aux soins médico-sanitaires, aux visites domiciliaires, à un système d’épargne, aux loisirs, à l’encadrement des plus jeunes partout où leur savoir et savoir faire peuvent se révéler utiles, aux expériences fort instructives sous d’autres cieux des universités dites du 3è âge.
Si philosopher, à en croire Cicéron, c’est apprendre à mourir, le 3è âge doit être tenu pour une période précieuse de la vie. C’est, en effet, le temps de la préparation au grand et à l’ultime voyage. Quand sonnera l’heure de solder son compte dans le grand livre de la vie.
Jérôme Carlos